La première directive concerne la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins ; la deuxième porte sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines, et la troisième sur la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire.
Ce texte fait l'objet d'une procédure accélérée en raison du retard pris par la France : le délai de transposition de la première directive expirait le 1er novembre 2013. Alors que nous regrettions l'absence d'activité législative dans le domaine culturel l'année dernière, nous voilà contraints d'examiner un texte très technique dans des délais extrêmement courts : la Commission européenne ayant adressé un avis motivé aux autorités françaises le 10 juillet 2014, la France pourrait faire l'objet d'un recours en manquement devant la Cour de justice de l'Union européenne et se voir infliger une sanction pécuniaire d'un montant forfaitaire d'environ 10 millions d'euros par an ainsi que des astreintes allant jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'euros par jour. Ce ne serait pas le moment ! Nous ne pouvons que déplorer la manière dont le Gouvernement a géré ce dossier. Il y a urgence, donc, et notre marge de manoeuvre est très étroite : nous ne pouvons pas, sous peine de voir la France sanctionnée, adopter des dispositions qui ne seraient pas conformes aux directives.
Le titre I de ce projet de loi transpose la directive du 27 septembre 2011, qui porte de 50 à 70 ans la durée de protection de certains droits voisins, c'est-à-dire ceux des artistes-interprètes et des producteurs du seul secteur de la musique. Il s'agit de tirer les conséquences de l'allongement de la durée de vie des artistes, souvent en situation précaire, dont les enregistrements tombent dans le domaine public alors qu'ils sont toujours exploités. Afin que les artistes-interprètes tirent effectivement profit de l'allongement de la durée de protection des droits voisins, deux séries de mesures d'accompagnement sont prévues. D'une part, le texte oblige les producteurs à exploiter les phonogrammes pendant la durée supplémentaire de protection : à défaut les artistes-interprètes peuvent récupérer leurs droits pour trouver un autre producteur ou commercialiser eux-mêmes l'enregistrement. D'autre part, le texte prévoit le versement d'un complément de rémunération pour les artistes-interprètes.
Je vous proposerai deux amendements relatifs à cette disposition. Le premier prend mieux en compte le texte de la directive qui exclut expressément de la base de calcul de la rémunération les recettes issues de la location. Le second garantit le versement effectif de ce revenu supplémentaire en prévoyant que la société de perception et de répartition des droits (SPRD) de l'artiste-interprète puisse demander au producteur un état des recettes afin d'évaluer le juste niveau de rémunération due. Un régime d'exemption est prévu pour les petits producteurs, qui emploient moins de dix personnes et réalisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à 2 millions d'euros.
L'article 7 pose la question de la rétroactivité : conformément à la directive, seuls les phonogrammes encore protégés - et donc non tombés dans le domaine public - au 1er novembre 2013 bénéficieront du nouveau régime de protection. La directive est très claire sur la date d'entrée en vigueur, fixée au plus tard au 1er novembre 2013. Le retard pris dans la transposition en droit français entraînera donc un effet rétroactif pour les enregistrements tombés dans le domaine public entre le 1er novembre 2013 et l'entrée en vigueur de la présente loi. Cette rétroactivité, exclue dans le domaine pénal, ne soulève pas de difficultés particulières pour les producteurs concernés. À l'inverse, ne prévoir d'application de la loi qu'à la date de son adoption exposerait la France au paiement de lourdes pénalités.
Le titre II transpose dans le code de la propriété intellectuelle les dispositions de la directive 2012/28/UE du 25 octobre 2012 relative à l'utilisation des oeuvres orphelines. Il s'agit d'oeuvres divulguées et protégées par des droits d'auteurs ou des droits voisins, dont il n'est pas possible d'identifier ou de trouver les titulaires. Sans titulaire des droits à même de donner l'autorisation préalable, il est impossible de mettre ces oeuvres à disposition du public sous forme numérique. La directive instaure pour elles un régime spécifique d'exploitation, afin que les organismes poursuivant des objectifs d'intérêt public en matière culturelle et éducative puissent les numériser et les mettre à la disposition du public, dans un but exclusivement non lucratif. Ces organismes sont limitativement énumérés : bibliothèques, établissements d'enseignement, musées accessibles au public, services d'archives, institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore et organismes de radiodiffusion de service public.
