Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 17 décembre 2014 à 14h30
Loi de finances pour 2015– programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 — Rejet en nouvelle lecture de deux projets de loi

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les commissions mixtes paritaires qui se sont réunies le 11 décembre ne sont pas parvenues à établir un texte commun ni sur le projet de loi de finances pour 2015 ni sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019. Il n’y a rien de surprenant à cela compte tenu des divergences qui opposent la majorité sénatoriale et la majorité gouvernementale en ce qui concerne la politique des finances publiques à mener.

Je vais défendre, dans un instant, deux motions tendant à opposer la question préalable au nom de la commission des finances. Elles rappellent que le Gouvernement a construit une trajectoire pluriannuelle reposant sur des hypothèses de croissance surestimées. Surtout, nous considérons que cette trajectoire ne respecte pas les engagements européens de la France. Par ailleurs, une grande partie de l’ajustement est reportée sur la prochaine législature.

Nous avons également motivé ces motions par le fait que la stratégie d’ajustement du Gouvernement repose sur un ajustement excessivement brutal des dotations versées aux collectivités territoriales – je vous renvoie au débat sur l’article 9 du projet de loi de finances pour 2015. Nous estimons que cette diminution des dotations aux collectivités locales aura des effets importants sur l’investissement public et sur la croissance, au lieu de remettre en cause les choix que fait le Gouvernement en matière de fonction publique et de maîtrise des dépenses « de guichet ». J’ai d’ailleurs eu l’occasion de l’indiquer tout à l’heure, le projet de loi de finances rectificative pour 2014 vise, pour partie, à financer les dérapages des dépenses de personnel et des dépenses dites « de guichet ».

Toutes ces raisons de fond expliquent que les commissions mixtes paritaires aient échoué.

Cela étant, et je m’en réjouis, l’Assemblée nationale a tout de même conservé un nombre significatif d’apports du Sénat, qu’il s’agisse du projet de loi de finances ou du projet de loi de programmation des finances publiques. Cela montre tout l’intérêt que représente l’adoption des textes par notre assemblée, même lorsqu’elle les modifie amplement et bien que le vote final soit divergent : au-delà des signaux politiques qu’il a donnés, le Sénat aura permis de compléter utilement les projets de loi ainsi que d’en améliorer substantiellement la rédaction.

Sans prétendre à l’exhaustivité, je rappellerai quelques-uns des principaux apports du Sénat, en commençant par le projet de loi de programmation des finances publiques.

Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a examiné ce texte en nouvelle lecture la nuit dernière. Cet examen a été l’occasion de procéder à l’actualisation de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques et, en particulier, de celle du solde structurel, afin de tenir compte des 3, 6 milliards d’euros dont il vient d’être question.

Le projet de loi de finances ne respecte pas les engagements européens en ce qui concerne notamment la procédure de déficit excessif dont notre pays fait l’objet. Par conséquent, au terme des échanges avec la Commission, le Gouvernement s’est engagé, à la fin du mois d’octobre – cela justifie notamment les mesures contenues dans le projet de loi de finances rectificative –, à procéder à une amélioration de 3, 6 milliards d’euros sur le solde public pour 2015, dont le détail a été dévoilé le 3 décembre et qui se retrouve dans le projet de loi de finances rectificative.

Quoi qu’il en soit, cette amélioration supplémentaire du solde conduit à réviser la prévision de solde structurel pour cette même année de 0, 1 point de PIB. Ainsi, le texte tel qu’il résulte de la nouvelle lecture de cette nuit à l’Assemblée nationale, tire les conséquences de cette révision sur l’objectif à moyen terme qui demeure inchangé : il correspond toujours à un déficit structurel de 0, 4 % du PIB en 2019. Peut-être le Gouvernement se donne-t-il ainsi une petite marge de sécurité, compte tenu des écarts constatés par rapport à la précédente loi de programmation.

Malgré cette amélioration des 3, 6 milliards d’euros, la conformité de la trajectoire des finances publiques proposée par le projet de loi aux engagements européens de la France continue de susciter des interrogations. En effet, l’ambition de la trajectoire de solde structurel est significativement abaissée et le retour du déficit effectif à 3 % du PIB est reporté de 2015 à 2017.

Par ailleurs, dans son avis du 28 novembre, la Commission européenne a relevé que l’ajustement structurel de 0, 3 point de PIB restait très inférieur à la cible qu’elle avait arrêtée en 2013, dans le cadre de la procédure de déficit excessif, qui était alors de 0, 8 point de PIB.

Aujourd’hui, nous sommes un peu dans une période d’attente puisque la Commission européenne a indiqué qu’elle réexaminerait la situation de la France en mars prochain, nous accordant un dernier répit. Il me paraîtrait important que le Gouvernement fasse un usage utile de cette période.

Dans ces conditions, il est possible que la programmation proposée par le présent projet de loi de programmation fasse long feu : de la décision que prendra la Commission européenne en mars 2015 dépendra la survie de la trajectoire qui nous est présentée aujourd’hui.

M. le secrétaire d’État a relevé que nous ne proposions pas de nouvelle trajectoire. Mais j’ai expliqué que nos désaccords de principe avec la programmation budgétaire étaient fondés sur les questionnements de la Commission européenne. Cependant, malgré ce désaccord de principe, de nombreux apports du Sénat relatifs à la gouvernance des finances publiques ont été maintenus par l’Assemblée nationale, et je m’en réjouis.

