Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Réunion du 13 janvier 2015 à 16h20
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en irak — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin :

secrétaires d’État, mes chers collègues, les Français ont tragiquement mesuré que nous étions en guerre contre le terrorisme.

Devons-nous poursuivre cette guerre ? Telle est, au fond, la question qui nous est posée ce soir.

À cette question, le peuple français a répondu massivement, avec une maturité, une sérénité et un courage qui ont construit, dimanche, quelque chose de puissant et de nouveau.

Dimanche, les Français nous ont envoyé un message de fermeté pour la liberté.

Le peuple de France a montré sa grandeur. À nous d’être à sa hauteur !

Bien sûr, toute guerre est haïssable. Mais nous devons répondre à cette exigence de sécurité, tant extérieure qu’intérieure, qui est le cœur des missions de tout État et le ciment du pacte républicain.

Sur le plan intérieur, c’est sans esprit polémique ou partisan que nous devons tirer les leçons des attentats qui ont endeuillé notre pays.

Sous l’impulsion du Livre blanc de 2008, poursuivie en 2013, les moyens des services de renseignement ont été augmentés. Mais ont-ils crû aussi vite que les menaces ? Le cadre juridique des services de renseignement, renforcé par la récente loi de novembre 2014, approuvée par une écrasante majorité, doit-il encore être consolidé ?

La délégation parlementaire au renseignement, que je préside en 2015 et que je réunirai demain après-midi au Sénat, s’est déjà prononcée en ce sens, notamment s’agissant des pouvoirs donnés au renseignement intérieur.

À cet égard, les sujets de préoccupation sont multiples.

Oui, nous avons devant nous un sujet sur le potentiel terroriste dans notre société, révélé ces derniers jours par certains silences ou certaines absences dans les manifestations.

Oui, nous avons un sujet « réseaux sociaux », ces réseaux sur lesquels les terroristes ont aujourd’hui libre champ ; oui, nous avons un sujet « efficacité du suivi des terroristes », avec un système d’écoute remontant à 1991, autant dire le Moyen Âge des télécommunications...

Oui, nous avons un sujet « suivi des passagers aériens », avec un système européen d’échange de données qui est en panne.

Oui, comme le disait le ministre de l’intérieur, nous avons un sujet « code Schengen », code qu’il faudrait sans doute adapter à la menace, sans pour autant remettre en cause la liberté de circulation au sein de l’Union européenne.

Il faut expertiser ces sujets graves dans le calme, sans céder à l’émotion ni perdre de vue nos principes fondateurs.

Au fond, dans l’équilibre indispensable entre sécurité et liberté, avons-nous placé le curseur au bon endroit ? La délégation parlementaire au renseignement et les deux commissions d’enquête parlementaires sur les réseaux djihadistes doivent apporter leur contribution à ce débat, au service de la sécurité des Français.

Pour ce qui concerne la délégation parlementaire au renseignement, nous entendons travailler à la construction d’un consensus républicain de nature à rassembler nos familles politiques autour de quelques évolutions législatives qui devraient pouvoir être soutenues par le plus grand nombre d’entre nous. Nous devons, mes chers collègues, faire vivre l’unité nationale !

Sur le plan extérieur, c’est avec nos alliés que nous devons mener le combat là où l’ennemi concentre ses forces, dans le cadre de la légalité internationale et en union avec nos partenaires européens.

L’intervention militaire de la France contre les organisations terroristes en Irak, à l’appel du gouvernement de ce pays et sur le fondement d’une résolution de l’ONU, est donc légitime et doit être poursuivie.

On ne peut pas ne rien faire contre Daech et ses affiliés d’Al-Qaïda, qualifié d’« armée terroriste » par le ministre de la défense et de « califat de la barbarie et de la terreur » par vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères, Daech qui représente, aussi, un danger mortel pour les populations soumises à son joug et pour les minorités chrétiennes, chiites et yazidies persécutées, comme le disait avec force le président Retailleau.

Le danger est aussi pour la stabilité régionale : au-delà de la Syrie et de l’Irak, je pense au Liban, à la Jordanie et, bien sûr, à Israël et à la Palestine. Cette menace nous concerne singulièrement, nous, Européens, avec ce lien de plus en plus étroit entre la défense de l’avant – notre intervention en Irak – et la sécurité de l’arrière, c’est-à-dire celle de notre territoire national.

Pour autant, notre stratégie en Irak, à la fois militaire et politique, pose question.

Sur le plan militaire, cela a été dit, le « tout aérien » s’explique sans doute davantage par le traumatisme de la guerre d’Irak de 2003, avec les 4 500 morts américains, que par les nécessités de l’action, car les terroristes savent se protéger des raids aériens.

