Intervention de Laurent Fabius

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 décembre 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Laurent Fabius ministre des affaires étrangères et du développement international

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

C'est une bonne chose si le Sénat peut apporter une contribution constructive au débat actuel. Plusieurs propositions de résolution ont été déposées et, si je peux émettre un souhait, c'est que l'expression finale soit aussi rassembleuse que possible. À l'Assemblée nationale, il n'a pas été possible de parvenir à un texte commun : je souhaite que ce soit possible ici. Certains se sont interrogés sur le droit des assemblées à se prononcer sur un tel sujet : elles ont bien sûr le droit de s'exprimer, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une injonction. Le gouvernement est à l'écoute du Parlement ; reste que selon la Constitution de la Ve République, le gouvernement et le Président de la République sont en charge de la politique extérieure.

Votre démarche est au service de la paix. La tradition de la France est d'être l'amie du peuple palestinien et du peuple israélien. Nos seuls ennemis sont les extrémistes, les fanatiques, qui se trouvent de chaque côté et qui entravent la marche vers la paix. Nous devons également veiller à ne pas importer ce conflit qui, par sa spécificité, a une résonnance particulière dans notre pays et dans de nombreux pays, d'où les réactions de divers parlements.

Dans nombre de conflits, la principale difficulté est de définir les paramètres de la solution : c'est le cas en Syrie ou en Ukraine. Dans le conflit israélo-palestinien, les paramètres sont connus : le plan de paix des Arabes, les propositions des Américains et celles des Européens comportent des éléments voisins. En revanche, les deux intervenants principaux n'arrivent pas à se mettre d'accord sur ces paramètres, en dépit de longues discussions. Ces échecs tiennent le plus souvent à des raisons de politique intérieure tant du côté israélien que du côté palestinien.

Nous sommes arrivés à la conclusion que les deux parties auront beaucoup de mal à parvenir à un accord s'ils restent seuls, même avec l'aide des Etats-Unis. Une intervention d'un autre ordre est donc indispensable : une autorité internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies par exemple, doit intervenir pour éviter de nouveaux dégâts.

Le principe de la reconnaissance des deux Etats est inscrit dans la tradition politique française. Ainsi la résolution 181 des Nations unies a-t-elle reconnu en avril 1947 un Etat juif et un Etat arabe. La France a obtenu de haute lutte la reconnaissance d'Israël puis a oeuvré pour la reconnaissance de la Palestine. Sous la présidence de M. Sarkozy, il y a eu l'entrée de la Palestine à l'Unesco et, il y a deux ans, la Palestine est devenue un Etat observateur non membre des Nations unies. Tous les présidents de la République ont été sur la ligne des deux Etats.

Se pose désormais la question des modalités. Jusqu'à présent, nous voulions que la reconnaissance soit liée à des négociations, mais si celles-ci n'aboutissent pas, elles deviennent l'élément interdisant la reconnaissance du blocage. Nous suggérons donc une évolution de la méthode avec, en premier lieu, une définition des paramètres au niveau international, sanctionnée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. J'ai rencontré hier les représentants d'une soixantaine de pays sur d'autres sujets mais nous avons évoqué cette question. Nous parlons bien sûr aussi avec les Palestiniens et les Israéliens. Ces derniers sont réticents. Si nous pouvons porter une résolution, en évitant un véto, pour définir les paramètres des négociations, le droit international sera affirmé. Certains prétendent qu'il faut attendre les élections israéliennes de mars avant d'agir. Je ne le crois pas, car la situation sur le terrain peut dégénérer à tout moment.

Si nous voulons un accompagnement international, ces paramètres devront être acceptés par les deux parties mais aussi par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, par les Etats arabes directement concernés et par ceux qui ont une influence directe sur la solution. Si nous voulons que l'une des parties n'utilise pas la négociation comme un droit de véto et que l'autre partie accepte de s'engager, il faut fixer une date limite. Les Palestiniens souhaitent dix-huit mois ; il serait préférable de prévoir vingt-quatre mois. En cas de blocage - que nous ne souhaitons pas -, nous prendrons nos responsabilités en reconnaissant l'Etat de Palestine.

Nous devons trouver un chemin entre deux extrêmes : si nous disions aujourd'hui même que nous reconnaissons la Palestine, il n'y aurait pas de traduction concrète sur le terrain. Si un terme n'est pas fixé au processus, la négociation risque de s'enliser. Ce weekend même, la piste que nous avons esquissée a été appréciée.

Dans les jours qui viennent, nous devrions en terminer avec la première phase. Nous pourrions ensuite entrer dans la deuxième phase.

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