Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est donc à un nouveau plan de relance de l’activité économique, préparé par la Commission européenne, que le prochain Conseil européen réservera l’essentiel de ses travaux.
Personne, je crois, ne remettra en cause le constat sur lequel s’est appuyé Jean-Claude Juncker pour formuler ses propositions. Le niveau de l’investissement en Europe n’est plus préoccupant : il est proprement insuffisant, et même franchement inquiétant. En effet, depuis 2007, et tout au long de la crise, il a décru de 15 %. C’est l’ensemble de l’économie, de l’emploi, de la compétitivité de l’Europe qui s’en trouve très gravement atteint. Nous devons donc agir, fortement et urgemment.
Mais, disons-le, les écologistes ne sont pas persuadés que les mesures avancées soient aussi solides et pertinentes qu’elles devraient l’être, quelle que soit la nature des projets qu’il pourrait être proposé de retenir au titre de ce plan.
D’abord, le montant annoncé de 315 milliards d’euros ne nous paraît pas aussi important que l’on veut bien le dire. Cela ne représente en effet que 2 % du PIB européen. En 2009, les États-Unis avaient opté, de leur côté, pour un plan de relance de quelque 650 milliards d’euros… Nous en sommes loin !
Surtout – et cela est bien plus préoccupant ! –, ces 315 milliards d’euros sont en réalité très virtuels, car la totalité du plan repose sur un montage financier que l’on nous annonce redoutablement efficace, mais dont les résultats pourraient s’avérer bien maigres. Le Conseil Ecofin en a validé hier les modalités, que le Conseil européen devrait adopter à son tour la semaine prochaine.
Il s’agit de créer un fonds doté de 16 milliards d’euros apportés par les États membres sous forme de garantie et de 5 milliards d’euros fournis par la Banque européenne d’investissement, soit un total de 21 milliards d’euros d’argent public, que l’on espère transformer, grâce à un double effet de levier, en 315 milliards d’euros d’investissements.
Il faut bien le dire, tout se passe comme si le chiffre de 300 milliards avait été initialement avancé sans réelle réflexion prospective et s’il avait ensuite été justifié par une maquette de financement imaginée dans la précipitation, en veillant surtout à ne pas trop déranger certains de nos partenaires réticents à abonder ce fonds.
Or les objectifs affichés ne nous permettent pas d’être aussi optimistes sur l’effet multiplicateur de ce fonds. Ce dernier est supposé soutenir des investissements stratégiques plus ou moins risqués, d’intérêt public et général, c'est-à-dire des investissements qui n’intéressent que trop peu les établissements financiers privés.
Autrement dit, il est irréaliste de penser que cette dépense publique permettra de garantir une levée de fonds privés suffisante pour que celle-ci soit véritablement efficace. Le risque est grand de voir le plan Juncker échouer en raison de cet effet de levier irréaliste, comme beaucoup d’autres avant lui.
Rappelons que l’on nous avait déjà promis une grande vague d’investissements européens en 1992, à la fin de l’ère Delors, en 2004, sous la précédente présidence italienne, ou en 2012, avec le fameux plan de relance, dont on peut, avec le recul, sérieusement mettre en question les effets. À l’échelle française, nous avons connu le même type d’annonces, combinant investissements publics et levier privé, avec le plan Chirac de 2006.
Dans certains cas, bien sûr, des projets pourront se concrétiser plus facilement, mais on peut penser qu’ils auraient de toute façon trouvé assez de soutien pour être lancés. Chaque euro public dépensé dans le cadre, par exemple, d’un soutien consenti par la BEI représenterait davantage un effet d’aubaine pour le privé qu’un investissement réellement efficace pour la collectivité.
Au sujet de la BEI, plusieurs points méritent d’ailleurs d’être relevés. Ils dépassent le cadre du plan Juncker proprement dit, mais lui font évidemment écho et doivent être pris en considération si nous voulons que cette institution contribue réellement à la relance de l’activité économique au cœur de l’Union européenne.
D’abord, la BEI n’intervient traditionnellement pas – ou très peu – dans certains secteurs, tels que l’agriculture, la défense ou l’éducation, qui ont pourtant bien besoin de fonds européens pour financer leurs investissements. Est-ce à dire qu’ils seront de fait exclus du bénéfice des fonds octroyés par la BEI dans le cadre du plan Juncker ? Ne devrait-on pas inciter la BEI à changer ses pratiques en la matière ?
Ensuite, il est parfois difficile d’établir avec précision le parcours des financements octroyés par la BEI, et donc leur efficacité. À titre d’exemple, dans notre pays, ces fonds peuvent transiter par des banques commerciales lorsqu’ils sont à destination de PME sans que l’on sache précisément le rôle de cet apport, en bout de chaîne, dans les montages de projets portés par ces entreprises. Ne faudrait-il pas, monsieur le secrétaire d'État, commanditer sur ce point précis une étude exhaustive des pratiques afin de remédier aux éventuels abus ?
De manière plus générale, ne devrait-on pas améliorer notre connaissance des effets réels qu’ont les financements européens sur nos économies, nos territoires, nos secteurs d’activité ? Ce serait pourtant la moindre des choses pour améliorer le ciblage de nos politiques et pour mieux utiliser l’argent public européen !
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la construction européenne s’est faite par la construction progressive d’institutions, l’établissement de compromis, la gestion de crises successives. Elle a toujours eu du mal à se doter de stratégies à moyen et long terme clairement définies. Les différents acteurs qui l’animent fonctionnent encore très largement chacun de leur côté, sur un mode très instrumental. Ils peinent à mettre en place les synergies qui leur permettraient d’avancer collectivement, à agir de manière cohérente au service des objectifs de l’Union européenne. Cela a pour conséquence que telle politique européenne – la politique de concurrence, par exemple – prend trop souvent le pas sur telle autre – la politique industrielle, par exemple –, ou que nous nous trouvons incapables d’engager une convergence fiscale entre des économies qui sont, pour le reste, profondément intégrées.
La répartition des compétences entre les États et l’Union européenne, d’une part, et entre les différentes institutions européennes elles-mêmes, d’autre part, a ainsi quelque chose d’étonnant, pour ne pas dire de stupéfiant ! Elles sont à la fois trop et pas assez exclusives les unes des autres. Pensez aux projets de traité de libre-échange avec le Canada ou avec les États-Unis : préparés de manière quasiment unilatérale par la Commission, on ignore encore s’ils devront être ratifiés par le seul Parlement européen ou par les vingt-huit parlements nationaux. Cette incertitude est, à elle seule, incroyable…
Si nous devons retenir quelque chose de ces négociations sur les traités transatlantiques avec nos amis Nord-Américains, c’est précisément l’efficacité de leurs modèles fédéralistes. Il ne s’agit pas de les dupliquer ou de les ériger en horizon indépassable, mais c’est en revoyant nos manières de procéder et en repensant les missions de chacun, en clarifiant et en revivifiant les institutions européennes que nous pourrons remettre l'Union européenne sur une trajectoire positive et porteuse d’avenir. §