Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le Sénat d’avoir organisé ce débat sur le Conseil européen particulièrement important qui se tiendra les 18 et 19 décembre.
Ce sera en effet la première réunion du Conseil européen depuis l’entrée en fonctions du nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Elle aura lieu sous la présidence de Donald Tusk, nouveau président du Conseil européen.
Cette réunion du Conseil européen doit marquer le début d’une nouvelle ère pour l’Union européenne. Mais si elle est décisive, c’est surtout en raison de son ordre du jour, puisqu’il portera sur la question la plus importante aujourd’hui en Europe, celle de la relance de l’économie européenne et des investissements, avec la présentation et l’adoption du nouveau cadre pour les investissements en Europe proposé par la Commission européenne.
La France, vous le savez, avait fait de cette relance une priorité, car elle y voit un impératif pour la croissance en Europe et pour préparer l’avenir. Nous nous réjouissons donc que le président Juncker et la nouvelle Commission aient pu présenter ce plan moins d’un mois après leur entrée en fonctions. Il faut maintenant qu’il soit rapidement adopté.
La proposition de la Commission s’articule, comme vous le savez, autour de trois volets.
Le premier volet consiste à créer, en partenariat avec la Banque européenne d’investissement, la BEI, un nouveau fonds européen pour les investissements stratégiques. Dans la proposition de la Commission, ce fonds comprend une garantie de 16 milliards d’euros du budget de l’Union européenne, combinée à 5 milliards d’euros engagés par la Banque européenne d’investissement.
Au regard de l’expérience acquise par celle-ci depuis l’augmentation de son capital de 10 milliards d’euros en 2012 et de la mise en œuvre des premiers project bonds, le fonds devrait avoir un effet multiplicateur de 1 à 15, en augmentant la capacité d’intervention de la BEI, d’une part, et en attirant des co-financements, d’autre part.
En d’autres termes, chaque euro d’argent public mobilisé par le nouveau fonds engendrerait au total quinze euros d’investissements qui, sans ce mécanisme, n’auraient pas été réalisés. Ce sont 315 milliards d’euros d’investissements supplémentaires qui sont attendus et devraient être rendus possibles au cours des trois prochaines années à l’échelle de l’Europe. Ils viendront compléter les programmes du budget de l’Union européenne et les activités existantes de la Banque européenne d’investissement.
Le défi, c’est bien de casser le cercle vicieux du manque de confiance et du sous-investissement qui contribuent à la stagnation de l’économie, notamment au sein de la zone euro.
Le fonds visera notamment à soutenir l’investissement dans les infrastructures, en particulier les réseaux à haut débit, les réseaux d’énergie et de transport, l’éducation, la recherche et l’innovation, les énergies renouvelables, ainsi que dans les petites et moyennes entreprises, les PME, et les entreprises à moyenne capitalisation.
Le deuxième volet vise à mettre en place une réserve de projets crédibles. Ainsi, à titre indicatif, la France a transmis, comme l’ensemble des autres États membres, une liste de projets à la task force qui a été constituéeconjointement par la Commission et la Banque européenne d’investissement.
Trois critères principaux ont été identifiés pour procéder à la sélection de ces projets. Il doit s’agit de projets à valeur ajoutée européenne, dont la viabilité et la valeur économiques sont avérées et pouvant débuter au plus tard dans les trois prochaines années.
Les travaux de cette task force constituent ainsi une première base de travail pour la constitution de la réserve de projets.
Enfin, le troisième volet est constitué d’une feuille de route destinée à rendre l’Europe plus attractive pour les investissements, à supprimer les barrières réglementaires et à achever le marché intérieur dans un certain nombre de domaines où des obstacles subsistent encore. L’objectif est notamment de créer une union des marchés des capitaux pour améliorer le financement de l’économie réelle, en particulier l’offre de capitaux destinée aux PME et aux projets à long terme.
La Commission présentera dès la semaine prochaine, dans son programme de travail pour 2015, une liste prioritaire des initiatives liées au plan d’investissement. De plus, le Conseil européen devrait se fixer une clause de rendez-vous en mars 2015 concernant l’Union de l’énergie et en juin 2015 pour le marché unique du numérique.
Je voudrais insister sur plusieurs aspects tout à fait positifs de ce plan.
Il y aura d’abord une possibilité d’intervention du fonds non seulement en prêts, mais aussi en capital.
Ensuite, le plan concerne des secteurs prioritaires pertinents, que je viens de mentionner, porteurs de croissance pour demain. Aujourd’hui, le problème est non seulementque le manque d’investissement empêche la relance, mais aussi qu’il met en danger le potentiel de croissance à long terme de l’Union européenne.
Une série de secteurs prioritaires pourront être soutenus au travers de ce plan : le numérique, les transports, l’énergie, l’éducation, la recherche, la formation.
Le plan repose enfin sur des techniques de financement innovantes qui ont déjà fait leurs preuves, à l’instar des project bonds.
Sur cette base, l’objectif de la France est que le Conseil européen endosse ce plan dès la semaine prochaine et que le travail législatif soit mené au plus vite, afin que le dispositif soit opérationnel le plus rapidement possible en 2015.
La Commission devrait présenter une proposition législative au début du mois de janvier prochain, qui sera débattue par les chefs d’État ou de Gouvernement. Il faudra ensuite que le Conseil européen et le Parlement européen travaillent en urgence pour que les nouveaux investissements puissent être mobilisés dès la mi-2015.