Il faudra sans doute une bataille de Mossoul, en Irak, tout comme il y aura une bataille d’Alep, en Syrie. §Mais qui conduira ces opérations au sol ?

En Irak, nous formons les forces irakiennes, et nous soutenons les peshmergas kurdes, sans être à même de mesurer, peut-être, toutes les conséquences de long terme au plan régional.

En Syrie, où la France n’intervient pas au plan militaire, nous tentons de participer au programme de formation d’une armée syrienne libre, armée qui n’a cessé de « fondre » depuis le début du conflit. Qui peut affirmer que ce sera suffisant ?

Pour autant, je le dis avec fermeté, nos troupes ne doivent pas être engagées au sol en Irak. Ancien Premier ministre de Jacques Chirac, je ne regrette en rien la décision qu’il a courageusement prise en 2003.

L’action en coalition pose également la question de notre autonomie stratégique. Certes, l’état-major français définit ses objectifs en Irak, mais, pour ce qui est de peser vraiment sur la stratégie globale de la coalition, le doute est possible... Notre participation est peut-être, aussi, une forme de contrepartie au renseignement américain dont nous dépendons pour éradiquer AQMI dans la bande sahélo-saharienne.

Quant au règlement politique du conflit, il suppose la création d’un Irak fort, où le gouvernement chiite respecterait les sunnites, ce qu’il n’a jamais fait par le passé et ne fait pas encore suffisamment. D’ailleurs, ce dialogue entre sunnites et chiites est-il possible aujourd’hui sans l’Iran ?

La tête de l’organisation djihadiste est en Syrie, mais, en éradiquant les groupes terroristes, on prendrait le risque de consolider le régime de Bachar al-Assad, car il n’y a pas aujourd’hui de force démocratique syrienne assez puissante sur le terrain, malgré tous nos efforts.

Nous sommes donc face à des contradictions difficilement surmontables.

Devrons-nous accepter de coopérer davantage avec l’Iran et nous résigner à reporter la chute de Bachar al-Assad ? Le Gouvernement nous a répondu, et nous l’avons bien entendu : « ni Daech ni Bachar ». Ce nouveau « ni-ni » gouvernemental est une réponse dictée par les circonstances, mais il nous faut réfléchir aux étapes suivantes.

Et comment dissocier les intérêts russes de ceux du régime syrien ? Cette question a été posée par les collègues qui m’ont précédé à cette tribune.

On voit bien la complexité de l’exercice et de votre mission, monsieur le ministre, et l’on mesure toute la difficulté de faire converger les soixante pays de la coalition.

Peut-on vraiment dire aujourd’hui que nous avons défini clairement « l’état final » qui signera la fin de l’opération militaire et que nous disposons d’une « stratégie de sortie » sur le plan politique ?

Nous partons donc dans un engagement de moyen terme, à l’issue incertaine, et dans une posture qui n’est pas si modeste puisque, outre nos moyens aériens, il est question de déployer le porte-avions et son groupe aéronaval dans le Golfe arabo-persique.

Au-delà du théâtre irako-syrien, c’est bien la question, plus large, de la soutenabilité dans le temps de nos opérations extérieures qui nous est aujourd’hui posée avec ce vote sur l’opération Chammal.

La France déploie actuellement 8 500 militaires dans une vingtaine d’OPEX. C’est un effort considérable. Dix-huit de nos soldats y ont laissé leur vie ces deux dernières années. Naturellement, comme vous tous, mes chers collègues, je veux leur rendre un hommage appuyé.

Le surcoût des opérations extérieures a dépassé le milliard d’euros pour la deuxième année consécutive en 2014.

En deux ans, trois opérations majeures ont été engagées : Serval, au Mali, devenue Barkhane au Sahel, avec aujourd’hui 3 000 hommes et 500 millions d’euros de surcoût annuel ; Sangaris, en République centrafricaine, avec 2 000 hommes et 250 millions d’euros par an ; Chammal, en Irak, avec 800 hommes et un surcoût qui dépassera probablement en 2015 la centaine de millions d’euros en année pleine.

Parallèlement, nous connaissons tous les grandes fragilités de la trajectoire financière de nos armées. Ce sont les doutes sur les recettes de la défense en 2015, avec les 2, 2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles difficilement réalisables, qui ont conduit le Sénat à rejeter les crédits de la mission « Défense ».

Plus d’opérations, moins de crédits budgétaires : quel paradoxe ! À la demande forte de sécurité, massivement exprimée par le peuple français qui, dimanche, embrasse ses policiers et ses gendarmes, on répond par des solutions financières « improvisées », sur la crédibilité desquelles on peut s’interroger...

Bercy n’est pas innocent de la guerre. La sécurité doit être à l’extérieur du périmètre des restrictions budgétaires. C’est une conviction forte que nous avons.

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