Le CCNE a considéré que la commission Sicard, en charge d'une réflexion sur la fin de vie, était déjà un élément important du débat public au sens des États généraux, dans la mesure où elle avait procédé à des débats publics dans neuf villes ainsi qu'à plusieurs auditions.
Lors de la création de cette commission, en juillet 2012, le Président de la République avait indiqué que, lorsqu'elle lui remettrait son rapport, il saisirait le CCNE.
Dans ce contexte, nous avons essayé d'élaborer un compte rendu du débat public depuis cette date, indépendamment de l'implication du CCNE dans ces débats. Donc, le CCNE a rendu l'avis n° 121 en juillet 2013, dans lequel il a conclu, en application des dispositions de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique que, du fait de l'annonce du projet de loi sur la fin de vie, il conviendrait d'élargir le débat public et, en particulier, de réunir une conférence des citoyens sur ce sujet.
Engagé pour la première fois dans cette procédure, le CCNE a retenu l'IFOP à l'issue d'un appel d'offres. Vingt personnalités, avec lesquelles la conférence des citoyens pourrait dialoguer, lui ont été proposées. Dix, venant des horizons les plus larges, ont été sélectionnées. En vue de garantir l'indépendance de la Conférence, elle a eu la possibilité de choisir elle-même, ultérieurement, dix autres intervenants, tandis que les règles de fonctionnement du CCNE ont été appliquées à ses travaux, siégeant ainsi en l'absence des membres du CCNE et présentant elle-même ses conclusions à la presse, à la différence, notamment, de la conférence des citoyens de 2009 qui avait été réunie dans le cadre de la préparation de la loi de 2011 relative à la bioéthique, dont l'avis avait été présenté par les commanditaires de la conférence. Les citoyens ont ainsi pu dialoguer avec la presse en ma présence et celle de M. Alain Cordier, vice-président du CCNE.
Postérieurement à la publication de l'avis de la conférence des citoyens en décembre 2013, le CCNE est intervenu de façon également inhabituelle, dans le cadre de la demande d'avis formulée par le Conseil d'État statuant sur le litige concernant M. Vincent Lambert. Au titre de cette procédure consultative, qui est un élément du débat public, le Conseil d'État a, en effet, saisi, outre le CCNE, l'Académie nationale de médecine, le Conseil de l'Ordre national des médecins et M. Jean Léonetti d'une demande d'observations écrites d'ordre général, susceptibles de l'éclairer sur les notions d'obstination déraisonnable et de maintien artificiel en vie de personnes qui, comme M. Vincent Lambert, sont dans un état pauci-relationnel.
Le CCNE s'est donc penché sur la question particulière d'une personne se trouvant dans une phase avancée mais non terminale. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie range dans la même catégorie des personnes qui sont dans une phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable alors que de très grandes différences existent entre la phase terminale, celle de la fin de vie et la phase avancée, laquelle peut recouvrir des maladies ou des handicaps extrêmement divers qui ne conduisent pas par eux-mêmes à la fin de vie.
Cette personne se trouve donc dans une phase avancée d'une affection grave et incurable ; elle est hors d'état d'exprimer sa volonté et elle n'a pas rédigé de directives anticipées, ni nommé de personne de confiance.
Le CCNE s'est trouvé embarrassé vis-à-vis de ce que la loi de 2005 appelle une procédure collégiale. Dans cette procédure, qui est différente de celle par laquelle le Conseil d'État a statué en formation collégiale sur le cas de M. Vincent Lambert, le médecin décide seul après consultation des collègues, des soignants, des proches et de la famille.
La décision d'arrêter ou de poursuivre la nutrition ou l'hydratation artificielle- qui concerne 1 500 personnes, comme M. Lambert - dépasse la notion d'expertise médicale, laquelle est requise pour juger du pronostic et de la gravité de l'état. Au demeurant, le Conseil d'État a considéré, en l'espèce, que l'arrêt s'imposait en raison de ce qu'il a perçu de l'expression par les proches de ce qu'aurait été la volonté de M. Vincent Lambert. Cette décision va au-delà de l'expertise médicale, le médecin étant juge et partie puisqu'il décide de ce qui peut être fait en raison de son analyse et de son expertise, et qu'il est amené simultanément à interpréter les propos des proches. Le paradoxe, en l'occurrence, est que le médecin-chef de service est le seul - ou l'un des seuls - qui, n'ayant pas connu le patient avant qu'il ne soit hors d'état d'exprimer sa volonté, n'a donc aucune idée de l'expression de cette volonté.
