Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la première fois depuis trois ans, nous arrivons au terme de ce marathon que constitue l’examen du projet de loi de finances. Nous avons pu noter une satisfaction assez générale sur la forme. Comme vous, monsieur le président du Sénat, monsieur le rapporteur général, madame la présidente de la commission des finances, nous pouvons être satisfaits des échanges constructifs qui ont égrené ces débats.
Accord sur la forme, dissensions sur le fond – du moins sur de nombreux points –, mais cela est tout à fait légitime dans une démocratie parlementaire.
L’élaboration du budget de la nation est soumise à de nombreuses contraintes, la plus pressante étant le contexte macroéconomique mondial et européen. Je ne reviendrai pas sur notre croissance atone et la spirale déflationniste, qui éloignent les perspectives de reprise et rognent les efforts structurels.
Le 4 décembre dernier, la BCE – Banque centrale européenne – a abaissé les prévisions de croissance de la zone euro de 0, 9 % à 0, 8 % pour 2014, de 1, 5 % à 1 % pour 2015, et de 1, 9 % à 1, 5 % pour 2016.
Il faut avoir le courage de dire qu’un retour rapide de la croissance est compromis. Par ailleurs, son ampleur et son rythme pourraient ne pas être ceux qui sont attendus.
Monsieur le secrétaire d’État, avec de tels indicateurs, la tâche du Gouvernement est ardue. S’y ajoute l’encadrement de notre budget par nos engagements européens. Le pacte de stabilité et de croissance et le TSCG – traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – constituent un ensemble de normes communes. Ils ne sont cependant pas un carcan, et nous devons, comme l’OCDE nous y enjoint, « utiliser au maximum la flexibilité des règles budgétaires ».
Le panorama ainsi brossé rend d’autant plus nécessaire la conduite de réformes fiscales structurelles, pourtant constamment reportées. Plus qu’une sortie de crise, nous devons esquisser la survie de notre modèle, sa réinvention. À cette aune, ce budget est celui des occasions perdues.
Nous le répétons régulièrement à cette tribune, notre pays ne peut faire l’économie d’une réforme en profondeur de l’imposition des ménages. À ce titre, nous regrettons que les amendements que nous avions déposés et qui avaient été largement approuvés l’an passé n’aient pas connu le même sort cette année.
L’impôt sur le revenu est aujourd’hui mité par les multiples niches fiscales et autres exonérations, qui font porter trop fortement le poids de cet impôt sur les classes moyennes. Bien qu’elle soit urgente, sa réforme semble enterrée. Il en va de même de celle de l’impôt sur les sociétés.
Le Gouvernement a préféré procéder à des ajustements moins ambitieux. Ce budget s’est donc parfois apparenté à une opération de rabotage généralisé, agrémentée d’un raclage de fonds de tiroirs. Ainsi, vous avez souhaité opérer des prélèvements exceptionnels sur de nombreux opérateurs et divers organismes chargés de missions de service public : agences de l’eau, chambres consulaires, fonds d’assurance, formation des chefs d’entreprises de l’artisanat, tous ont été mis à contribution.
Je constate qu’un accord semble avoir été trouvé pour maintenir les prélèvements exceptionnels sur les fonds de roulement de ces institutions et pour préserver les taxes qui leur sont affectées. Ce consensus équilibré mériterait d’être préservé par nos collègues députés.
J’ajoute que ces prélèvements, par leur nature « exceptionnelle », ne sauraient, selon nous, être réitérés à l’occasion des prochains exercices.
S’agissant des missions, la plupart « participent au redressement de nos comptes publics », pour reprendre une expression si souvent entendue, à l’exception de celles désignées comme prioritaires et relatives à l’éducation, la sécurité et la justice.
À cet égard, nous n’avons pas compris l’initiative du Gouvernement visant à minorer, à l’Assemblée nationale, les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » de 136 millions d’euros. Alors que, par voie d’amendement, les sénateurs avaient rétabli ces crédits, leur rejet par la majorité sénatoriale nous paraît regrettable.
En outre, pour ce qui concerne la mission « Économie », nous avons soutenu la suppression de l’article 51 et ainsi permis le rétablissement de l’indemnité d’aide au départ à la retraite pour les artisans ou les commerçants qui éprouvent des difficultés à vendre leur fonds de commerce.
C’est le premier projet de loi de finances que notre assemblée examine depuis les élections sénatoriales de septembre dernier. Nous nous souvenons des réactions qui avaient suivi l’annonce, au printemps dernier, du pacte de responsabilité et de solidarité, lequel prévoyait 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans.
