C'est un grand honneur pour moi de pouvoir vous exposer pourquoi cette reconnaissance par la France est la seule avancée possible en faveur de la paix. Il existe un peuple palestinien, riche d'une identité singulière, d'une histoire, d'une mémoire, d'une culture, et qui vit sur son territoire depuis des millénaires. Depuis l'invasion de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, il vit sous occupation militaire, livré par une violence armée quotidienne à l'arbitraire de l'occupant, qui limite ses déplacements, le prive progressivement de ses terres agricoles, lui interdit de construire des logements, empêche le développement de son économie et implante sur son territoire plus de 500 000 colons israéliens.
Pouvez-vous imaginer l'état de la France après quarante-sept ans d'occupation étrangère ? Douze fois les quatre années dont vous avez eu l'expérience ! Imaginez le peuple français progressivement refoulé des régions les plus riches, privé de l'accès aux côtes et aux grands axes routiers ; imaginez les champs, les vignes, les vergers interdits aux agriculteurs ; les villes coupées de leur région ; l'état de vos bourgs et de vos villages, des périphéries de vos villes après quarante-sept ans d'interdiction de toute construction en dur ; imaginez les Français exclus de la plus grande partie de Paris. C'est ce que nous vivons ; voilà pourquoi notre revendication est juste.
Ses fondements sont légitimes ; les trois conditions sont remplies : les Palestiniens sont un peuple, qui vit sur un territoire, et disposent d'institutions reconnues par la communauté internationale depuis sa création il y a vingt ans, et qui ont toujours respecté leurs engagements, en dépit des difficultés à gouverner sous une occupation étrangère. Bien des compromis ont été acceptés. La Palestine vit amputée d'une partie de son peuple et de son territoire. C'est un des derniers peuples colonisés, à être privé de son droit légitime par une exception incroyable au droit international. Il est sommé de garantir la sécurité militaire de son occupant, cette puissance nucléaire qui dispose de l'une des armées les plus puissantes au monde ! Comment un Etat palestinien pourrait-il menacer sa sécurité ? La reconnaissance de l'Etat de Palestine souverain et démocratique ne peut que bénéficier à la paix et à la sécurité de la région et du monde. C'est une condition sine qua non d'un voisinage pacifié.
Au-delà de l'allégeance politique de chacun, le gouvernement palestinien rassemble aujourd'hui des technocrates ; ses choix recherchent l'union nationale dans la perspective d'un Etat palestinien. La situation est devenue absurde : les vingt années de négociation ont été mises à profit par le gouvernement israélien pour renforcer son emprise sur notre territoire, l'annexer de fait, emprisonner nos enfants - dès douze ans ! Combien de temps devrons-nous encore souffrir ? Nous ne sommes pas un peuple masochiste, mais un peuple qui aime la vie. Nous nous languissons d'un pays pacifié sur lequel notre peuple meurtri pourrait enfin revivre et faire des projets.
Notre seul recours est la reconnaissance de la Palestine en tant qu'Etat par la communauté internationale. Après vingt ans de négociations en vain, c'est un droit, dont l'usage ne peut être qualifié de menace pour un processus de paix. Israël a fait usage de ce même droit en 1948, et n'a été reconnu par les Nations unies qu'après s'être autoproclamé.
La solution n'est pas militaire, nous en sommes convaincus. Nous avons toujours condamné sans délai toute violence contre la population civile, quelle qu'elle soit. Le gouvernement israélien cautionne, quant à lui, des violences contre le peuple palestinien. Il veut que nous reconnaissions maintenant la judéité de l'Etat d'Israël, sans prendre en considération que les Palestiniens citoyens d'Israël perdraient alors leurs droits. D'ailleurs, cela n'a pas lieu d'être : la Palestine n'a pas à statuer sur le caractère religieux ou non d'un autre Etat. Imaginez la France demandant à l'Allemagne de la reconnaître comme Etat laïc !
Nous assistons à une montée de la violence qui menace la concrétisation de la paix. Au printemps, après l'échec des négociations, imputé par tous au gouvernement israélien, une répression a été lancée à travers toute la Cisjordanie y compris Jérusalem-Est, suivie de l'agression militaire contre la bande de Gaza, qui a fait 2 200 civils tués, 10 000 blessés, dont 3 000 enfants handicapés à vie. Mohammad Abou Khdeir était brûlé vif à Jérusalem-Est par des colons, crime resté impuni à ce jour.