C'est pourquoi le CCNE a procédé à une réflexion sur la possibilité de transformer cette procédure collégiale en un processus de réflexion, de délibération et de décision collective, qui impliquerait, à parts égales, le médecin, ses collègues, les soignants, les proches et la famille. Ce qui est ainsi demandé aux proches et à la famille, c'est non pas de savoir ce qu'ils jugent souhaitable de voir se faire, mais ce qu'ils savent de ce qu'aurait exprimé la personne. Car la délibération collective devrait tenter au mieux de faire exprimer ce qu'aurait été la volonté de la personne. Sur ces points, le CCNE a proposé qu'une médiation facilite l'accord des différentes personnes sur cette expression de la volonté. À cet égard, le CCNE a été frappé par le fait qu'en Allemagne, les décisions de ce type sont prises collectivement par le médecin, ses collègues, les soignants, les proches et la famille.
Postérieurement à ces réflexions sur la délibération collective et la procédure collégiale, le CCNE a été amené à rédiger un rapport sur le débat public, ce qui a constitué pour lui un autre nouvel exercice.
Ce rapport devait, dans l'esprit du CCNE, comporter notamment : les conclusions de la commission Sicard ; les conclusions de la conférence des citoyens ; les consultations demandées par le Conseil d'État ; ce qui est ressorti de l'affaire Bonnemaison, dans laquelle beaucoup de personnes ont été auditionnées en tant que témoins, non par sur la situation du docteur Bonnemaison, mais sur les problèmes posés en France par les situations de fin de vie et le rapport de l'Observatoire national de la fin de vie de décembre 2013 sur la situation des personnes vieillissantes en amont de la fin de vie.
Après que l'avis n° 121 eut été remis, je me suis rendu à une réunion des directeurs des espaces régionaux de réflexion éthique, créés il y a deux ans pour beaucoup d'entre eux.
Afin que ce débat public prenne la dimension d'États généraux, le CCNE a jugé opportun que les espaces régionaux qui le souhaiteraient puissent eux-mêmes animer cette réflexion publique. Aussi leur a-t-il été proposé de participer à ce débat public, sous la forme qu'ils jugeraient la plus utile et sur la base du volontariat, le CCNE prenant en compte leurs conclusions. Huit espaces régionaux ont ainsi fait part de leurs conclusions, qui ont été annexées au rapport du CCNE. Le CCNE mentionne également une réflexion du comité de bioéthique du Conseil de l'Europe sur le comportement et les pratiques souhaitables par les soignants et les médecins dans des situations de fin de vie.
Le CCNE a été frappé par l'expression quasiment unanime du fait que la volonté des personnes en état d'exprimer leur volonté était souvent non respectée.
En outre, le CCNE a constaté qu'une très grande majorité de personnes en fin de vie ne bénéficiait pas des soins palliatifs - c'est-à-dire d'un accompagnement humain et du soulagement de leur douleur et de leur souffrance - contrairement à ce que permettent la loi du 9 juin 1999 sur les soins palliatifs et la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Dans ce contexte, des demandes très partagées sont formulées sur les points suivants :
- le fait qu'il y ait un accès à ce droit ;
- la nécessité d'une formation initiale et continue des soignants pour permettre l'exercice de ce droit ;
- faire face à notre difficulté à accompagner des personnes en situation de fin de vie, laquelle reflète probablement notre incapacité à les accompagner en amont de la fin de vie, lorsqu'elles sont en situation de vulnérabilité. Il s'agit de personnes âgées, de personnes handicapées ou encore de personnes atteintes de maladies chroniques.
Dès lors, il est apparu au CCNE qu'il serait souhaitable de ne plus considérer les soins palliatifs comme synonyme des dernières semaines de la vie. À cet égard, lors d'une réunion récente avec nos collègues des comités d'éthique allemand et britannique, ces derniers ont été extrêmement surpris qu'un service de soins palliatifs soit un service de fin de vie. Car, pour eux, un service de soins palliatifs, comme le prévoit d'ailleurs la loi du 9 juin 1999, doit permettre l'accès aux soins palliatifs à toutes les périodes de la vie où ils s'avèrent nécessaires.
Pour permettre l'accès aux soins palliatifs indépendamment de la fin de vie, il conviendrait donc, non pas de multiplier les services de soins palliatifs, mais de diffuser une culture de soins palliatifs dans l'ensemble du corps médical. Car tant que ce dernier - du généraliste au spécialiste - ne sera pas capable de soulager la souffrance et de proposer un accompagnement humain, il sera illusoire de faire porter la responsabilité d'un accompagnement en amont et en fin de vie par les services de soins palliatifs, qui sont pour la plupart d'excellente qualité.
