Intervention de Alain Néri

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 décembre 2014 : 1ère réunion
Ratification de l'accord établissant une association entre l'union européenne et ses etats membres d'une part et l'amérique centrale d'autre part — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain NériAlain Néri :

Lors de notre réunion du 29 octobre, nous avions souhaité le report de l'examen du projet de loi afin d'obtenir un complément d'information sur l'impact de la mise en oeuvre de cet accord sur les productions et les exportations agricoles de nos régions d'outre-mer.

Pour nos collègues, absents lors de cette première réunion, je rappelle que nous avons à délibérer sur un accord ayant pour partie : d'une part, l'Union européenne en tant qu'organisation internationale et ses Etats membres ; les pays d'Amérique centrale d'autre part. Il s'agit d'un accord mixte qui comprend des dispositions de la compétence exclusive de l'Union européenne et des dispositions qui sont de la compétence des Etats membres.

Les dispositions relatives au commerce entrent dans la première catégorie. D'ailleurs, la commission des affaires européennes en a été saisie au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Nous devons donc être conscients que, quel que soit notre vote sur l'ensemble, ces dispositions resteront en vigueur ; d'ailleurs elles sont d'ores et déjà en application, l'Union européenne en tant qu'organisation comme les États d'Amérique centrale ayant ratifié l'accord.

Pour autant, devant nous prononcer sur l'accord dans son ensemble, il ne semblait pas possible d'éluder un examen de cette partie et tout particulièrement de son impact éventuel sur les productions ultra-marines. En effet, le Sénat a exercé une grande vigilance sur ces questions puisqu'en 2011, il a adopté une résolution européenne s'inquiétant de la trop faible prise en compte de ces questions dans les négociations des accords commerciaux que l'Europe conclut avec des Etats tiers et pour demander l'instauration de clauses dérogatoires et des compensations financières. Cette préoccupation a été naturellement relayée par nos collègues de la commission des affaires européennes, saisie en 2012 au titre de l'article 88-4.

De fait, l'accord prévoit une libéralisation des échanges mais en ménageant un statut dérogatoire pour les productions ultramarines, statut renforcé s'agissant de la banane.

En quoi consistent ces dispositions ?

Tout d'abord, il n'y a pas de démantèlement tarifaire intégral. Un droit de douane continue à être perçu sur les importations. Ce montant est inférieur à celui prévu dans les accords de l'OMC jusqu'à un certain seuil. Au-delà de ce seuil, c'est le tarif de la « nation la plus favorisée » (NPF) jusqu'ici en vigueur qui s'applique. Au-delà d'une certaine date, il n'y a plus de seuil et c'est le tarif prévu par l'accord qui est appliqué.

Ainsi pour les bananes, le droit NPF est actuellement de 132 €/t et doit décroître jusqu'à 114 € en 2020, les pays d'Amérique centrale dans la limite d'un certain contingent par pays peuvent bénéficier d'un droit inférieur de 117 €/t en 2014 décroissant jusqu'à 75 €/t en 2020. Le contingent est également relevé chaque année, il est par exemple de 1 230 000 tonnes pour le Costa Rica en 2014 et sera de 1 486 000 en 2019. Il ne devrait plus y avoir de contingentement à partir de 2020 ce qui veut dire que toutes les importations en provenance du Costa Rica seront soumises au tarif de 75 €/t.

Si on prend l'exemple du sucre, il y a ouverture d'un contingent à droit nul de 12 000t/an ouvert pour le Panama et de 150 000 tonnes pour les 5 autres pays collectivement considérés et ce contingent augmente de 3% par an. Pour le rhum, c'est 1000 hl à droit zéro pour le Panama, plus 50 hl par an, et 7 000hl pour les cinq autres pays avec une croissance annuelle de 300 hl...

Ensuite, il existe une clause de sauvegarde (article 104) qui permet de revenir au tarif OMC si les exportations déstabilisent le marché. Cette clause permet de suspendre le calendrier de réduction des droits de douane ou de relever les droits lorsque les volumes importés menacent les productions de l'autre partie. La durée de la sauvegarde est de deux ans qui peut être prolongée une fois, ensuite il faut une année pour pouvoir l'appliquer de nouveau. Et cette mesure ne peut être appliquée au-delà de la période transitoire de 10 ans (ou de 3 ans après le démantèlement des tarifs). En cas de crise grave, il peut y avoir mise en oeuvre de mesures provisoires pendant 20 jours (article 106).

Enfin, il existe une clause dite de stabilisation spécifique pour les bananes. Cette clause permet de repasser au tarif OMC de l'année sur trois mois, en n'allant pas au-delà de l'année civile, si le seuil de déclenchement (contingent) est dépassé. Il n'y a donc pas à administrer la preuve d'une menace de déstabilisation comme pour la clause générale de sauvegarde (application du règlement n°20/2013 du 15 janvier 2013 (chapitre II articles 15 et suivants).

Enfin, il existe une clause de sauvegarde propre au marché local des régions ultramarines (article 109) lorsque le produit importé dans la région considérée menace la situation économique. Il peut être pris une mesure de sauvegarde de même durée mais limitée à cette région.