Ce n'est pas un conflit religieux, malgré les nombreux discours qui tendent à la faire accroire ; c'est un conflit politique, dans lequel les Palestiniens réclament le respect de leurs droits inaliénables à l'autodétermination, à un Etat indépendant souverain vivant en paix avec ses voisins ; un conflit éthique, car le peuple palestinien reste l'un des derniers peuples occupés ; un conflit juridique, car toutes les juridictions régionales et internationales ont affirmé l'illégalité de l'occupation israélienne, comme la Cour internationale de justice en 2004, alors qu'elle n'était interrogée que sur le mur de séparation.
Les résolutions des Nations unies sont légion mais ne sont jamais appliquées : la reconnaissance de l'Etat d'Israël par la résolution 181 était elle-même soumise à des conditions restées lettre morte comme l'établissement d'un Etat palestinien dans le cadre du plan de partage de 1947 ; puis cela a été la résolution 294 sur le droit au retour ; le droit à l'autodétermination tel que défini notamment par la charte est resté lui aussi sans application. La paix au Moyen-Orient ne sera pas complète sans la fin de l'occupation et l'établissement d'un Etat palestinien souverain dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale ; c'est ce que nous demandons. Israël, quant à lui, n'a toujours pas accepté de définir ses frontières.
L'occupation est le problème ; la reconnaissance de l'Etat palestinien est la solution. En 1982, le premier chef d'Etat français à se rendre en visite officielle en Israël, François Mitterrand, se prononce en sa faveur devant la Knesset. En 1992, il affirme : « Un Etat palestinien a été reconnu par les Nations unies lorsqu'a été créé l'Etat d'Israël. Il me semble que les Nations unies ont reconnu à la fois la perspective d'un Etat pour Israël et celle d'un Etat pour les Palestiniens. L'un de ces Etats s'est constitué vigoureusement et courageusement. Tant mieux ! L'autre est resté en rade, alors que le droit est le même. »
La Suède est le neuvième pays européen à reconnaître la Palestine ; l'ont suivie les parlements espagnol, britannique, le sénat irlandais et hier, l'Assemblée nationale française. Il est temps que la France renoue avec sa vocation historique. Son rayonnement international repose sur des principes dans lesquels la recherche d'une solution juste au Proche-Orient tient une place de taille. Puissance de premier plan et leader européen, la France a un rôle majeur à jouer, dans une dynamique diplomatique cohérente inscrite dans la durée.
Les mots de Laurent Fabius à la conférence du Caire pour la reconstruction de Gaza le 12 octobre dernier, conformes à l'engagement du président François Hollande exprimé par le vote positif de la France pour l'entrée de la Palestine aux Nations unies en 2012, sont sans ambiguïté : « Nous devons tirer les leçons du passé. L'objectif est clair : un Etat de Palestine indépendant, démocratique, contigu et souverain, vivant dans la paix et la sécurité aux côtés d'Israël, sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem comme capitale des deux Etats. Cette solution des deux Etats est menacée sur le terrain, notamment par la colonisation. Face à ce danger, il nous faudra bien, à un moment, reconnaître l'Etat palestinien. »
Paris accueillera le premier séminaire intergouvernemental France-Palestine début 2015 ; la France pourrait assumer son rôle en Europe et aux Nations unies, comme autrefois par le passé par la déclaration de Venise de Valéry Giscard d'Estaing en 1980, le discours de Jacques Chirac à la Knesset en 1996 et l'engagement de Nicolas Sarkozy en faveur de l'adhésion de la Palestine à l'Unesco en 2011.
Vous êtes les garants de l'avenir. Deux alternatives se présentent : le statu quo, la poursuite de l'occupation et tout ce qui en découle au niveau régional ; ou la fin du conflit grâce à la fin de l'occupation. La reconnaissance de l'Etat de Palestine est la première étape de cette sortie du conflit. La solution de deux Etats est dangereusement menacée.