Dès lors, il a semblé au CCNE que la loi de santé et la loi d'adaptation de la société au vieillissement pourraient répondre à ce besoin et à ce défaut sans se focaliser exclusivement sur la fin de la vie, les soins palliatifs devant dépasser cette dernière.
La réflexion que je viens d'évoquer sur le défaut d'accompagnement de nombreuses personnes vulnérables en amont de la fin de vie est illustrée par le fait que seulement 15 % des EPAD ont une infirmière de nuit. Aussi, lorsque l'état d'une personne s'aggrave dans la nuit, elle est envoyée dans les services d'urgence où 8 000 pensionnaires des EPAD décèdent chaque année.
D'autre part, 13 000 personnes âgées de plus de soixante-dix ans, dont le décès était pourtant prévisible, meurent chaque année dans les heures suivant leur admission dans les services d'urgence. Or, il est évident que les services d'urgence sont les seuls lieux où il soit extrêmement difficile de concevoir et de mettre en place un accompagnement et des soins palliatifs. Par conséquent, si l'accompagnement est profondément défectueux en amont, la fin de vie se déroulera dans un contexte relativement déplorable. Sur ce point, il importe de rappeler qu'un cinquième à un tiers des médecins exerçant dans les EPAD ne sont pas formés aux soins palliatifs. Par ailleurs, notre pays, en comparaison des autres pays d'Europe, se caractérise par le taux le plus faible de personnes décédant à leur domicile, 70 % des personnes décédant en institution ou à l'hôpital.
Il existe donc un grand problème d'accompagnement à domicile et en amont de la fin de vie. Ainsi, dans son rapport de l'an dernier, l'Observatoire national de la fin de vie indiquait que 70 % des pensionnaires des EPAD - je rappelle qu'ils sont un million - y séjournent contre leur volonté, alors que la grande majorité de ces personnes aurait préféré vivre à leur domicile ou dans un environnement proche. Seulement 10 % des personnes vivant à domicile bénéficient de soins infirmiers. Donc, 90 % des personnes âgées ou malades à domicile ne bénéficient que d'aides à domicile, dont l'immense majorité est dépourvue de formation en termes de soins et de soins palliatifs. En outre, il ressort des débats que le CCNE a entendus et des rapports dont il a pris connaissance que la fin de vie dans les institutions pour personnes handicapées est actuellement assez opaque, car on manque de données sur la façon dont on y accompagne et soulage la souffrance et la douleur des personnes en fin de vie.
C'est donc véritablement en amont que se pose le problème de l'accompagnement des personnes se trouvant en situation de vulnérabilité, soit 15 millions de personnes souffrant de handicaps ou de maladies chroniques.
Outre ces réflexions sur des demandes visant à exercer des droits proclamés auxquels on ne peut toutefois pas réellement accéder, l'abolition de la frontière entre le soin et le traitement - ou encore entre le care et le cure, en anglais - a retenu l'attention du CCNE. On devrait, en effet, considérer que le soin est le socle de la médecine et que, lorsque des traitements sont nécessaires, on ajoute à ces soins des traitements. Dès lors, les soins - y compris le soulagement de la souffrance et de la douleur - devraient être érigés en pratique médicale générale, à laquelle peuvent s'ajouter des approches plus spécialisées susceptibles d'être apportées au domicile.
Pour ce qui est des demandes, il est apparu que trois demandes étaient très largement partagées.
- La première, évoquée par le président Jean-Yves Le Déaut, a trait à la loi du 22 avril 2005, qui dispose que les directives anticipées sont des souhaits que le médecin prend en compte. Il y a une demande très générale pour que les directives anticipées s'imposent aux soignants, sauf, évidemment, si ces derniers considèrent que la situation ne correspond pas aux demandes et justifient par écrit les raisons pour lesquelles ils ne s'y conforment pas.
- La deuxième, également évoquée par le président Jean-Yves Le Déaut, concerne actuellement un paradoxe. Car lorsqu'une personne - ce que prévoit la loi du 22 avril 2005 - est hors d'état d'exprimer sa volonté, inconsciente en état pauci-relationnel, comme M. Vincent Lambert, le médecin a l'obligation de mettre en place une sédation profonde jusqu'à son décès, si cette personne est en fin de vie ou si l'interruption des traitements va provoquer sa mort. Une telle obligation s'impose au médecin, car on ignore si cette personne - qui est incapable de s'exprimer - est en train de souffrir. Mais, paradoxalement, lorsque la personne est consciente ou capable de s'exprimer, la demande de sédation profonde est du ressort de la décision du médecin. Il existe donc un souhait très large selon lequel lorsqu'une personne est en fin de vie ou qu'elle interrompt ses traitements et se met en fin de vie, sa demande de pouvoir dormir jusqu'à son décès s'impose aux soignants et qu'elle ne soit pas du ressort du médecin.
