Intervention de Henri de Raincourt

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 décembre 2014 : 1ère réunion
Approbation de l'accord interne entre les représentants des gouvernements des états membres de l'union européenne réunis au sein du conseil relatif au financement de l'aide de l'union européenne au titre du cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 conformément à l'accord de partenariat acp-ue et à l'affectation des aides financières destinées aux pays et territoires d'outre-mer auxquels s'appliquent les dispositions de la quatrième partie du traité sur le fonctionnement de l'union européenne — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Henri de RaincourtHenri de Raincourt, rapporteur :

Le ministère des affaires étrangères a commandé en 2013 une évaluation de la contribution de la France au FED, conduite par un cabinet de conseil extérieur qui a récemment rendu ses conclusions. Celles-ci sont globalement positives tant sur le FED que sur la place de la France, mais elles reprennent aussi des critiques régulièrement formulées à l'encontre du FED.

Côté positif, la masse critique du FED permet un impact important sur les projets de développement. En outre, ses ressources se sont progressivement concentrées sur moins de secteurs d'intervention et sa « ligne politique » apparaît plus claire pour les pays partenaires.

Le FED n'obéit pas au principe d'annualité, ce qui permet une meilleure efficacité de l'aide, mais rend également confuse l'exécution budgétaire car les différents FED se superposent. Aujourd'hui encore, la Commission continue d'exécuter des crédits correspondant au 9ème FED qui s'est terminé en 2007.

Par ailleurs, depuis 2012, l'Union européenne et ses Etats membres tentent de mieux coordonner leurs actions, en particulier via une « programmation conjointe ». Cette programmation a certes permis une discussion et une analyse formulée en commun sur les priorités et la situation des pays ACP, mais elle ne va pas jusqu'à organiser une réelle division du travail. Il est en particulier frappant de constater que, sur la période 2008-2012, la commission européenne n'avait délégué la gestion de crédits aux agences des Etats membres que pour un montant de 700 millions d'euros, alors que, sur la même période, elle versait plus de 3 milliards d'euros à des organisations internationales. Verser de telles sommes (environ 15 % du FED) aux organisations multilatérales apparaît comme une solution de facilité, même si cela peut être à nouveau justifié par l'effet de levier ; a contrario, il nous semble que déléguer les crédits à un Etat membre pourrait avoir un intérêt politique et stratégique indéniable pour l'Europe tout en renforçant l'efficacité de l'aide.

Il reste donc clairement un problème d'articulation entre les actions menées par l'Union européenne et celles menées par les Etats membres. Une meilleure coordination et un réel partage des tâches ressort plus, il est vrai, de la pratique que de l'accord lui-même... La question de la coopération se pose au niveau central mais aussi au niveau de chaque Etat ACP où le dialogue entre la délégation de l'Union et les Ambassades est assez hétérogène selon les personnalités et les engagements des uns et des autres.

Par ailleurs, même si la France n'est pas nécessairement un modèle en la matière, on peut s'inquiéter de l'organisation du pilotage de l'aide européenne. À la suite de la création par le traité de Lisbonne du service européen pour l'action extérieure, celui-ci partage avec la direction générale de la commission européenne chargée du développement et de la coopération la responsabilité de cette politique. Le SEAE est censé s'occuper de la stratégie et la DG-DEVCO de la gestion, mais la répartition des rôles n'est évidemment pas aussi tranchée et il existe une réelle difficulté à faire coexister les deux structures, placées sous des autorités différentes en raison du statut tout à fait particulier du SEAE. On peut également citer un autre organe de la commission, le service d'aide humanitaire et de protection civile de la Commission (ECHO) qui n'est pas rattaché à DEVCO.

Dans sa revue 2012 de la politique européenne de développement, le CAD de l'OCDE évoquait ainsi « un partage flou des responsabilités ». Il relevait aussi « des procédures encore lourdes qui ralentissent la mise en oeuvre des programmes tout en imposant des contraintes à des partenaires disposant de capacités limitées », ainsi que « des processus complexes et lourds concernant l'approbation et la passation des marchés ».