Ainsi, cette dernière a conservé trois des quatre articles introduits par le Sénat, qui tendent, notamment, à renforcer le contrôle opéré sur les opérateurs de l’État, ainsi que l’information du Parlement sur l’évolution du solde structurel pour les différents sous-secteurs des administrations publiques et de la dette publique.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a maintenu tout ou partie des modifications apportées par le Sénat à onze articles du projet de loi. Parmi ces modifications, figurent, en particulier, des dispositions tendant à renforcer l’information du Parlement sur les dépenses fiscales et les niches sociales, sur le déploiement des revues annuelles de dépenses. En outre, les apports du Sénat me semblent de nature à renforcer largement l’encadrement des niches sociales.

Au total, sur les trente-cinq articles que compte aujourd’hui le projet de loi de programmation des finances publiques, quatorze ont été introduits ou ont fait l’objet d’une modification substantielle par le Sénat. Un tel bilan nous semble tout à fait utile et honorable compte tenu du désaccord de fond qui oppose le Sénat à la majorité gouvernementale s’agissant de la trajectoire des finances publiques.

Aussi, en dépit de cela, le Sénat a pleinement joué son rôle en renforçant les instruments de gouvernance budgétaire, même si je regrette – comme d’autres collègues – que le plafonnement du taux de mise en réserve de 8 % des crédits hors dépenses de personnel n’ait pas été retenu. Je m’interroge déjà sur ce niveau record, comme sur le caractère réaliste des économies prises en compte dans le budget de cette même année.

J’en viens au projet de loi de finances pour 2015.

Comme on pouvait s’y attendre, l’Assemblée nationale n’a pas retenu les propositions du Sénat concernant les économies.

Je formulerai un regret concernant les économies demandées aux collectivités territoriales. La position du groupe majoritaire, partagée par d’autres groupes, consistait à proposer un étalement en vue d’atténuer la brutalité de l’effort exigé des collectivités, compte tenu notamment de ses conséquences sur l’investissement. Le Sénat avait adopté une position responsable consistant à minorer de 1, 4 milliard d’euros – selon les chiffres de la commission d’évaluation des charges –, c’est-à-dire du montant du coût des normes imposées aux collectivités territoriales au titre de l’exercice 2013, dernier exercice connu.

Dans la continuité de cette initiative, nous avons également créé un mécanisme consistant à prélever sur les recettes de l’État, au profit des collectivités, une somme équivalente au coût des normes qui auraient été édictées en contradiction avec la circulaire du Premier ministre du 9 octobre dernier.

Nous avons fait preuve de responsabilité en souhaitant que cette moindre réduction de la baisse des dotations aux collectivités territoriales soit plus que compensée par des réductions de crédits, dont le montant total approchait 2 milliards d’euros, qui portaient sur un certain nombre de dépenses sociales, des contrats aidés, des dérapages de dépenses « de guichet » et sur la maîtrise de la masse salariale de l’État.

Enfin, le Sénat s’était très largement rassemblé autour de quelques principes et initiatives.

Ainsi, notre assemblée, conformément à son rôle constitutionnel, avait souhaité marquer une volonté très nette de préserver les recettes fiscales des collectivités territoriales. En application de ce principe, nous avions rendu facultatives plusieurs exonérations de taxes locales. Nous avions également maintenu la taxe sur les spectacles.

Nous avions en outre souhaité soutenir les petites et moyennes entreprises à travers le système permettant la mise en place d’une majoration des coefficients d’amortissement dégressif pour leurs acquisitions de biens d’équipement.

Enfin, s’agissant des modalités de répartition du prélèvement opéré sur les chambres de commerce et d’industrie, le Sénat s’était largement retrouvé autour de deux principes : la prise en compte des investissements engagés en 2014 et la référence aux comptes de 2013 pour le calcul des prélèvements.

À l’issue de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2015, l’Assemblée nationale n’a malheureusement retenu ni notre minoration de la baisse des dotations aux collectivités territoriales ni les économies proposées par la majorité sénatoriale.

Elle a toutefois adopté une cinquantaine d’articles conformes au texte adopté par le Sénat.

Elle a notamment repris la prorogation du crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique, les mesures en faveur des logements dans les départements d’outre-mer, la mise en œuvre du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée pour les ventes directes sur les œuvres d’art, l’augmentation du plafond de déductibilité du salaire du conjoint de l’exploitant individuel de 13 800 euros à 17 500 euros, le rétablissement des fonds départementaux de péréquation de taxe professionnelle, les FDPTP.

En outre, l’Assemblée nationale a évolué sur un certain nombre de points ; je pense, en particulier, à la baisse des plafonds des taxes affectées aux chambres d’agriculture et aux chambres de commerce et d’industrie.

Comme vous le constatez, chers collègues, même si je vais défendre, dans un instant, une question préalable, la navette est utile puisqu’elle permet de faire évoluer l’Assemblée nationale sur un certain nombre de points. Je voudrais d’ailleurs, à cet égard, saluer l’attitude très constructive qui a été celle de la rapporteur générale du budget de l’Assemblée nationale et de nos collègues députés lors de nos différents échanges. Les collègues présents aux différentes commissions mixtes paritaires peuvent témoigner de la qualité des échanges très constructifs, même si ces commissions mixtes paritaires ont échoué. Sur l’initiative de la rapporteur générale, des apports du Sénat ont été repris.

La commission des finances a toutefois pensé que, même si le Sénat rétablissait son texte en nouvelle lecture, une navette supplémentaire ne serait sans doute pas de nature à faire beaucoup évoluer les choses, notamment sur les principaux points de désaccord, relatifs aux collectivités territoriales et aux économies. Elle a donc choisi de proposer au Sénat d’opposer la question préalable aussi bien sur le projet de loi de finances pour 2015 que sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion