Intervention de Didier Marie

Réunion du 10 décembre 2014 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 18 et 19 décembre 2014

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen de décembre doit prendre des décisions cruciales pour l’Europe. Après l’Union bancaire l’an dernier, il doit valider un projet et une stratégie de croissance pour les trois prochaines années. Je centrerai mon propos sur ce sujet, qui doit recueillir toute notre attention.

La croissance est en panne dans la zone euro, et le niveau des investissements en est pour partie responsable. Non seulement ceux-ci ont considérablement ralenti depuis le début de la crise, mais ils sont inférieurs de 16 % à ce qu’ils étaient en 2008, soit 500 milliards d’euros en moins, représentant, selon la Commission, un demi-point de croissance annuelle. Ils ne représentent cette année que 2 % du produit intérieur brut européen, contre 5 % aux États-Unis, où ils ont retrouvé leur niveau d’avant la crise.

Ce déficit d’investissement a provoqué un vieillissement de l’équipement des entreprises, de nos infrastructures, entraînant une perte de compétitivité et l’augmentation du chômage, notamment celui des jeunes.

En matière d’innovation, de recherche, les pays européens ont perdu du terrain, sous l’effet conjugué du manque d’investissements privés et de la réduction des budgets publics : l’énorme succès de Rosetta et la promesse d’avenir que constitue Ariane 6 ne doivent pas occulter la réalité.

Pourtant, l’alignement des astres n’a jamais été aussi favorable à une reprise de la croissance. L’euro, sous l’impulsion de la Banque centrale européenne, et avec l’indulgence de la Réserve fédérale américaine, baisse enfin par rapport au dollar. Le prix du pétrole frôle les 80 dollars le baril, ce qui permet aux entreprises de dégager des marges et de soulager les ménages. Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas, ce qui n’est certes pas bon signe, mais permet d’emprunter aux meilleures conditions. Enfin, nous disposons en Europe d’une liquidité importante, qui alimente les bas de laine plutôt que l’investissement, du fait d’une aversion au risque résultant d’une forte crise de confiance.

C’est donc le bon moment pour prendre l’initiative, et c’est ce qu’a fait le président Juncker en dévoilant son plan de 315 milliards d’euros pour la croissance et l’emploi.

Comment ne pas voir dans l’annonce de ce plan la marque de l’action de la France depuis deux ans et demi ? Sous l’impulsion du Président de la République, François Hollande, notre pays n’a pas cessé d’appeler à une réorientation des choix économiques de l’Europe pour soutenir l’investissement et l’emploi. Si nous avons pu convaincre nos partenaires et créer les conditions de ce virage historique, c’est aussi grâce aux réformes soutenues par la majorité et à la crédibilité retrouvée de la parole de la France.

Cette initiative, qui sera présentée et débattue lors du prochain Conseil européen, marque une réelle inflexion de la politique européenne : nous tournons le dos au « tout-austérité ».

La question de l’investissement est désormais au cœur de l’agenda européen : ne boudons pas notre plaisir !

Ce plan affiche de bonnes intentions. On doit noter avec satisfaction la création du fonds européen pour les investissements stratégiques au sein de la Banque européenne d’investissement, qui devient ainsi l’outil financier nécessaire au retour de la croissance.

On peut se féliciter du consensus qui prévaut sur la définition des chantiers prioritaires : recherche, développement et innovation, économie numérique, infrastructures et interconnexions en matière de transports, transition énergétique, formation initiale et continue pour l’emploi des jeunes.

On peut aussi saluer la mise en place d’un comité indépendant pour la sélection des projets et la volonté de ne pas allouer d’enveloppe par pays ou par secteur, afin de garantir rapidité et efficacité d’action.

Enfin, on peut se réjouir que, pour la première fois, la Commission européenne accepte d’exclure du calcul des déficits publics nationaux une partie des dépenses d’investissement des États qui abonderaient cet effort.

Voilà pour les aspects positifs. Il n’en demeure pas moins que les annonces faites à ce jour soulèvent quelques incertitudes, voire des inquiétudes.

Tout d’abord, le montant affiché de 315 milliards d’euros sur trois ans sera-t-il suffisant pour relancer la croissance ?

Le Gouvernement français, par la voix de son ministre de l’économie, a indiqué que ce plan devrait reposer sur un apport d’argent frais de 60 milliards à 80 milliards d’euros de la part de l’Union européenne. Nous en sommes encore loin.

Récemment, la Pologne, par la voix de son ministre des finances, a estimé que 300 milliards d’euros constituaient un minimum et a souhaité la mise en place d’un dispositif permettant de mobiliser jusqu’à 700 milliards d’euros.

Les libéraux, au Parlement européen, plaident pour un apport de 700 milliards d’euros, quand le groupe socialiste chiffre le besoin à 800 milliards d’euros.

