Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une certaine émotion que je monte aujourd’hui à la tribune, en tant que premier signataire de cette proposition de résolution invitant le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine.
Le débat que nous nous apprêtons à engager et notre vote sur ce texte sont attendus, car la voix de la France, pays fondateur de l’Union européenne, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et ami des peuples israélien et palestinien, compte sur la scène internationale. La France est forte quand elle représente un intérêt général plus important qu’elle-même. Elle l’a déjà prouvé en votant en 2011 en faveur de l’adhésion de la Palestine comme membre à part entière de l’UNESCO, puis en disant « oui » à l’accession de la Palestine au statut d’État observateur non membre de l’ONU en novembre 2012. De la Révolution française au général de Gaulle et à Mitterrand, chaque fois qu’elle a porté les aspirations de ceux qui peinent à peser sur le cours des choses, la France a toujours eu une influence supérieure à son poids réel. C’est ce qui fait sa spécificité et sa grandeur.
Voilà vingt ans, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat recevaient le prix Nobel de la paix pour les accords d’Oslo, lesquels, un an après leur signature, semblaient encore promettre une coexistence pacifique entre les deux États, l’un israélien et l’autre palestinien. Ce rêve, anéanti par les promesses non tenues de part et d’autre, ne verra jamais le jour si rien n’est fait pour amener les parties au conflit à s’entendre.
Aussi, les démarches politiques entreprises actuellement en Europe en vue de cette reconnaissance interviennent à un moment de blocage manifeste du processus de paix israélo-palestinien. Le cycle de négociations longues et intenses, dans lequel les États-Unis s’étaient fortement impliqués, s’est conclu au printemps par un échec ; il a été suivi, au cœur de l’été, par le conflit meurtrier de Gaza, qui a fait 2 160 morts, dont 83 % de civils, du côté palestinien. L’échec de la diplomatie a, une fois encore, repoussé la perspective d’un règlement définitif de ce conflit, laissant place aux compromis militaires et autres conférences de reconstruction. Une fois encore, une fois de trop.
Comment, d’ailleurs, ne pas avoir une pensée pour le ministre palestinien décédé hier lors d’une manifestation pacifique ?
Dans ce contexte, l’initiative parlementaire française a toute sa place. Ce combat pour la reconnaissance d’un État palestinien n’est pas nouveau ; il est défendu par la France depuis la déclaration de François Mitterrand au Parlement israélien en 1982. Tous les présidents de la République qui lui ont succédé – tous, mes chers collègues – ont agi avec constance pour la paix dans cette région du monde, jusqu’à l’actuel chef de l’État François Hollande, qui prend des initiatives diplomatiques fortes pour la tenue d’une conférence internationale.
Bien que vieux de plus de trente ans, ce combat prend une dimension nouvelle avec la reconnaissance unilatérale de la Palestine par la Suède. Fin octobre, la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, s’exprimait sur le sujet en affirmant, dans un entretien accordé à cinq quotidiens européens, qu’elle était favorable à une reconnaissance de l’État palestinien et qu’elle serait « heureuse si, au terme de [son] mandat, l’État palestinien existait ».
L’Europe a un rôle diplomatique à jouer dans la région ; elle est le premier contributeur d’aide aux territoires palestiniens. La France doit reprendre l’initiative diplomatique et entraîner ses partenaires du Quartet, dont l’Union européenne, dans une nouvelle dynamique.
Jusqu’à présent, l’idée qui prévalait était que la reconnaissance de l’État de Palestine devait être liée à la négociation bilatérale, après accord sur les frontières et le statut de Jérusalem, notamment. Cet argument perd aujourd’hui de sa force. Depuis l’échec, en avril, de la dernière médiation américaine, aucune négociation n’est en cours, aucun préparatif de pourparlers ne se dessine. M. le ministre des affaires étrangères et du développement international l’a rappelé lors de la dernière conférence des ambassadeurs, en août dernier : « À partir du moment où la négociation serait impossible ou n’aurait pas de conclusion, il faudrait évidemment que la France prenne ses responsabilités ». Il a raison : il est temps que la France prenne ses responsabilités et reconnaisse l’État de Palestine, car chaque jour qui passe sans un règlement de paix durable entre Israël et la Palestine écarte un peu plus la possibilité même de l’existence d’un État de Palestine viable, tant la colonisation à marche forcée des territoires occupés ampute le territoire du présumé futur État. Depuis la rentrée, 400 hectares de terre cisjordanienne ont été annexés, la construction de 1 000 nouveaux logements à Har Homa et Ramat Shlomo a été annoncée, et plusieurs maisons palestiniennes ont été confisquées.
