Intervention de Georges Othily

Réunion du 30 novembre 2007 à 15h00
Loi de finances pour 2008 — Travail et emploi

Photo de Georges OthilyGeorges Othily :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure d'une critique convenue d'un néolibéralisme censé être effréné, l'examen de la mission « Travail et emploi » vient nous rappeler qu'historiquement les attentes citoyennes à l'égard tant d'un État devenu régulateur que de son champ d'intervention n'ont en réalité jamais été aussi fortes.

Sans surévaluer le pouvoir réel des autorités publiques - comme on l'indique souvent, la croissance et l'emploi « ne se décrètent pas » -, songeons que l'action publique a néanmoins la capacité d'affecter les conditions économiques et sociales dans l'accompagnement des effets des mutations internationales et dans l'impulsion des restructurations.

En ce sens, les processus de rationalisation engagés dans ce budget de transition, autour de la refondation des contrats aidés et d'une meilleure coordination des instances de prise en charge des demandeurs d'emploi, vont dans le bon sens.

Cette problématique de l'intervention publique sur le marché de l'emploi et sur la croissance renvoie à deux enjeux étroitement corrélés, relatifs à une prospective des métiers et aux carences structurelles que connaît la France dans l'inadéquation entre son offre et son marché de l'emploi.

Ainsi, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques et le Centre d'analyse stratégique, qui ont travaillé conjointement à la rédaction d'un rapport intitulé Les métiers en 2015, indiquent clairement que l'hypothèse d'un relatif retour au plein emploi se profile à l'horizon du xxie siècle, du fait notamment du départ massif à la retraite de la génération du baby-boom, et cela même dans l'hypothèse d'un taux de croissance relativement réduit - autour de 2 % par an.

Mais les différents scénarios arrêtés font aussi apparaître que cette hypothèse ne deviendra réalité que sous la condition expresse que les pouvoirs publics établissent des politiques actives pour favoriser le retour à l'emploi des personnes actuellement éloignées du marché du travail ; ils montrent, parallèlement, que de profondes disparités entre types d'activité vont intervenir, avec un secteur tertiaire désormais ultra-dominant et des tensions sur certains domaines de recrutement faute de candidats - en matière de personnel de santé notamment.

Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen entend insister dès lors sur la nécessaire adaptation structurelle de notre marché du travail alors qu'un rapport de la chambre de commerce et d'industrie de Paris de juin 2006 - c'est donc un rapport récent - évoque le chiffre de 100 000 emplois non pourvus en Île-de-France - la confédération générale des petites et moyennes entreprises, par la voix de son secrétaire général, estime même leur nombre à 300 000 ! -, situation qui aurait un effet induit direct, dans près de 50 % des cas, sur le chiffre d'affaires des entreprises.

Sans doute la politique de sanction pour les chômeurs refusant deux emplois successifs doit-elle être poursuivie, mais elle doit s'accompagner d'un effort considérable dans la promotion de la formation professionnelle initiale et continue. Les centres de formation d'apprentis sont débordés, et l'on attend toujours la promotion réelle de l'école manuelle d'excellence, seule à même de renverser une tendance à éviter certains métiers jugés pénibles - et, disant cela, je songe principalement au bâtiment.

Pour le moment, le choix gouvernemental d'une intervention sur le levier de la consommation est marqué : notre assemblée aura à examiner prochainement le projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, qui vise à favoriser la consommation et qui a d'ores et déjà été voté à l'Assemblée nationale ; un second texte d'ampleur est attendu en début d'année prochaine.

Les premières annonces - encore provisoires et partielles, il est vrai - de mesures préconisées dans le pré-rapport de la commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Attali, indiquent tout de même une tendance : la voie de la libéralisation, raisonnée, des marchés.

L'évacuation de certains verrous, s'agissant de professions protégées contre de nouveaux entrants sur leur segment, est sans aucun doute légitime, et elle est susceptible, me semble-t-il, d'impulser une véritable dynamique d'emplois.

Des impératifs d'aménagement et de vitalité du territoire, d'urbanisation, chers à la Haute Assemblée, appellent cependant des réserves à l'égard d'une ouverture des conditions d'implantation concurrentielle de la grande distribution. Souvenons-nous que les oppositions - supposées - entre « archaïques » et « modernes » lors des débats relatifs à l'examen de la loi Royer en 1973 ont été dépassées quatre ans plus tard lorsque le Premier ministre de l'époque, Raymond Barre, a réorienté, face à la crise, sa politique d'emploi vers la promotion des PME et des TPE.

Le différentiel de création d'emploi entre grande distribution et secteurs productifs et artisanaux des dernières années invite de surcroît à la prudence.

Tournons-nous vers nos voisins : l'Allemagne, malgré des difficultés, profite d'un certain dynamisme, fondé non pas sur son marché de consommation intérieure, mais sur l'excédent de sa balance commerciale ; la politique de l'emploi est par essence trans-sectorielle, et les interventions de la mission « Travail et emploi » ne peuvent s'entendre que corrélées aux mesures relatives à notre commerce extérieur et au développement économique.

Enfin, l'impact des politiques sectorielles et macroéconomiques sur le marché de l'emploi ne se vérifiera que s'il s'accompagne de la mise en oeuvre d'un aggiornamento des pratiques sociales. La régulation économique n'est rendue possible que si elle s'effectue dans un cadre social apaisé. Le modèle français traditionnellement dirigiste devra à terme disparaître et trouver sa voie entre deux modèles référents : le « modèle rhénan », c'est-à-dire allemand, de négociation sociale, contractualiste, qui permet de garantir la paix sociale sur le moyen terme par des accords tenus entre patronat et représentants des salariés, et le modèle anglais, fondé sur des accords décentralisés d'entreprise et une liberté d'action collective plus restreinte, contrainte par la loi.

En tout cas, la signature dans notre pays en 2001 d'un accord sur le dialogue social dans l'artisanat entre les confédérations salariales et l'union interprofessionnelle du secteur démontre que les partenaires sociaux sont déjà prêts à cette mutation : la validation de l'accord par l'obtention définitive de l'extension des accords de déclinaison mise en exergue par le rapport Hadas-Lebel ou la remise à plat des conditions plus générales d'organisation du dialogue social devra être rapidement actée.

Madame la ministre, l'examen de la mission « Travail et emploi » est ainsi l'occasion pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, dans sa majorité, d'exprimer son soutien et son engagement sur les mutations à venir, et de voter en conséquence les dispositifs budgétaires pour 2008 y afférents.

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