En outre, il a été prévu une compensation financière de 40 millions d'euros au moment de l'entrée en vigueur de l'accord en 2013, dont 18,5 millions d'euros pour les producteurs de bananes de Martinique et de Guadeloupe. Cette production est en effet la plus sensible et la mieux protégée. J'ajoute que les producteurs reçoivent chaque année 129 millions d'euros d'aides européennes, montant intangible qui, à titre dérogatoire, est délié du niveau de la production. Comme celle-ci a baissé depuis les tempêtes tropicales de 2008, l'aide à la tonne produite a augmenté de façon sensible.

La question reste de savoir si l'entrée en vigueur de l'accord a eu un impact.

C'est une question complexe. D'abord parce que nous n'avons pas de données statistiques exploitables, la durée d'application étant trop courte. Ensuite, il faudrait pouvoir éliminer des éléments « perturbateurs » que peuvent être des aléas climatiques outre-mer ou dans des pays exportateurs qui peuvent aboutir à un retrait de la production et donc à une stabilité ou une augmentation des prix, ou des effets de marché dont on peut se demander s'ils seront durables. Dans la première catégorie, on peut ranger les inondations qui ont frappé cette année la Colombie, dans la seconde, les campagnes de lutte contre l'obésité aux États-Unis, qui assurent la promotion de la consommation de fruits et ont fait croître les importations, notamment d'Amérique centrale. Bref, à ce stade, autant qu'on puisse en juger à travers les contacts que nous avons eus soit avec le ministère de l'outre-mer, soit avec nos collègues sénateurs de ces départements, soit avec les syndicats de producteurs dont nous avons recueilli le témoignage grâce aux auditions organisées le 27 novembre dernier par la délégation du Sénat pour l'outre-mer, il n'y a pas d'effets de déstabilisation liés à l'entrée en vigueur de l'accord. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y en aura pas, car ces productions souffrent de coûts de production très supérieurs à ceux des autres pays producteurs, à la fois en raison du coût du travail et du niveau de protection sociale des salariés, mais aussi des normes sanitaires et phytosanitaires qui interdisent certains traitements et certaines méthodes de traitement comme l'épandage aérien, ce qui renchérit singulièrement les coûts. Certes cela permet la production de produits de qualité, mais le prix reste, hors certaines productions de niche, le principal ressort de la décision d'achat des distributeurs.

La question revient dès lors à s'interroger sur l'efficience des mécanismes de sauvegarde ou de stabilisation susceptibles d'être déclenchés et mis en oeuvre en cas de crise.

Selon les informations que nous avons pu recueillir auprès des services concernés, seules les statistiques douanières européennes pourraient constituer des éléments d'appréciation, mais les conditions de mise en oeuvre des clauses de sauvegarde sont telles qu'il est difficile techniquement d'apporter les preuves de la déstabilisation et qu'il peut être long et coûteux d'entreprendre une action, sans être certain d'aboutir au résultat recherché. C'est ainsi que le Pérou, qui est concerné par un autre accord du même type que nous aurons à connaître prochainement, a dépassé en novembre 2013 le seuil de déclenchement de 79 000 tonnes fixé par l'accord, ce qui aurait dû conduire à la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde, mais la Commission a estimé qu'il n'y avait pas de déstabilisation et dès lors qu'il n'était pas nécessaire de remonter le droit de douane. À ce jour, ni les administrations européennes, ni les administrations nationales ne sont en mesure de suivre de façon rapide et objective la survenue d'éventuelles crises. Il faudrait pour cela mettre en place un observatoire capable de réaliser une évaluation « in itenere », mais chacune se renvoie la charge de le financer.

Dans ce contexte, nous pourrions attirer une nouvelle fois l'attention du gouvernement sur cette situation et lui demander de mettre en oeuvre un tel observatoire et de s'engager à transmettre chaque année au Parlement un rapport sur l'impact de la mise en oeuvre de cet accord sur le niveau des productions agricoles ultramarines, sur leurs exportations, et le revenu des producteurs et le déclenchement éventuel des mesures de sauvegarde et de stabilisation. Nous pouvons le faire au moyen d'une observation dans le rapport ce que nous invite à faire le choix de la procédure simplifiée pour l'examen du projet de loi. Nous serions en mesure de recueillir la réponse du gouvernement en séance publique, si un président de groupe demandait le retour à la procédure normale. Il est légitime pour la représentation nationale d'être tenue informée et de disposer des moyens d'évaluer la pertinence et les conséquences de ses décisions, y compris lorsqu'il s'agit des conséquences des conventions internationales dont elle autorise la ratification.

Dans ces conditions, et sous réserve de votre appréciation, compte tenu des avantages indéniables que cet accord apporte :

1. une ouverture dynamique des marchés centraméricains à nos productions agricoles (céréales, produits laitiers, vins et spiritueux), industriels et de services (ouverture des marchés publics) ;

2. des avancées en matière de propriété intellectuelle et d'indications géographiques protégées qui confortent les positions européennes dans les négociations commerciales internationales ;

3. l'appui que ces pays peuvent apporter à l'Europe et à la France, notamment au sein des organes des Nations unies où chaque État compte pour une voix ;

Il y a plus d'avantages que d'inconvénients à autoriser la ratification de cet accord. Je propose donc que la commission adopte le projet de loi.

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