Intervention de François Pillet

Réunion du 11 décembre 2014 à 9h00
Protection de l'enfant — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur pour avis :

La commission des lois vous propose néanmoins de supprimer cette disposition en raison des risques qu’elle présente.

D’abord, il convient de rappeler que l’automaticité du retrait serait contraire à nos règles constitutionnelles comme à nos engagements européens ; il y a donc là un gros risque juridique.

Ensuite, j’observe que cette disposition nous ferait revenir quarante ans en arrière. En effet, la France a connu, jusqu’en 1970, un dispositif de retrait automatique de l’autorité parentale. C’est la grande loi du 4 juin 1970, celle qui a mis fin à la prévalence de la puissance paternelle et posé les bases de notre conception moderne de l’autorité parentale, qui a en outre supprimé ce retrait automatique. On a estimé, à l’époque, que cette automaticité était contraire au principe même de la protection de l’enfance.

Mes chers collègues, arrêtons-nous un instant sur ce point, car il me semble que le législateur de 1970 avait fait là preuve d’une certaine sagesse. La meilleure protection que l’on peut apporter à un enfant est ce qui correspond parfaitement à sa situation individuelle, avec toutes ses nuances et ses particularités. Il n’y a rien de plus éloigné de la protection de l’enfance que des solutions toutes faites, des mécanismes simplistes, ou des automatismes brutaux. Oui, il faut avoir le courage de le dire, il est parfois préférable pour l’enfant que le juge renonce à prononcer le retrait de l’autorité parentale.

J’ajoute qu’il suffit d’ailleurs de citer l’étendue du champ couvert par le retrait de l’autorité parentale pour voir que l’automaticité de celle-ci ne saurait pas être retenue. Dès lors que tous les crimes et tous les délits commis contre l’enfant ou l’autre parent sont concernés, une blessure involontaire par négligence ou maladresse justifierait le retrait de l’autorité parentale, exactement de la même manière qu’une atteinte portée à la vie privée de l’autre parent !

Vous voyez bien la dangerosité des automatismes : ne risquent-ils pas, dans bien des cas, de nuire à l’intérêt de l’enfant ?

Faisons confiance aux juges, car personne n’a démontré, à ce jour, une déficience de leur part. La proposition du retrait automatique ne repose sur aucune étude précise: gardons-nous donc de légiférer en nous fondant sur de fausses impressions ou des angoisses infondées !

J’observe d’ailleurs que, bien souvent, si les juges pénaux ne prononcent pas le retrait de l’autorité parentale, c’est parce que celle-ci a depuis longtemps été retirée aux parents fautifs par le juge civil, à la demande du procureur de la République. Un procès pénal, suivi d’un appel, dure entre trois et six ans. La justice n’attend pas tout ce temps pour protéger les enfants ! Que croit-on ? Elle prend les mesures nécessaires bien avant !

Je rappelle, par ailleurs, que les avocats, les magistrats, comme les représentants des associations familiales, notamment ceux de l’UNAF, se sont tous inquiétés de cette disposition, dont ils ont demandé la suppression parce qu’elle leur semblait dangereuse dans son principe même.

Enfin, mes chers collègues, je ne peux manquer d’observer que l’article 20 veut modifier la loi alors que nous nous sommes déjà prononcés sur la question en août dernier, lors de l’examen de la loi relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Un amendement prônant l’automaticité a été repoussé ici même. À la place, nous avons retenu une procédure sage et raisonnable, qui fait obligation aux juges d’examiner la question du retrait de l’autorité parentale, mais qui leur laisse toute leur liberté d’appréciation. Il ne serait pas de bonne méthode législative de revenir sur ce point six mois après.

J’en viens aux dispositions concernant l’inceste, que la commission des lois vous proposera de supprimer. Les débats devant la commission des lois ont été particulièrement intéressants et ont montré à quel point nous pouvions évoluer, les uns et les autres, sur cette question importante.

Les dispositions proposées amèneraient à rendre notre code pénal plus expressif, mais pas forcément plus répressif. La suppression que nous préconisons n’exprime pas, je tiens à ce que l’on l’entende bien, une opposition au principe de l’intégration de la notion d’inceste dans le code pénal. Notre assemblée a d’ailleurs voté la loi de 2010 portant sur ce sujet. Il s’agit en fait d’un appel à la prudence.

En effet, la censure du texte de 2010 par le Conseil constitutionnel nous conduit à devoir tracer précisément le cercle de l’inceste pénal. Or les nouvelles configurations familiales, l’extension que l’on peut donner au concept de famille, rendent cette tâche extrêmement délicate. Objectivement, les quelques auditions auxquelles nous avons procédé ne nous permettent pas de nous prononcer avec certitude ou avec suffisamment de légitimité sur cette affaire complexe.

Il a semblé à la commission des lois qu’il serait prématuré de statuer définitivement sur la question, car il serait préférable de conduire des travaux d’information sur le sujet, afin d’éviter le risque d’une nouvelle censure. Rappelons-nous les déceptions que la précipitation législative a créées chez les victimes qui ont vu la loi qu’elles attendaient censurée par le Conseil constitutionnel. Tel fut le cas pour l’inceste, comme pour le harcèlement sexuel.

En conclusion, le thème que nous abordons, la protection de l’enfance, fait nécessairement jaillir en nous des attitudes nimbées d’affect et d’émotion. Nous y puiserons avec certitude la légitimité et la transparence de nos communes initiatives. Pour autant, nous prendrons un fort risque de les mener à l’échec si nous ne nous astreignons pas à mener des réflexions aussi objectives que possible. Nous devrons, en quelque sorte, nous extraire de nous-mêmes pour rechercher quelles seront les mesures assurément plus protectrices de l’enfance. Il nous faudra être quasiment certains que l’idée que nous nous faisons de l’intérêt de l’enfant est bien l’intérêt de l’enfant.

Préparons-nous donc à des débats empreints de sérénité, d’objectivité et de prudence. N’hésitons pas à retarder l’écriture, si la pensée n’est pas achevée. En effet, si nous nous trompons dans la rédaction de ce texte, non seulement nous aurons échoué, mais nous aurons encore dangereusement fragilisé la qualité maintes fois saluée de la loi de 2007.

Au bénéfice de l’ensemble de ces observations, et sous réserve de l’adoption et du maintien des amendements qu’elle a adoptés, la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des articles dont elle s’est saisie. §

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