Intervention de Jean-François Bouvet

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 27 novembre 2014 : 1ère réunion
Stéréotypes masculins et féminins dans les jeux et les jouets — Table ronde

Jean-François Bouvet, docteur d'État ès Sciences (neurobiologie), auteur de « Le camion et la poupée. L'homme et la femme ont-ils un cerveau différent ? » :

agrégé de sciences naturelles, docteur d'État ès Sciences (neurobiologie), auteur de « Le camion et la poupée. L'homme et la femme ont-ils un cerveau différent ? ». - La première question que je souhaite soulever est la suivante : est-il légitime de penser que des facteurs biologiques interviennent dans le choix des jouets ? Si tel est le cas, les stéréotypes de genres ne feraient qu'en renforcer l'action.

Je vais donc, dans un premier temps, vous présenter quelques études scientifiques sur les préférences face aux jouets.

Je ne suis pas un grand spécialiste du sujet, mais j'ai réalisé une revue de la littérature scientifique récente sur la question. Cette revue ne se veut pas exhaustive, mais permet de relever les différents types de publications susceptibles d'apporter des réponses.

Le premier type de publications regroupe les études réalisées sur les singes. Ces études cherchent à identifier, chez les primates, des préférences éventuelles pour des jouets dits féminins ou masculins. Nous disposons de trois études de ce type, ce qui est limité.

Une première étude, publiée en 2002 par Gerianne Alexander et Melissa Hines de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA), porte sur des singes vervets. Trois catégories de jouets leur ont été présentées : des jouets typiquement masculins (camion coloré et balle rebondissante, bien que ce dernier jouet ne puisse être considéré comme uniquement masculin), des jouets typiquement féminins (poupée de chiffon) et des jouets neutres (livre d'images, peluche). Ces singes n'avaient pas été confrontés auparavant à des jouets humains. Il s'est avéré que les mâles montraient une forte préférence pour les jouets dits masculins et que l'intérêt des femelles se focalisait davantage sur les jouets dits féminins. Les deux sexes s'intéressaient par ailleurs aux jouets neutres. Le protocole expérimental de l'étude peut être discuté. En effet, ce type d'études est très compliqué à mettre en place.

Une deuxième étude publiée en 2008 a été réalisée sur des macaques rhésus par une équipe d'Atlanta. Deux types de jouets ont été présentés aux singes : des peluches et des jouets à roues. Les auteurs ont observé que les mâles montraient une forte préférence pour les jouets à roues. En revanche, les préférences des femelles se sont avérées bien plus variables.

Je n'évoquerai pas une troisième étude, qui à mon sens ne présente pas de résultats intéressants pour notre problématique1(*).

Nous comprenons bien la logique de ce type d'études. Dans la mesure où nous partageons des ancêtres communs avec les singes, qui remontent à 25 millions d'années pour les macaques, l'observation du comportement des singes peut révéler la part ancestrale des préférences respectives des garçons et des filles.

Un deuxième type d'études portent sur le comportement des enfants. Elles consistent à présenter un choix de jouets à de très jeunes enfants, alors qu'ils n'ont pas encore subi de pression culturelle trop importante. Dans le cadre d'un travail publié en 2009, l'équipe de Gerianne Alexander au Texas a ainsi présenté à des enfants de 3 à 8 mois, dans une sorte de théâtre de marionnettes, un camion d'un côté et une poupée de l'autre. Par un dispositif à infrarouges, l'équipe a pu déterminer l'objet fixant préférentiellement l'attention du bébé, en termes de direction du regard et de temps d'attention. Les résultats sont nets : les filles ont manifesté un intérêt plus marqué pour la poupée, les garçons pour le camion.

D'autres études ont cherché à déterminer l'impact des hormones sexuelles sur le choix des jouets. Une étude publiée en 1992, menée par Melissa Hines de l'UCLA2(*), a consisté à observer le comportement de filles de 3 à 8 ans qui ont élaboré, pendant leur développement cérébral, un taux anormalement élevé de testostérone du fait d'une maladie nommée hyperplasie congénitale des surrénales (HCS). Leur choix de jouets a été comparé à celui de filles non atteintes par cette maladie. Il est apparu très nettement que les filles souffrant d'HCS montraient un intérêt beaucoup plus marqué que les autres filles pour les jouets de type masculin.

Une étude publiée en 2011 a cherché à identifier le facteur déterminant entre le sexe du partenaire de jeux et le type de jeu. Les auteurs ont montré que les filles souffrant d'HCS privilégiaient les jeux de type masculin, même pratiqués avec une partenaire de jeu féminine. Le type de jeu apparaît déterminant, et non pas le sexe du partenaire.

Il a beaucoup été dit que le choix des jouets à roues chez les singes mâles ou chez les jeunes garçons était avant tout lié au niveau d'activité. En d'autres termes, les mâles et les garçons privilégieraient les jeux les plus mobiles et actifs. L'équipe de Gerianne Alexander a publié, en 2012, une étude portant sur un échantillon de 47 garçons et 37 filles âgés de 19 mois. Les auteurs ont démontré une absence de lien entre le choix des jouets et le niveau d'activité des enfants. Les enfants très actifs sur le plan moteur ne sont pas nécessairement ceux qui choisissent, de la manière la plus marquée, les jouets de type masculin. En revanche, un lien entre le taux de testostérone et le niveau d'activité des enfants apparaît.

Encore une fois, ce recensement de la littérature n'est pas exhaustif. Les études disponibles restent peu nombreuses à ce jour. Beaucoup d'entre elles mériteraient par ailleurs d'être reprises, en travaillant sur des échantillons plus importants. Ces études fournissent néanmoins des pistes intéressantes sur le plan de la connaissance du processus cognitif.

Abordons, dans un second temps les différences entre les cerveaux masculin et féminin.

Je ne partage absolument pas l'idée soulevée par Brigitte Grésy, selon laquelle il n'existerait pas d'études scientifiquement corroborées sur les différences entre les cerveaux de l'homme et de la femme. Cette idée, largement propagée en France, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays, est inexacte. Nous sommes d'ailleurs plusieurs à nous alarmer de cette manière récurrente de présenter les choses.

Ceci étant dit, il est vrai que la plasticité cérébrale joue un rôle fondamental : elle permet de potentialiser des aptitudes qualifiées abusivement de masculines ou féminines. C'est d'ailleurs l'unique point sur lequel je suis en accord avec Catherine Vidal.

En revanche, il n'est pas possible de dire qu'il n'existe aucune différence entre les cerveaux masculin et féminin. Pour autant, il est clair que ces différences ne permettent en rien de parler de complémentarité entre les sexes. Sur le plan des aptitudes, nous serons mieux armés en moyenne pour certaines tâches selon que nous sommes hommes ou femmes, mais cela ne fait pas de nous des êtres complémentaires.

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