L’opposition, considérant que ces 50 milliards d’euros ne suffisaient pas, avait multiplié les contre-propositions, promettant qui 55 milliards, qui 80 milliards, qui 130 milliards d’euros de réduction des dépenses publiques. Rien de moins !
Ceux qui fustigent les hausses de prélèvements décidées en 2012 et 2013 oublient trop vite qu’ils ont contribué au « ras-le-bol » fiscal de nos concitoyens en votant des augmentations d’impôts, particulièrement au cours de la seconde moitié du quinquennat précédent.
Chacune des majorités successives doit assumer la responsabilité de la hausse des prélèvements. Comment faire face à la crise et réduire les déficits, sans instaurer des prélèvements supplémentaires directs ou indirects ?
Le Sénat a travaillé sur ce projet de loi de finances dans la sérénité et de manière constructive. Mais y a-t-il eu une grande divergence de fond sur les remèdes à apporter ? Quels sont en effet les apports de la majorité sénatoriale ? Permettez-moi de les rappeler : augmentation du quotient familial, suppression des créations de postes dans l’éducation nationale et de 45 000 emplois aidés supplémentaires, instauration de trois jours de carence pour les fonctionnaires et réduction du glissement vieillesse technicité.
Une telle évolution nous paraît s’apparenter davantage à un message électoral, à l’érection de totems politiques, qu’à l’ébauche d’une véritable alternative budgétaire.
Enfin, je dirai un mot des dispositions relatives aux collectivités.
À l’issue de nos travaux, la diminution de la dotation globale de fonctionnement est atténuée. L’amendement adopté sur l’initiative du rapporteur général aboutit à un niveau comparable à celui que nous avions proposé, même si notre trajectoire de baisse s’appuyait sur un raisonnement différent, fondé sur le principe d’un étalement dans le temps.
Monsieur le secrétaire d’État, les débats très animés sur les taxes à faible rendement visées à l’article 8 illustrent l’opposition à l’érosion de l’indépendance fiscale et de l’autonomie financière des collectivités. Leurs capacités d’investissement, nous l’avons souvent rappelé, seront également durement affectées, alors qu’en 2014 les collectivités représentaient près de 70 % de l’investissement public.
Les dispositions relatives au relèvement du taux de compensation forfaitaire du FCTVA – fonds de compensation pour la TVA – ne sauraient masquer cette évolution, qui se traduira souvent par une augmentation inéluctable de la fiscalité locale et une baisse d’activité, notamment dans le secteur des travaux publics.
La diminution attendue de l’investissement local n’aurait pu être enrayée par la « dotation de soutien » que l’Assemblée nationale avait créée, avec le concours du Gouvernement. Au-delà de l’affichage, cette dotation est rapidement apparue comme un bel exercice de bonneteau budgétaire, dans la mesure où elle était alimentée par la disparition des FDPTP, les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle. Sa suppression s’imposait donc.
Lors de nos débats, il a été largement question de l’indispensable réforme de la DGF. Elle devrait figurer dans le projet de loi de finances pour 2016. Sachez que, particulièrement attendue, elle sera attentivement scrutée.
La majorité sénatoriale a fait le choix, en contrepartie de la baisse des dotations, de freiner la progression de la péréquation, revenant notamment sur la montée en puissance du FPIC, le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, qu’elle avait pourtant créé voilà trois ans. Nous avons même entendu un collègue avouer être totalement opposé à la péréquation.
Je dois l’avouer, mon inclination naturelle aurait été inverse. En période de restrictions budgétaires, il me paraît plus juste de renforcer les mécanismes de péréquation, afin que les collectivités les moins prospères soient moins pénalisées.
Cependant, je ne pourrais dire que les outils péréquateurs me satisfont pleinement. C’est particulièrement le cas du FPIC, dont la réforme est urgente. Notre collègue Pierre-Yves Collombat a rappelé justement les inégalités induites par le coefficient logarithmique.
Nous saluons enfin la volonté de relance du secteur de la construction, sinistré ces dernières années. Nous aurions pu pointer l’instabilité qui entoure les dispositifs d’incitations et d’aides, mais nous préférons souligner les améliorations des mécanismes libérant les énergies d’un secteur-clé. Nous regrettons néanmoins la suppression par notre assemblée de l’article 6, relatif à l’exonération de droits de mutation à titre gratuit, ainsi que le rejet de certains de nos amendements.
Pour l’ensemble de ces raisons, la majorité des sénateurs du groupe RDSE ne se retrouvent pas dans le texte issu des travaux du Sénat. Notre vote sur l’ensemble sera donc identique à celui que nous avons émis sur la première partie. §