Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 10 décembre 2014 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 18 et 19 décembre 2014

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Bien sûr ! Leur idéal, le nôtre, était aussi celui de Jacques Barrot.

La crise économique a révélé à quel point l’Europe n’est plus une évidence pour un trop grand nombre de nos concitoyens. Les générations qui ont porté la fondation de l’Union européenne laissent peu à peu la place à des générations ayant grandi avec l’idée que la paix et la prospérité sont des acquis de l’histoire. Ces nouvelles générations nous renvoient – c’est le sens des résultats des dernières élections européennes – aux difficultés que l’Union européenne doit résoudre pour aider les États à surmonter la crise économique qui nous frappe depuis 2008.

Cette crise change de visage tous les ans : crise financière en 2007, crise bancaire en 2008, crise économique en 2009, crise de la dette souveraine depuis 2010, crise de l’investissement et de la production depuis 2011, crise sociale avec l’explosion du chômage, crise ukrainienne déstabilisant les relations entre l’Union européenne et la Russie.

Pour autant, nous ne devons pas dramatiser à outrance la situation. L’avenir économique de l’Union européenne et de la zone euro est assombri par la menace déflationniste. C’est un fait, nous le savons. Le caractère même de l’action européenne étant le pragmatisme, nous nous devons, face à un problème, d’apporter une solution concrète.

La nouvelle commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker a bien pris la mesure de la situation actuelle et de ses responsabilités pour prévenir les risques à venir.

C’est le principal point à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen : la définition et la mise en œuvre du plan d’investissement de 300 milliards d’euros annoncé voilà plusieurs semaines.

Sur ce point, j’aimerais, monsieur le secrétaire d’État, attirer votre attention sur deux écueils à éviter : nous ne devons pas reproduire l’épisode du pacte sur la croissance et l’emploi de 2012, qui s’est révélé vide de contenu ; nous ne devons pas non plus limiter ce plan d’investissement à une entreprise de saupoudrage budgétaire au niveau national.

Concernant le premier écueil, le Premier ministre italien, Matteo Renzi, a évoqué lors de la COSAC, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, qui s’est tenue à Rome, la nécessité, pour une politique budgétaire et financière, d’avoir « un nom et un prénom » : stabilité et croissance.

Depuis 1997, nous avons le pacte de stabilité et de croissance, qui fait obligation de respecter un cadre commun de sérieux budgétaire. Pendant trop longtemps, nous avons assimilé le sérieux à la rigueur.

Pendant également trop longtemps, nous avons manqué d’une véritable politique intégrée et fédéralisée d’investissements stratégiques et de croissance. L’Union européenne dispose d’un potentiel financier sous-employé, sous-exploité, dont la mobilisation permettrait de réaliser de véritables opérations d’investissements publics stratégiques que les États ne peuvent plus financer.

Cette remarque me conduit à évoquer le second écueil à éviter : le saupoudrage.

Le Gouvernement a envoyé avant-hier à la Commission une liste de trente-deux projets nécessitant la mobilisation de 48 milliards d’euros. J’aimerais pouvoir me féliciter de cette nouvelle, mais un doute me hante : ne passons-nous pas à côté de l’essentiel ? Le plan de M. Juncker doit être stratégique, pas géométrique : il s’agit non pas de reverser une quote-part au prorata de la richesse relative des États membres de l’Union, mais de financer des projets structurants pour l’avenir. Parmi les projets définis par le Gouvernement, nous trouvons le projet de gazoduc Val-de-Saône pour 700 millions d’euros, la liaison ferroviaire Charles-de-Gaulle express pour 300 millions d’euros ou la prolongation de la ligne E du RER vers La Défense. On parle aussi de 15 milliards d’euros pour les usines pilotes de nouvelle génération.

Ces propositions sont intéressantes, mais qu’en est-il du programme de rénovation urbaine de 5 milliards d’euros d’ici à 2017 ? C’est à l’État de le réaliser, pas à l’Europe ! Il en va de même pour la rénovation thermique des logements ou les prêts aux PME qui investissent dans le capital technologique.