Dès lors, je crois qu’il est au contraire nécessaire d’inverser la procédure qui n’a pas fonctionné depuis les accords d’Oslo, à savoir la négociation d’un accord intérimaire, suivie cinq ans plus tard d’une négociation bilatérale sur les grandes questions du statut final. Cette démarche, qui exclut de fait l’ONU, a fait la preuve de son échec. Aussi faut-il reconnaître dès à présent l’État de Palestine.
En effet, cette reconnaissance d’un État de Palestine, aux côtés de l’État d’Israël, vivant côte à côte, en paix et en sécurité, serait le premier pas vers une relation d’égal à égal. Ne pas reconnaître la Palestine comme État, c’est accepter que la situation actuelle perdure et que les peuples palestinien et israélien continuent à vivre dans un climat de violence et d’insécurité. Cette reconnaissance est la condition sine qua non de l’ouverture de véritables négociations entre Israël et la Palestine, afin d’aboutir à une paix durable.
Reconnaître la Palestine comme État, c’est se conformer au droit international ; or, lorsqu’on est législateur, on se doit d’être du côté du droit. Au nom du droit inaliénable à l’autodétermination, le peuple palestinien est fondé à se doter d’un État, qui doit être créé selon les normes approuvées par la communauté internationale qui avaient présidé à la création de l’État d’Israël. Cette reconnaissance sécurisera par ailleurs l’existence de l’État de Palestine, qui est aujourd’hui très gravement menacée par la poursuite de la colonisation israélienne.
J’ai entendu les arguments des opposants à cette reconnaissance de l’État de Palestine.
Israël, par la voix de son ambassadeur Yossi Gal, a exprimé ses craintes sur cette démarche, qu’il juge illusoire. Pour lui, seuls les pourparlers entre les deux parties permettront d’arriver à un règlement, et toute reconnaissance unilatérale serait vécue par Israël comme une stratégie d’évitement des négociations de la part des Palestiniens.
Or, depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin en novembre 1995, aucun processus de paix sérieux n’a été engagé. Le cycle de la violence s’est exacerbé. La colonisation israélienne, notamment autour de Jérusalem, s’est intensifiée, au point de compromettre l’existence même d’un État palestinien viable. La signature, le 26 août 2014, d’un énième cessez-le-feu entre Israéliens et Palestiniens n’a pas empêché une dangereuse recrudescence des violences. Aussi l’argument, par ailleurs tout à fait justifié, selon lequel la reconnaissance internationale d’un État palestinien devrait suivre l’obtention d’un accord avec Israël, perd beaucoup de son poids dans l’impasse actuelle.
Quant à l’idée d’une stratégie d’évitement des négociations de la part des Palestiniens, je crois qu’il faut rappeler le droit international : invoquer le droit à l’autodétermination n’est pas opposé aux négociations. La Palestine ne peut continuer à être l’exception aux normes internationales. Pour autant, les dirigeants palestiniens ne doivent pas se soustraire aux choix difficiles que les deux parties ont à faire, et les négociations seront nécessaires pour régir les relations entre Israël et la Palestine : elles devront aborder tous les sujets du statut final, en particulier les questions des réfugiés, de Jérusalem, des colonies et des frontières.
Certains pensent qu’il ne sert à rien de reconnaître un État palestinien, qu’il ne s’agit que d’un acte symbolique. Je ne suis pas de ceux-là ; je pense au contraire que cela a du sens, que c’est le seul choix qui permettra d’aboutir à la paix et de garantir aux Israéliens comme aux Palestiniens leur liberté et leur sécurité. Les parlementaires que nous sommes ne souhaitent pas adopter une décision symbolique ; ils souhaitent agir pour la paix.