La directive porte sur les oeuvres écrites et les oeuvres cinématographiques, audiovisuelles ou sonores, qui incluent les phonogrammes et les vidéogrammes, à l'exclusion des photographies et images indépendantes. De plus, l'oeuvre doit avoir été publiée, radiodiffusée ou rendue publiquement accessible dans un État membre. La directive précise qu'une oeuvre ne peut être déclarée orpheline que si aucun titulaire de droits n'a été identifié et localisé à l'issue de recherches « diligentes, avérées et sérieuses ». La liste des sources qui doivent être consultées au titre de ces recherches est fixée par décret en Conseil d'État, en se fondant sur l'annexe de la directive. La directive dispose que les décisions de classement comme oeuvre orpheline dans un État membre font l'objet d'une reconnaissance mutuelle de l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Ainsi, une oeuvre déclarée orpheline dans un État membre et répertoriée dans la base de données de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) pourra être mise à disposition du public, sans recherches diligentes préalables, dans l'ensemble de l'Union. Enfin, afin de ne pas léser un éventuel ayant droit, la directive prévoit que, lorsqu'un titulaire de droits se fait connaître, l'oeuvre cesse d'être orpheline et le titulaire reçoit une « compensation équitable » du préjudice de la part des organismes ayant mis l'oeuvre à la disposition du public.
Ce régime d'exploitation est assorti de lourdes contraintes, qui risquent de le rendre inopérant. Les organismes concernés devront supporter des coûts élevés, liés aux recherches, qui doivent avoir lieu pour chaque oeuvre incorporée, et à la mise à la disposition du public. Ils seront exposés à des risques contentieux non négligeables. Le Gouvernement a choisi de faire coexister le régime instauré par la directive avec celui de la loi du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle. Ainsi, les livres indisponibles et orphelins ne sont pas exclus du régime d'exploitation des oeuvres orphelines.
La transposition réalisée par ce projet de loi me paraît globalement satisfaisante. Les dispositions de la directive du 25 octobre 2012 laissent peu de marge d'appréciation aux États membres. Je vous présenterai toutefois un amendement à l'article 4. Il revient sur une mesure adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, qui limite à cinq ans la durée pendant laquelle l'organisme exploitant une oeuvre orpheline peut répercuter les frais liés à la mise en oeuvre de ce régime.
Le titre III transpose la directive du 15 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre. Plusieurs rapports de la Commission européenne ont démontré le manque d'efficacité de la première directive, qui date de 1993. La nouvelle directive allonge les délais pour différentes étapes de la procédure et élargit sa portée à tous les biens culturels reconnus « trésors nationaux » selon la définition retenue par chaque État membre. Elle précise que c'est sur le possesseur que repose la charge de la preuve de l'exercice de la diligence requise, et harmonise la définition de cette diligence en instaurant des critères communs.
L'article 6 du projet de loi propose une définition plus précise des trésors nationaux. Cette définition inclut toujours les oeuvres des collections des musées de France, les objets mobiliers classés monuments historiques ainsi que les autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art ou de l'archéologie, mais elle s'étend désormais à tous les biens culturels relevant du domaine public, au sens du code général de la propriété des personnes publiques, comme des archives publiques. Elle lève ainsi les ambiguïtés de la loi, qui avaient jusqu' à présent été tranchées par la jurisprudence.
Le renversement de la charge de la preuve est important, puisque l'article 2274 du code civil présume la bonne foi du possesseur d'un bien. Cette évolution est bien encadrée : des critères communs permettent d'interpréter de manière harmonisée la notion de diligence requise de l'acquéreur. En outre, elle est limitée au cas des restitutions d'État à État d'un bien culturel défini comme trésor national. C'est pourquoi les représentants du marché de l'art ne l'ont pas remise en cause tout en observant le changement majeur qu'elle représente. Bref, les articles 6 et 6 bis du projet de loi sont fidèles à la directive et devraient renforcer la lutte contre le trafic des biens culturels qui nous préoccupe.
Mes amendements ont deux objectifs : éviter toute infraction au droit communautaire, afin que la France ne soit pas sanctionnée, et garantir l'effectivité des nouveaux dispositifs proposés. J'ai été étonnée du faible degré d'information sur l'impact réel de ce texte. En particulier, je n'ai pu obtenir aucune évaluation du nombre de cas concernés par les dispositions sur les droits voisins et les oeuvres orphelines. Je vous propose néanmoins d'adopter ce texte sous réserve de l'adoption des trois amendements.