Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la prochaine réunion du Conseil européen va se tenir dans un contexte économique particulièrement tendu. Le taux de chômage ne cesse d’augmenter sans réelle perspective d’amélioration, une part de la population européenne s’est fortement paupérisée et les tendances de l’investissement en Europe restent inquiétantes.
L’Allemagne n’est pas en reste et ne peut plus cacher les effets négatifs de la politique d’austérité menée par la Chancelière Angela Merkel. Les infrastructures de l’État fédéral sont en voie d’obsolescence et 20 % de la population active allemande vivrait aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Je ne suis donc pas certain que, avec un tel palmarès, Mme Merkel ait toute légitimité pour donner des leçons d’économie à la France…
Selon de nombreuses études, la chute de l’investissement depuis 2008 est deux fois plus prononcée en Europe qu’aux États-Unis ou au Japon. Le niveau de l’investissement privé dans la zone euro était, au début de 2014, inférieur de quinze points à celui de 2007, et il ne représente plus que 19 % du PIB de la zone euro, contre 25 % aux États-Unis.
Qui pis est, le volume de l’investissement public de la zone euro était en 2013 deux fois inférieur à celui des États-Unis. En trente-cinq ans, il a été divisé par deux sous l’effet de choix européens et nationaux contre-productifs.
Pour investir au même rythme que les États-Unis, l’Europe aurait dû dépenser 540 milliards d’euros de plus en 2012 et en 2013 ! L’Europe, avec des États endettés investissant de moins en moins, doit aussi compter avec des banques plus soucieuses de leur rentabilité et de leurs ratios prudentiels que du financement de l’économie.
Aussi l’annonce d’un plan de relance de 315 milliards d’euros par M. Juncker pouvait-elle apparaître comme une bouffée d’air frais, permettant d’éviter la spirale déflationniste.
Le plan Juncker n’engage cependant que fort peu de fonds propres publics européens, puisqu’il ne mobilise que 5 milliards d’euros provenant de la BEI et 16 milliards d’euros au titre du budget de l’Union, le tout par redéploiement. L’apport des capitaux privés, très largement majoritaires, doit intervenir sans création monétaire, par la seule mobilisation de l’épargne disponible.
De fait, la crainte est grande de voir la Commission sélectionner les projets selon des critères assez évidents de rentabilité de court et moyen terme, au détriment d’un développement économique et social plus équilibré, respectant l’environnement, les hommes, les territoires et faisant reculer les déséquilibres régionaux et infranationaux.
Ce plan repose sur une logique purement financière, une logique de marché, qui met en concurrence les États et les projets.
Ainsi, les projets pouvant bénéficier du fonds seront sélectionnés par des experts dont le choix reste à définir, et non par des membres de la Commission européenne ou des représentants politiques. Sur ce dernier aspect, le président de la Commission européenne ne cache pas sa défiance à l’égard des représentations nationales.
Ces projets devront être – je cite – « attrayants, dépourvus d’obstacles réglementaires et motivés par la réalité économique ». Tout un programme, mais qui reste relativement flou, s’agissant en particulier de ce dernier critère d’éligibilité évoqué par M. Juncker devant le Parlement européen.
Enfin, ce plan reste axé sur des réformes structurelles libérales. En effet, le troisième pilier sur lequel repose le projet de M. Juncker invite à la simplification des règles afin de créer un bon environnement pour les affaires. Cela suppose « d’améliorer l’efficacité des dépenses nationales, l’efficience des systèmes fiscaux et la qualité de l’administration publique à tous les niveaux », ou encore de mettre en œuvre le troisième paquet énergie, soit une privatisation totale de ce secteur et la fin des tarifs réglementés de l’électricité. À cet égard, d’après M. Juncker, « une réglementation des prix de détail qui fausse le marché persiste dans certains États membres et il est nécessaire d’y remédier ». Il en est de même pour la mise en œuvre du quatrième paquet ferroviaire… Et ce ne sont ici que quelques exemples représentatifs des mesures contenues dans ce troisième pilier !
En fin de compte, la conception du plan Junker vise à assurer aux détenteurs de capitaux de nouvelles marges de rentabilité, en laissant aux États le soin d’éponger les désordres sociaux et économiques constatés en pareil cas.
Si cela marche, les profits tomberont dans les « bonnes poches » ; si cela ne marche pas, l’argent public viendra suppléer… Beaucoup estiment que le levier que brandit le président Junker risque d’être fait d’un bois bien moins solide que le bâton de l’austérité et de la déflation…
Pour nous, si plan de relance de l’investissement il y a, il doit viser avant tout la création de débouchés pour les entreprises, notamment en relançant la commande publique et la consommation, qui ont été particulièrement touchées par les politiques d’austérité. Nous pensons qu’il est impératif d’investir davantage dans le développement des compétences professionnelles afin d’aider les personnes à conserver leur emploi ou à réintégrer le marché du travail, de soutenir le pouvoir d’achat et de créer de la croissance.
En termes d’infrastructures, il conviendrait de répondre aux besoins, existant dans plusieurs pays de l’Union, de régénération des réseaux qui sous-tendent un aménagement du territoire équilibré et finement maillé.
Les politiques budgétaires trop restrictives et la course au moins-disant salarial engagée partout continuent d’affaiblir structurellement la demande intérieure dans la zone euro. Dès lors, un changement substantiel de l’orientation des politiques économiques européennes ne peut provenir, pour l’essentiel, que d’une réorientation des politiques nationales.
Nous ne pensons pas, comme M. Juncker, que l’investissement public, et donc la dette lorsqu’elle soutient l’investissement, constituent une trahison envers nos enfants et les générations futures. Elles constituent au contraire un devoir pour les États.
À cet égard, nous ne pouvons que regretter l’échec actuel des négociations relatives au projet de taxe sur les transactions financières, qui remet en cause l’instauration de ce prélèvement au début de 2016, comme il était prévu.
Cette taxe, avec un taux prévu de 0, 1 % pour les actions et les obligations et de 0, 01 % pour les produits dérivés, a aussi pour objet de faire supporter aux banques les dommages causés par les crises bancaires et la dette en Europe. Elle permettrait de lever près de 6 milliards d’euros, notamment pour financer l’aide au développement. Cela serait un bel exemple pour les générations futures ! Plusieurs médias rendent la France responsable de cet échec. J’aimerais entendre votre point de vue sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'État.
Je voudrais, pour conclure mon intervention, souligner les inquiétudes légitimes que suscitent les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États prévus dans les projets d’accord entre l’Union européenne et Singapour ou le Canada, ainsi que dans la négociation avec les États-Unis.
Ces projets de traité prévoient en effet la possibilité d’un recours à l’arbitrage privé pour les secteurs privé et public et pour les États signataires en cas d’irrégularités. Ces mécanismes, dont nous avons eu l’occasion de discuter en commission, risquent de peser lourdement sur les finances des États et de porter atteinte à leur souveraineté.
Au-delà du renforcement des règles de transparence et d’information entourant la négociation des traités commerciaux ou d’investissements, nous souhaitons que soit garanti juridiquement le droit des États à réglementer, sans qu’il puisse être limité par les « attentes légitimes » des investisseurs.
En effet, il n’est pas concevable que l’intervention légitime d’un État dans un but d’intérêt général puisse donner lieu à compensation au nom de son incidence économique sur l’investisseur. C’est pourquoi nous nous félicitons de l’adoption à l’unanimité de notre proposition de résolution par la commission des affaires européennes. §