Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 décembre 2014 : 1ère réunion
Diverses dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Examen des amendements au texte de la commission

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel :

Au printemps prochain, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), en application de la loi du 15 novembre 2013, nommera le nouveau président de France Télévisions. Il ne revient donc plus au Gouvernement de désigner celui ou celle qui aura la charge de conduire le groupe public de télévision au cours des cinq prochaines années, mais c'est pourtant toujours l'État qui définira les moyens et les grandes orientations de France Télévisions au travers du contrat d'objectifs et de moyens (COM).

Dans cette optique, le Gouvernement et, plus précisément, les ministères de la culture et de la communication ainsi que ceux de l'économie et des finances ont décidé de confier une mission à M. Marc Schwartz afin de conduire « une réflexion sur l'avenir de France Télévisions à l'horizon de 2020 ».

Cette réflexion est, à mon sens, la bienvenue pour au moins trois raisons :

- l'État reste l'actionnaire de la société France Télévisions et c'est le rôle de l'actionnaire de se soucier de l'avenir de la société ;

- l'État conserve la responsabilité de définir les ressources du groupe public que ce soit au travers de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), de dotations budgétaires et des modalités de recours à la publicité, il est donc comptable du modèle économique de la société ;

- enfin, la situation de France Télévisions appelle des évolutions majeures qu'il s'agisse de la réaffirmation de ses missions, de son périmètre d'activité et du renforcement de son identité éditoriale.

Voilà pourquoi le choix de confier cette mission à un professionnel reconnu de l'audiovisuel qui a, de plus, exercé des fonctions au sein de France Télévisions était une bonne idée.

Comme le prévoyait sa lettre de mission, M. Marc Schwartz a souhaité prendre l'attache des parlementaires en charge des questions de l'audiovisuel dans chacune des assemblées. C'est ainsi que nous l'avons rencontré, à sa demande, avec Mme la présidente, il y a quelques jours.

Sur proposition de notre présidente, je vais essayer brièvement de vous rendre compte de nos échanges.

Le rapport que rendra M. Marc Schwartz probablement au mois de février doit permettre qu'il n'y ait pas « un trop grand décalage entre ce que les candidats proposeront de faire et ce que l'État sera prêt à financer ». Pour autant, selon M. Marc Schwartz, l'objectif de ce rapport n'est pas d'être prescriptif. Il s'agit bien pour l'État de rester dans son rôle en recherchant la cohérence entre les missions, le financement et le périmètre de la société publique.

Au cours de cet échange, notre présidente a tout d'abord rappelé que notre commission s'était depuis longtemps intéressée à la situation de France Télévisions comme l'illustrait le rapport qu'elle avait rédigé avec Claude Belot en 2010 sur les comptes de France Télévisions. Et c'est pourquoi nous sommes aujourd'hui en situation de porter un regard objectif dans une perspective stratégique sur l'avenir de cette entreprise.

Nous avons ainsi rappelé notre attachement au service public de l'audiovisuel et en particulier à la télévision publique. Il s'agit, dans notre esprit, d'une dimension essentielle de notre modèle culturel qu'il convient de conforter mais aussi de faire évoluer face aux nouveaux défis.

Car là est bien l'enjeu, ne pas mésestimer l'étendue des changements technologiques en cours et les implications de la démultiplication de l'offre.

Jusque dans les années 1980, il y avait peu de chaînes et peu de programmes. Aujourd'hui, face à l'abondance des offres et à la démultiplication des supports nous devons nous interroger sur ce qui fait la spécificité du service public.

L'information sur France Télévisions est de qualité mais les Français sont devenus de vrais adeptes des chaînes d'information en continu. Le sport a été pendant longtemps une des caractéristiques du service public - « le plus grand terrain de sport » selon un des slogans de la société - mais l'arrivée de beIN SPORTS change complètement la donne. Quant aux fictions et aux jeux, il faut souvent chercher attentivement la différence avec ce que proposent TF1 et M6 dans ces domaines.