Au demeurant, dans certains services de soins palliatifs, lorsqu'une sédation profonde jusqu'au décès est décidée, la personne est réveillée toutes les cinq heures pour s'assurer qu'elle veut continuer à dormir, démarche que certains jugent assez cruelle. Donc, la volonté de la personne devrait être respectée, afin qu'elle soit le seul juge, si elle demande à dormir, en cas de phase terminale d'une infection grave et incurable ou en cas de phase avancée où l'arrêt du traitement demandé par la personne va provoquer la fin de vie.
- La troisième est relative à une réflexion sur la procédure collégiale. Le Comité a proposé une réponse, mais qui n'est toutefois pas précise, selon laquelle il serait nécessaire de procéder à une réflexion et de prévoir des procédures qui soient plus collectives qu'elles ne le sont actuellement. Pour autant, le Comité a été frappé par le fait que, même sur ces demandes, très largement partagées, existent des divergences.
Par exemple, s'agissant des directives anticipées, selon la commission Sicard et l'avis n° 121 du CCNE, elles ne devraient pas s'imposer au soignant dans toutes les circonstances. Si une personne est en bonne santé et rédige des directives alors qu'elle est assez éloignée d'une situation de fin de vie, ces directives devraient être considérées comme des souhaits. En revanche, elles devraient s'imposer au soignant si la personne est malade ou si elle subit une intervention chirurgicale.
Que les directives s'imposent ou pas dans tous les cas, le Comité a estimé que les réflexions ayant suivi l'affaire Lambert - qui était jeune et en parfaite santé au moment de son accident - ont renforcé l'idée que, s'il avait alors rédigé des directives, la solution du litige en eût été facilitée. Par conséquent, même chez des personnes jeunes et en bonne santé, la rédaction de directives présenterait un intérêt.
Pour ce qui est de la sédation profonde jusqu'au décès, existe une divergence sur le point de savoir si cette sédation devrait ou pourrait, à la demande de la personne, accélérer sa fin ou si cette sédation ne consiste qu'à la faire dormir jusqu'à sa fin. Ainsi, la commission Sicard, qui est très fermement opposée à l'euthanasie, considère qu'un geste létal accompli dans les phases ultimes de l'accompagnement entrerait dans la définition de la sédation profonde retenue par la loi Léonetti. En revanche, pour d'autres, toute accélération de la fin correspond à l'euthanasie.
Il en ressort donc que, s'il existe un consensus sur le principe de la sédation profonde, des divergences apparaissent en revanche sur les formes qu'elle peut revêtir.
Il est évident que suivant le type de sédation utilisée, le risque ou la probabilité que la fin s'accélère sont différents. Lorsque M. Michaël Schumacher est maintenu en coma thérapeutique pendant des mois, il est évident qu'il n'y a pas tellement double effet, le traitement visant à le faire dormir. Si on sait faire dormir des personnes, les risques sont toutefois plus importants selon le type de sédation utilisé. Il est clair qu'une anesthésie générale - qui est une manière de faire dormir très profondément une personne - ne peut être mise en place au domicile dans les mêmes conditions que dans un service hospitalier.
Une troisième divergence porte sur l'opportunité de modifier la loi. Pour beaucoup - y compris le CCNE et la conférence des citoyens -, les nouveaux droits comme les directives anticipées et la sédation profonde nécessitent une révision de la loi. En revanche, pour d'autres, comme la commission Sicard, celle-ci ne serait pas éventuellement nécessaire, ces nouveaux droits seraient du ressort des bonnes pratiques.
Quant à l'assistance au suicide et à l'euthanasie, le Comité a constaté de profondes divergences - non pas en termes numériques, puisque les sondages font apparaître une majorité de 90 % favorable à l'assistance au suicide et à l'euthanasie - mais en ce qui concerne les raisons exposées.
Ces divergences se sont ainsi exprimées, au sein même du CCNE, lors de la rédaction de l'avis n° 121. Celui-ci, par souci de prendre en compte la vulnérabilité de certaines personnes, recommande de n'autoriser ni l'assistance au suicide ni l'euthanasie. Toutefois, une opinion minoritaire défendue par neuf membres du CCNE s'y est déclarée favorable, prenant plus en considération l'autonomie de la personne que la situation fâcheuse à laquelle pourrait être confrontée une personne vulnérable.
