Intervention de Brigitte Grésy

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 27 novembre 2014 : 1ère réunion
Stéréotypes masculins et féminins dans les jeux et les jouets — Table ronde

Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, auteure de « La vie en rose. Pour en découdre avec les stéréotypes » :

N'étant pas neurobiologiste, je n'interviendrai pas dans le débat scientifique. Si Catherine Vidal avait été présente aujourd'hui, le dialogue aurait été tout-à-fait stimulant.

Il est vrai que nous constatons une accentuation du clivage entre hommes et femmes depuis dix à vingt ans. Or dans la vie réelle, les hommes et les femmes réalisent de plus en plus les mêmes activités. Ils ont la même vie, sauf bien entendu s'agissant de la double journée des femmes, inégalité contre laquelle nous nous battons déjà. Objectivement, dans les entreprises et ailleurs, nous observons bien que les qualités, les compétences et les aptitudes n'ont pas de sexe. On rencontre autant de femmes managers agressives et rigides que d'hommes pourvus d'intuition et de douceur. Mais plus les modes de vie des hommes et des femmes se rapprochent, plus ils investissent sur les marqueurs secondaires de leur sexe. Les prothèses mammaires n'ont jamais été aussi présentes, l'hypersexualisation n'a jamais été aussi forte, la mode « girly » n'a jamais été aussi répandue. Ces marqueurs sont en quelque sorte des antidotes à une panique identitaire croissante, que l'on retrouve par exemple dans le discours de personnes telles qu'Éric Zemmour.

Une crispation identitaire est en train de naître. Elle s'explique par le fait qu'objectivement, on voit bien que ce n'est pas parce que les hommes sont plus forts en masse musculaire qu'ils sont plus courageux, et que ce n'est pas parce que les femmes donnent naissance aux enfants qu'elles sont plus douces. Je pense qu'aucune étude scientifique ne démontre que les hommes et les femmes se comportent différemment dans la vie en fonction de facteurs biologiques.

Il m'a été dit que la troisième étude sur les singes démontrait justement que les femelles étaient davantage intéressées par les camions et les mâles par les poupées. Il m'a également été dit que la communauté scientifique rejetait ces études sur les singes, qu'elle considère comme peu sérieuses.

Nous savons bien que des différences entre les filles et les garçons s'observent dans l'hypothalamus, siège des fonctions de reproduction. Toutefois, rien aujourd'hui ne nous permet d'affirmer qu'il est normal que, professionnellement, les femmes soient davantage présentes dans les fonctions de ressources humaines ou la communication, sous prétexte qu'elles ont moins de testostérone, plus d'intuition, de doigté ou encore de liant social. Aujourd'hui, ce système d'équivalence entre des hormones, des gènes et des aptitudes n'est absolument pas démontré. La méta-analyse d'Anne Fausto-Sterling souligne bien que l'émergence des différences entre les sexes se situe vers l'âge de 2 ans en ce qui concerne la préférence des jouets.

Sans entrer dans une querelle scientifique, je vois bien que l'on brandit des singes quand cela nous arrange. Il convient d'être prudent. L'enjeu est à mon sens véritablement celui de l'apprentissage, afin de libérer le champ des possibles pour les filles et les garçons. La science finira-t-elle par démontrer que, finalement, les femmes sont plus douées pour le lien et les hommes pour la guerre ? Même dans les civilisations préhistoriques, nous savons aujourd'hui que les femmes ont souvent été dans des postures de risques et de mise en cause de leur corps extrêmement fortes.

Notre pari est double :

- nous voulons être pairs et non complémentaires ;

- notre identité sexuée repose aujourd'hui sur des injonctions terribles et souvent paradoxales, qui pèsent sur le sentiment d'efficacité personnelle des filles et occultent le champ des possibles des filles et des garçons.

Pour ouvrir l'entièreté du champ des possibles, au niveau des politiques publiques, seule l'approche partenariale et systémique peut être efficace, d'où l'importance du travail de votre délégation, à même de créer ce partenariat d'acteurs.

Il convient de travailler avec l'industrie du jouet, qui bien sûr fera tout pour conserver le clivage entre filles et garçons, car cela lui permet de doubler ses recettes. Il faut donc s'attendre à ce que cette industrie instrumentalise des recherches en tous genres, à l'image, dans le secteur de la santé, des études sur les médicaments, dont nous savons comment elles sont financées. À cet égard, j'invite notre pays à une extrême rigueur et à une extrême conscience de ce qu'est l'égalité des chances entre les filles et les garçons.

Il est essentiel d'activer le levier de la formation à l'égalité dans les crèches et de la formation des parents par le biais des crèches. Les structures d'accueil de la petite enfance sont en effet le seul endroit où il est possible d'approcher les parents, qui ne pénètrent plus dans l'enceinte des établissements une fois leur enfant à l'école primaire.

Enfin, les pouvoirs publics doivent mener un travail de sensibilisation. Ils doivent également travailler à un acte d'autorégulation avec les professionnels, comme cela a été fait pour les médias. Je crois beaucoup en cette solution, bien que l'ampleur des enjeux financiers soit susceptible d'en compliquer la mise en oeuvre. Il me semble toutefois difficile d'envisager d'aller jusqu'à l'adoption d'une loi.

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