En définitive, peut-être parce que TF1 conserve certains gènes de son ancienne culture publique avec ses grands magazines d'information (comme « Sept à huit ») et son implication sur les grands événements sportifs comme le football et le rugby (la chaîne diffusera la coupe du monde de 2015), peut-être aussi parce que le caractère trop généraliste de France 2 et France 3 ne permet pas de bien les identifier et de les distinguer, les Français ont du mal à bien percevoir ce qui caractérise le service public de l'audiovisuel alors même que la loi a expressément prévu qu'un cahier des charges définit les obligations des sociétés du secteur public de l'audiovisuel.

Dans notre esprit, cette clarification nécessaire passe par une réflexion sur le modèle économique de France Télévisions. Nous avons ainsi réaffirmé notre soutien à la suppression de la dotation budgétaire d'ici 2017 et son remplacement par la CAP. Mais nous avons également indiqué à M. Marc Schwartz qu'il faudrait aussi renforcer le caractère autonome du financement de France Télévisions. Cela pourrait passer, à notre avis, par le fait de confier à une instance indépendante le soin de proposer l'évolution du montant de la contribution à l'audiovisuel public ainsi que la répartition de son produit entre les différentes sociétés de l'audiovisuel public. Bien entendu, le Parlement conserverait in fine la responsabilité de voter le montant de la CAP et d'acter sa répartition mais sur la base d'un projet qui aura pu faire l'objet d'une concertation entre les différentes sociétés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Nous avons aussi évoqué la nécessité de revoir l'assiette de la CAP tout en trouvant un mécanisme qui ne soit pas susceptible de favoriser une hausse de la fraude. La taxation des supports numériques pourrait, en effet, nécessiter un accroissement des contrôles qui sont considérés comme intrusifs et sont donc impopulaires notamment auprès des jeunes générations comme l'ont montré les expériences britannique et allemande.

Au final, nous avons réaffirmé avec Mme la présidente que l'élargissement de la CAP ne devait pas viser prioritairement à augmenter les ressources des sociétés de l'audiovisuel public mais consolider leurs moyens face au risque que représentent les nouveaux supports numériques pour le rendement d'une taxe basée sur la possession de téléviseurs.

Concernant le financement de France Télévisions, j'ai enfin rappelé à M. Marc Schwartz mon opinion toute personnelle selon laquelle la publicité était intrinsèquement incompatible avec l'existence même d'un véritable service public de l'audiovisuel public. Contrairement aux centres villes de nos communes, les boutiques sont en effet ouvertes tous les jours, même le dimanche, sur France Télévisions pour inciter à l'hyperconsommation. Il n'y a pas même de limites en fonction de la nature des annonceurs - comme on peut les trouver à Radio France - pour permettre de préserver l'identité des chaînes publiques. Et ce n'est pas tout, puisque le placement de produits (c'est-à-dire le fait pour des marques de rémunérer un producteur pour faire figurer ses produits dans un film ou une série ce qui revient à faire de la « publicité cachée ») se développe dans les productions diffusées par France Télévisions comme sur les autres chaînes.

Comme l'a indiqué notre présidente à M. Marc Schwartz, le modèle de financement hybride ne constitue pas un choix volontaire, il a été retenu parce que l'État n'avait pas les moyens de supprimer la publicité. Il serait donc très dommageable que l'interdiction de diffusion de la publicité le soir soit remise en cause. Il s'agit là d'un des marqueurs qui permet de distinguer le service public.

Par ailleurs, la crise du marché publicitaire ne permet pas de considérer que cette ressource pourrait constituer une piste pour assurer un financement stable de France Télévisions.

Concernant l'évolution technologique à laquelle doit faire face France Télévisions, nous avons indiqué notre conviction que ce changement était devenu inéluctable et qu'il convenait d'en tirer toutes les conséquences, y compris sur l'organisation même du service public.

Aujourd'hui, les chaînes de France Télévisions ne disposent pas, pour l'essentiel, des droits qui leur permettraient de rendre accessibles sur la plateforme Pluzz tous les films et toutes les séries qu'elles diffusent. Par ailleurs, force est de constater que les mutualisations entre France Télévisions et les autres sociétés publiques, comme Radio France, l'Institut national de l'audiovisuel (INA), France Médias Monde, sont à peu près inexistantes.

Dans le domaine de l'information, selon M. Marc Schwartz, France Télévisions dispose de la plus grande rédaction de journalistes d'Europe, ce qui n'empêche pas que l'offre d'information soit plutôt limitée sur les antennes publiques faute de chaîne dédiée à l'information en continu.