Le même clivage a traversé le débat public. En outre, un clivage de nature sémantique est apparu - y compris au sein du Comité - entre l'assistance au suicide et l'euthanasie. Pour la commission Sicard, il n'existe aucun rapport entre le fait d'ouvrir à une personne la possibilité de mettre fin à sa vie ou de demander à un médecin d'y procéder. Pour la conférence des citoyens, il n'existe aucune différence entre ces deux situations car, ce qui compte, c'est l'autonomie de la personne.
Le CCNE ne s'est pas seulement limité à rendre compte du débat mais s'est également efforcé d'interroger des opinions qui lui paraissaient confuses mais intéressantes à examiner, voire des non-dits. À cet égard, il nous est apparu important de souligner que la fin de vie est un sujet de réflexion éthique très particulier qui nous concerne tous.
Il existe beaucoup de sujets de réflexion en éthique biomédicale qui ne concernent qu'une partie de la population, à propos desquels il y a ceux qui parlent en leur nom et ceux qui parlent des autres. Or, en ce qui concerne la fin de vie, nous parlons tous de nous, mais à des titres très divers : que nous soyons en bonne santé, malades, menacés par la maladie ou proches de la fin de vie. Nous parlons aussi des autres, des proches, des personnes que nous ne connaissons pas mais dont nous imaginons qu'elles ont une responsabilité, ou encore en tant que soignants. Il en résulte que la question de savoir de qui on parle et de quel point de vue, lorsqu'on aborde la fin de vie, nous est apparue comme l'un des non-dits non explicités dans les débats, y compris dans les divergences. À ce propos, le Comité a été frappé par une enquête réalisée par le Coma Science Center situé en Belgique - dirigé par le Pr. Steven Laureys - qui est l'un des dix centres les plus performants du monde pour l'étude des personnes se trouvant en état de conscience minimale (et dans lequel, au début, M. Vincent Lambert avait été suivi).
Publiée en 2011 dans le Journal of Neurology, cette enquête avait été effectuée auprès de 2 500 soignants de trente-deux États européens. 70 % d'entre eux avaient indiqué qu'il ne faudrait pas arrêter la nutrition et l'hydratation artificielles de leur patient se trouvant dans un état de conscience minimale. En revanche, 70 % de ces soignants avaient répondu qu'il faudrait procéder à cet arrêt dans le cas où ils seraient dans la même situation que leur patient.
L'éditorial du Pr. Steven Laureys avait alors vu un problème dans le fait que des soignants aient du mal à se juger comme les autres ou à juger les autres comme eux-mêmes, ou, comme le dit Paul Ricoeur, à entrer en éthique, c'est-à-dire à se penser soi-même comme un autre.
Dès lors, on peut considérer qu'une partie des divergences provient de l'insuffisante explicitation sur les points de vue et les personnes dont on parle, lorsque l'on aborde la fin de vie.
S'agissant de l'évaluation à laquelle l'OPECST procédera, je me demande - ce qui est proche de nos préoccupations - s'il ne faudrait pas réfléchir aux meilleurs moyens d'animer un débat public lorsque se posent des questions éthiques prévues par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.
Au fond, le CCNE a procédé à de nouveaux exercices postérieurement à l'annonce d'un projet de loi, tout en ayant eu la chance que ses travaux aient été précédés par l'institution de la Commission de réflexion sur la fin de vie. Car, si celle-ci n'avait pas été mise en place, l'animation du débat public aurait été plus pauvre.
Il nous a semblé que la participation des espaces régionaux d'éthique était importante mais que, pour l'instant, du fait de leur hétérogénéité due à la création récente de certains d'entre eux, leurs débats n'avaient pas forcément la dimension d'un débat national.
C'est pourquoi nous avons discuté avec la Commission nationale du débat public pour savoir si, hors de son champ habituel de compétences, elle ne pouvait pas être opératrice de certaines formes d'animation du débat public. En effet, la loi prévoit que le CCNE peut être à l'origine de l'organisation d'un débat public. Or, s'il en est l'opérateur à chaque fois qu'intervient un projet de loi touchant à des questions éthiques, il risquerait de ne plus pouvoir remplir ses autres missions.
La question est, dès lors, de savoir comment nous pouvons prendre l'initiative du débat public de la façon la plus large et sous les formes les plus diverses sans en être nous-mêmes l'opérateur.
Sur ce point, votre réflexion pourra nous aider.