La principale critique régulièrement faite au FED réside donc dans sa lourdeur et sa gestion bureaucratique. Les acteurs du développement mettent souvent en avant les délais très longs de décaissement effectif des subventions du FED. Certaines mesures ont été prises au fil des années pour améliorer cette situation mais ce constat reste assez partagé, la Commission européenne restant souvent plus attachée au respect des procédures qu'au résultat sur le terrain. Ces lourdeurs sont surtout des handicaps pour les pays partenaires qui doivent mettre en place, quand ils le peuvent, des ressources humaines incroyables pour répondre aux demandes de la Commission et constituer les dossiers de demande de subvention.

Il serait particulièrement utile, sans sacrifier le contrôle et la lutte contre la fraude, de simplifier sensiblement ces procédures comptables qui détournent de facto des crédits d'intervention vers de la gestion administrative.

Quelques mots enfin sur une discussion qui a eu lieu entre les Etats membres durant les négociations en ce qui concerne les critères d'allocation et de conditionnalité de l'aide. Certains pays voulaient privilégier un petit nombre de critères macroéconomiques et mettre sensiblement l'accent sur les résultats du pays. La France a estimé que la question des besoins du pays devait rester centrale et ne pas être occultée par celle des performances. Il s'agit là aussi d'un débat ancien, qui a retrouvé une actualité avec les crises récentes au Mali, en Centrafrique ou au Burkina Faso. Si les questions de gouvernance, de droits de l'Homme ou de performance des pays sont essentielles, il faut aussi veiller à éviter de faire peser sur les populations une « double peine », qui serait profondément injuste.

En conclusion, nous vous proposons d'adopter le projet de loi autorisant la ratification de l'accord mettant en place le 11ème FED. Cette nouvelle programmation financière va dans le bon sens : elle se rapproche d'une budgétisation complète et ses priorités géographiques et sectorielles correspondent assez largement à celles de la France. Certes, la gestion du FED reste perfectible et pourrait être simplifiée pour améliorer l'efficacité de l'aide. En outre, la coopération entre la Commission européenne et les Etats membres pourrait être plus intense et la Commission pourrait tout de même privilégier la délégation de crédits aux agences des Etats membres plutôt qu'aux organisations multilatérales.

Quelques mots toutefois sur le calendrier. L'accord entre l'Union et les Etats ACP a été formellement signé en juin 2013, ce qui est relativement tardif par rapport à la date d'entrée en vigueur qui, je vous le rappelle, est le 1er janvier 2014. Ce retard est lié aux très difficiles négociations qui ont eu lieu sur le cadre financier général 2014-2020 car, pour la première fois, les deux exercices de négociations étaient liés, ce qui est par ailleurs positif.

Toutefois, le Gouvernement a mis une année entière avant de déposer le projet de loi de ratification. Déposé courant juillet dernier, ce projet a été adopté par l'Assemblée nationale le 20 novembre et inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée la semaine prochaine, le 18 décembre. La France sera l'un des derniers Etats membres à ratifier cet accord, alors même que la politique de développement devrait être l'une de nos priorités. Heureusement, un dispositif transitoire faisant appel à des reliquats de crédits a été mis en place pour faire la jonction entre la fin du 10ème FED et l'entrée en vigueur effective du 11ème FED, mais ce dispositif arrive au bout de ses capacités financières.

Notre commission regrette, depuis de très nombreuses années, l'important décalage qui existe entre la signature d'un accord par le Gouvernement et sa ratification, le Parlement étant cantonné à la portion congrue et souvent obligé d'examiner le projet de loi dans un délai extrêmement restreint. Je sais que le Président de la commission réfléchit à cette question ; ce texte constitue un nouvel exemple montrant que notre système administratif de ratification des traités peut s'améliorer...

Enfin, nous devons statuer sur la demande du Gouvernement d'examiner ce texte en procédure simplifiée en séance publique. En raison de tous les éléments indiqués précédemment, notamment le fait que ce 11ème FED ne nous pose pas de difficulté particulière, nous vous proposons d'accéder à cette demande. Nous aurons de toute manière de nombreuses occasions de revenir, dans les années à venir, sur le fonds européen de développement qui mobilise une part importante de notre aide et des crédits de la mission « Aide au développement ».

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