Que penser, par ailleurs, de la concurrence que se font tous les médias publics sur Internet et notamment le site Francetv info avec France Info ? Une meilleure articulation des différentes offres publiques est indispensable compte tenu, en particulier, des performances très modestes du service public sur Internet.

Le principal risque auquel doit faire face l'audiovisuel public - comme les autres chaînes de télévision détenues par des capitaux privés - tient en fait au vieillissement de leur audience. En quelques années, la moyenne d'âge des téléspectateurs de ces chaînes a augmenté de 3 à 4 ans, c'est-à-dire beaucoup plus que la population française dans son ensemble. Et même si le temps passé devant le poste de télévision « à l'ancienne » au milieu du salon constitue toujours le mode, de loin, le plus important d'accès aux images, de nouvelles formes de consommation télévisuelles se développent sur tablettes ou sur Smartphones tandis que, sur la même période, le temps d'écoute des 20-34 ans a baissé de 20 minutes par jour.

Ce risque de rupture avec les nouvelles générations appelle une véritable remise à plat de l'offre télévisuelle en s'interrogeant sur la pertinence et les missions de chacune des chaînes.

Si France 2 doit sans doute mieux se distinguer de TF1 en interrogeant son statut de « chaîne généraliste », le problème n'est pas très différent pour France 3 qui a tendance à ressembler de plus en plus à France 2. Le rapport d'Anne Brucy n'a pas véritablement permis de définir une stratégie nouvelle pour la chaîne. Est-ce que le projet de réforme de la carte des régions peut rebattre les cartes ? Est-ce que l'idée d'inverser les décrochages que je défends depuis plusieurs années (l'essentiel de la programmation serait locale avec quelques décrochages nationaux) serait plus opérationnel avec le soutien des grandes régions ? Il faut en discuter.

Concernant l'avenir de France 4, nous avons bien pris note de la relance effectuée avec un nouveau positionnement. Mais est-il crédible de vouloir partager l'antenne avec deux cibles aussi différentes que les enfants dans la journée et les jeunes adultes le soir ? Pas sûr que ces derniers souhaitent se voir cantonner à une chaîne jeunesse mais il faut au moins reconnaître les efforts qui sont réalisés pour proposer une programmation originale. Il est sans doute trop tôt pour faire un bilan sur cette nouvelle orientation.

Concernant France Ô, le Président de la République vient d'annoncer qu'il souhaitait qu'elle redevienne une chaîne consacrée à l'outre-mer, ceci en contradiction avec ce que prévoit le COM de la chaîne. On peut, bien entendu, débattre de cette idée du Président de la République mais, au travers de cet exemple, on mesure bien le problème principal de France Télévisions qui tient d'abord à l'absence de continuité dans les orientations de l'actionnaire. Le service public ne peut pas fonctionner avec des instructions contradictoires et des financements incertains, ce qui pose à nouveau la question de la gouvernance de France Télévisions.

À cela s'ajoute un cadre réglementaire qui ne favorise pas l'action de France Télévisions en faveur de la création. À cet égard, on ne peut que s'interroger sur l'avis qu'a rendu le CSA sur le projet de décret modifiant le régime de la contribution des services de télévision à la production audiovisuelle qui ne semble pas lever les freins au développement des investissements dans la création. Or il s'agit là d'une des clés pour favoriser une nouvelle identité des chaînes publiques au travers de productions audacieuses et innovantes.

En conclusion, madame la présidente, mes chers collègues, cet échange avec M. Marc Schwartz a été salutaire car il nous a permis de constater que l'État avait bien à l'esprit la réalité et l'importance des enjeux auxquels doit faire face France Télévisions. Il a aussi montré que la vision que nous pouvions avoir ici, au Sénat, était juste et méritait d'être entendue.

Je crois cependant que nous pouvons utilement approfondir notre réflexion dans les semaines qui nous séparent de la nomination du nouveau président de France Télévisions et de la négociation du nouveau COM, c'est pourquoi je souscris pleinement à la proposition de notre présidente d'organiser des auditions début 2015 pour nous permettre d'affiner encore notre perception de ce que doit être l'avenir de France Télévisions.

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