Dans la situation économique que nous traversons, marquée par une croissance molle, une inflation exceptionnellement faible, un risque de déflation, un niveau d’investissement en retrait de 15 % par rapport à la situation d’avant-crise et des taux de chômage insupportables économiquement et socialement, personne ne comprendrait que ce plan s’enlise dans des procédures d’adoption longues. Dès lors que la Commission européenne a présenté son projet, il y a urgence, selon nous, à mettre en œuvre les mesures de nature à le rendre opérationnel dès le premier semestre de l’année prochaine.
Par ailleurs, la Banque européenne d’investissement devrait être invitée à démarrer, en avance de phase, sur ses fonds actuels, le financement d’un certain nombre de projets.
C’est un calendrier ambitieux, mais qu’il nous faut tenir. C’est pourquoi des points de situation devront être faits lors des Conseils européens de mars et de juin 2015. Le Conseil européen des 18 et 19 décembre fixera une feuille de route précise pour l’année prochaine.
Ces propositions doivent bien sûr être précisées, complétées, amplifiées. Nous en sommes d’ailleurs convenus avec nos partenaires allemands lors du Conseil économique et financier franco-allemand qui s’est tenu à Berlin la semaine dernière.
À cette occasion, nous avons également décidé de poursuivre et d’accélérer nos travaux dans d’autres domaines importants pour la situation économique de l’Union européenne, tels que la lutte contre l’optimisation fiscale, la taxe sur les transactions financières, sur laquelle il faut absolument aboutir, la création d’une union des marchés de capitaux en Europe ou encore le renforcement de la gouvernance de la zone euro.
À cet égard, l’approfondissement de l’Union économique et monétaire pourrait donner lieu à une réunion informelle des chefs d’État ou de Gouvernement en février 2015, le rapport final des quatre présidents – ceux du Conseil européen, de la Commission européenne, de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne – étant attendu en juin 2015.
Le premier semestre de l’année 2015 s’annonce donc très intense : il s’agit de faire déboucher les nouvelles priorités, dans lesquelles nous avons nous-mêmes souhaité que le président Juncker et la Commission s’investissent, à savoir la relance de la croissance et des investissements, au service de l’emploi et de l’avenir de l’Union européenne.
Nous estimons que ce plan peut être encore renforcé. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a lui-même évoqué devant le Parlement européen des contributions additionnelles possibles des États membres : dans cette perspective, des flexibilités au pacte de stabilité et de croissance pourraient être introduites, afin d’inciter les États membres à apporter des fonds supplémentaires au plan.
Par ailleurs, les banques nationales, telles que la Caisse des dépôts et consignations, la BPI, la Banque publique d’investissement, la KfW, en Allemagne, pourraient être elles aussi sollicitées, afin de contribuer à renforcer les garanties publiques et les fonds dédiés à ce plan d’investissement.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui constituera le cœur des travaux du Conseil européen.
Les chefs d’État ou de Gouvernement échangeront également sur la situation internationale, en particulier l’Ukraine.
Depuis la réunion en « format Normandie » que le Président de la République a organisée à Ouistreham, lors des cérémonies de célébration du soixante-dixième anniversaire du Débarquement, à laquelle participaient notamment le Président russe Vladimir Poutine, le Président ukrainien Petro Porochenko et la Chancelière Angela Merkel, la France poursuit inlassablement le même objectif : la paix, le respect du droit international, la recherche d’une solution politique au conflit ukrainien.
La situation sur le terrain, nous le savons, reste préoccupante, avec des combats et un bilan humain qui s’est alourdi depuis le mois de septembre : près de 1 000 personnes ont été tuées alors même qu’un cessez-le-feu avait été conclu à Minsk le 5 septembre dernier.
Le sentiment d’être dans une impasse va croissant, renforçant l’impatience, voire l’exaspération, de la population ukrainienne. À la suite des sanctions qui ont été prises, la situation économique de la Russie est devenue très difficile.
Nous devons intensifier nos efforts auprès tant des Russes que des Ukrainiens, pour qu’ils reviennent aux accords de Minsk, qui constituent la feuille de route en vue d’instaurer une situation de paix durable.
C’est pourquoi le Président de la République a pris l’initiative, la semaine dernière, au retour de son déplacement au Kazakhstan, de s’entretenir avec le Président Poutine pour faire valoir la nécessité d’une désescalade et d’une relance du processus politique.
Les premiers résultats sont visibles : le Président Porochenko, avec lequel le Président François Hollande s’est entretenu dimanche dernier, vient d’annoncer que les tirs avaient cessé dans le Donbass. Des négociations entre les autorités ukrainiennes et les séparatistes doivent reprendre à Minsk. Le Président russe et le Président ukrainien doivent également renouer le dialogue. Il faut maintenant préparer les prochaines étapes, ce à quoi nous nous employons. À cet égard, le protocole de Minsk constitue notre boussole.
Notre conviction, largement partagée par nos partenaires de l’Union européenne, est qu’il n’y a d’autre objectif possible que de préserver l’intégrité territoriale et la souveraineté d’une Ukraine démocratique, et d’autre voie pour y parvenir que le respect des engagements qui ont été agréés par toutes les parties dans le cadre des accords de Minsk.
La France et l’Union européenne sont pleinement mobilisées pour trouver une issue à cette crise : il y va de la stabilité du continent, de la paix et de nos relations avec nos voisins.
Voilà sur quoi porteront, pour l’essentiel, les discussions des chefs d’État ou de Gouvernement lors de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 décembre, à l’aube d’une année 2015 qui doit être une année utile pour l’Union européenne, pour la croissance et l’emploi, pour la relance du projet européen. §