Peut-être devrions-nous nous concentrer sur les sujets qui dépassent le périmètre national : le développement durable, la croissance verte, la santé, le numérique, l’espace, l’aéronautique, l’industrie, bref tous les secteurs-clés qui dessineront l’économie de demain. Tous les pays membres sont amenés à procéder selon la même méthodologie, mais, en fin de compte, je regrette que ce ne soit pas l’Union elle-même qui définisse ses projets en totale autonomie.

J’évoquerai, à ce titre, le projet de ligne Lyon-Turin. L’Europe s’est construite selon un axe nord-sud depuis le Moyen-Âge. Notre continent manque d’une grande ligne de communication est-ouest : voilà un projet structurant pour l’avenir, vecteur de croissance pour demain. À cet égard, je m’inquiète des déclarations de Mme Karima Delli, députée européenne française. Alors que, en France, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, les parlementaires, à dix exceptions près, ont voté en faveur de ce projet, Mme Delli s’y oppose. Je tenais à attirer votre attention sur ce point, mes chers collègues, qui illustre nos divergences profondes avec certains parlementaires européens français.

Les enjeux sont trop grands pour être pris à la légère. Monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge. Pour l’heure, les modalités de financement du plan Juncker semblent encore incertaines. L’Union mobilisera 21 milliards d’euros : 16 milliards provenant des fonds européens, 5 milliards de la BEI pour servir de garantie à un fonds qui recevra des financements privés.

Il appartiendra ensuite à la BEI de lever ces fonds privés sur les marchés, pour un montant de 315 milliards d’euros. Je trouve cet objectif spectaculaire, mais peut-être instable, d’autant que la Commission a identifié au travers des demandes des gouvernements près de 1 200 projets, pour un montant de 1 300 milliards d’euros, dont près de 500 milliards devront être mobilisés dans les trois prochaines années.

Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux que souscrire à cette belle ambition. Toutefois, je souhaiterais avoir des garanties sur la solidité du mode de financement de ces projets, ainsi que sur la méthodologie retenue pour leur sélection.

Nous ne pouvons prendre le risque de l’échec. S’il faut monter un nouveau plan de relance dans les cinq prochaines années, c’est qu’il sera peut-être alors trop tard pour garantir la survie de notre idéal européen.

Vous avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d’État, que ce plan doit servir l’emploi et la croissance. Or, dans la mondialisation actuelle, on sait très bien que l’Europe est fragile, qu’elle n’a ni défense ni énergie. Aujourd'hui, la Chine est la première puissance mondiale. Nous avons rencontré récemment le chef d’état-major de la marine, qui nous a dit que la marine chinoise n’était plus une marine régionale : elle est désormais présente partout, y compris en Méditerranée. Les Chinois ont même essayé d’acheter l’Islande, pour contrôler la route de l’Arctique !

L’Europe est-elle assez forte pour résister à cette mondialisation, à la montée en puissance de ce pays fantastique ? Non ! C’est pourquoi je souhaiterais que nous réfléchissions à nos relations avec la Russie. L’Europe a un intérêt économique évident à travailler avec ce partenaire géographique naturel. Nicolas Sarkozy ne disait pas autre chose lorsqu’il proposait, dans son discours de Saint-Pétersbourg, en 2010, la création d’un ensemble économique réunissant l’Union européenne et la Russie.

J’ai pu constater à quel point le Président de la République était conscient de l’importance capitale de notre voisin russe. En tant que président délégué pour le Tadjikistan du groupe d’amitié sénatorial France-Asie centrale, j’ai participé, avec deux de mes collègues, au voyage du Président au Kazakhstan, la semaine dernière. À Almaty, au cours d’une réunion avec les chefs d’entreprise qui accompagnaient la délégation, ceux-ci ont fait part au Président de la République de leurs inquiétudes à propos des sanctions prises à l’encontre de la Russie, qui empoisonnent nos relations avec Moscou et, surtout, déstabilisent l’économie de nombreux pays européens, avec les conséquences sur l’emploi qui en découlent.

En conclusion, je tiens donc à saluer l’initiative qu’a prise François Hollande de rencontrer Vladimir Poutine. Cette rencontre, intelligemment préparée, en particulier avec le président Nazarbayev, qui l’a permise, pourrait aider le président russe de sortir de l’isolement dans lequel il s’est enfermé.

Nous ne pourrons faire l’Europe que si nous savons regarder au-delà de nos frontières européennes et élargir celles-ci, monsieur Rachline ! §

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