Hier, la task force a publié son rapport. Il y est indiqué que plus de 2 000 projets ont déjà été déposés par les États membres, sans que les collectivités territoriales y aient encore été associées, correspondant à 1 300 milliards d’euros d’investissements ; c’est dire si les besoins existent et sont considérables !

Le plan Junker, aussi bienvenu soit-il, ne peut être qu’un premier pas ; il doit être amplifié, accéléré. Il faut le rendre plus concret et y investir autant d’ambitions que dans les mesures de stabilité financière.

C’est pourquoi on peut regretter que le fonds européen pour les investissements stratégiques ne soit doté que de 21 milliards d’euros de capital, provenant principalement d’un redéploiement du budget européen. Certes, la Banque européenne d’investissement l’a doté de 5 milliards d’euros, mais les 16 autres milliards proviennent pour partie du mécanisme d’interconnexion du programme Horizon 2020 et des marges de réserve du budget. Ce n’est pas suffisant : il faudra à l’avenir faire appel aux disponibilités existant dans le cadre du mécanisme européen de stabilité, même si, pour l’heure, nos amis Allemands s’y refusent.

La Banque européenne d’investissement pourrait en outre réinvestir une part plus importante de ses bénéfices, prendre davantage de risques et assouplir ses conditions de financement afin de participer plus directement à la relance de l’investissement.

Enfin, si certaines flexibilités dans le calcul des déficits et des dettes publics sont envisagées au titre de la participation des États membres à la capitalisation du fonds, elles devraient l’être aussi à celui de leur engagement dans les projets d’investissement eux-mêmes.

On peut aussi se demander si l’annonce d’un coefficient multiplicateur de 15, qui transformera 1 milliard d’euros de fonds publics, en garantie ou en capital, en 15 milliards d’euros d’investissements privés est réaliste, et si ces derniers seront bien au rendez-vous.

Certains s’interrogent d’ailleurs sur la possibilité d’attirer des fonds privés pour des projets de recherche fondamentale ou de transport dont les retours sur investissement sont longs et incertains, et sur la part de fonds publics qui leur sera destinée.

Il faudra par ailleurs éviter l’enlisement procédural d’un mécanisme qui apparaît encore à ce jour complexe, à l’image de ce qui se passe pour l’initiative « Garantie pour la jeunesse », dotée de 8 milliards d’euros, mais qui décolle laborieusement du fait de la lourdeur de sa mise en œuvre.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en résumé, il faut donc éviter de recycler le budget européen existant, engager plus d’argent public et veiller à ce que les mesures soient d’effet immédiat.

À cet égard, on peut se féliciter du dépôt d’une trentaine de projets par la France, pour un montant de 48 milliards d’euros. Ils peuvent démarrer rapidement et 40 % d’entre eux portent sur le numérique et l’innovation.

Monsieur le secrétaire d’État, il convient également – je sais que vous en êtes convaincu, le Gouvernement plaidant en ce sens depuis deux ans et demi – de conforter cette stratégie pour la croissance et l’emploi par des décisions permettant à l’Europe de dégager des ressources propres, d’envisager l’émission d’obligations par la BEI, ou encore de créer un livret d’épargne européen.

L’Europe doit s’engager dans la mise en œuvre d’une fiscalité convergente, taxer les profits là où ils sont réalisés, notamment ceux de l’économie digitale, engager enfin une démarche d’harmonisation sociale susceptible de réduire les disparités et supprimer le dumping social.

Nous devons par ailleurs lutter sans merci contre l’évasion fiscale, et nous pouvons saluer à ce titre l’accord intervenu hier au Conseil Ecofin.

La mise en œuvre de ce plan doit s’accompagner d’un débat sur la flexibilité permettant de dépasser le dogme des 3 % de déficit, alpha et oméga de la Commission Barroso, responsable de l’austérité, et nous attendons avec impatience la communication sur les règles de flexibilité budgétaire que devrait publier la Commission en janvier.

Pour conclure, de nombreuses avancées ont été réalisées ces derniers mois pour réorienter l’Europe vers un projet qui a du sens, et nous vous en félicitons.

Maintenant, il nous faut un budget européen offensif, soutenant la demande. Monsieur le secrétaire d’État, le chômage de masse, le risque de déflation, le développement de la précarité obligent l’Europe à réagir. C’est la voie à suivre pour sauver cette dernière du populisme et du risque de désintégration. Il faut oser et innover. Nous accueillons donc positivement ce plan Junker, mais nous souhaitons que la France poursuive son action pour aller plus loin, plus vite, afin que, après ce premier pas, nous puissions continuer à avancer sur le chemin de la restauration de l’idéal européen. §

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