Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 13 janvier 2015 à 16h20
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en irak — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Laurent Fabius, ministre :

Nous sommes Européens. Pourtant, nous avons parfois, voire souvent le sentiment que la France non seulement prend sa part, mais fait plus que sa part. Pour le dire autrement, nous pouvons avoir le sentiment que d’autres ne prennent pas la même part que la France.

Il ne sert à rien de ratiociner ou de maudire : il faut que, par notre action, mais aussi par vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, y compris celles de vos collègues qui appartiennent à la même formation que vous et qui siègent au Parlement européen, il soit clairement dit que la France assume une mission non seulement en son nom, non seulement au nom de l’humanité, mais aussi au nom de l’Europe. À ce titre, il est légitime qu’un partage soit établi, y compris sur le plan financier, comme vous l’avez souligné à maintes reprises.

Nous sommes ravis, émus, touchés, lorsque l’on nous explique que nous sommes la capitale des libertés en Europe et dans le monde. Tant mieux ! Bravo ! Pour autant, il ne saurait y avoir de libertés sans les moyens de ces libertés !

L’appel humanitaire que Bruno Retailleau a lancé est malheureusement tout à fait d’actualité. Dans l’ensemble de la région, de l’aveu même du Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, la situation humanitaire est gravissime. Pour en prendre conscience, il suffit de songer à ce qui est en train de se passer là-bas, alors que les températures sont de plus en plus basses.

Comme à son habitude, M. Reiner a développé une analyse extrêmement fouillée, évoquant non seulement Daech et l’Irak, mais aussi le Mali, le Niger, la Libye. Je retiendrai de cette intervention très riche un point particulier.

Bien sûr, nous défendons une certaine idée de l’humanité et je vous rejoins quand vous évoquez les uns et les autres le comportement de Daech. Un comportement, que dis-je ? C’est l’horreur en permanence, et Daech en joue, bien évidemment.

Toutefois, comme l’a rappelé Daniel Reiner, nous défendons aussi nos intérêts nationaux. Je répéterai ce que j’ai dit à la tribune, car je souhaite que nous livrions ce message ensemble à nos concitoyens. Or je ne suis pas sûr que ce message prévale, y compris dans les semaines et les mois qui viennent.

Nous n’avons pas une vision éthérée, naïve de l’humanité. Nous savons quelles sont nos limites : la France ne peut malheureusement pas régner seule sur le monde et y introduire partout la justice, l’égalité et la fraternité.

Comme l’a dit Jean-Pierre Raffarin, le premier devoir d’un État est d’assurer la sécurité de ses ressortissants. Or notre sécurité ne se joue pas simplement à nos frontières, comme certains voudraient nous le faire croire ; elle se joue aussi physiquement au Sahel, en République centrafricaine, en Irak, et ce serait une folie – le mot n’est pas galvaudé – de penser que ces gens s’arrêteront aux limites de ces territoires.

Comme vous, j’ai examiné ces questions de très près. Tous les jours, on me remet des rapports non seulement sur les exactions qui sont commises, mais également sur les thèmes qui sont développés. Pour ces gens, il faut être clair, tous ceux qui ne sont pas comme eux et qui ne leur sont pas soumis doivent être tués.

Certains pourraient être tentés de dire, surtout si des attentats sont malheureusement commis – cette hypothèse ne peut pas être complètement écartée – qu’il faut que nous restions chez nous, que nous nous calfeutrions, que, après tout, il ne faut pas ennuyer ces gens et que, si nous les laissons faire, si nous n’intervenons pas, nous serons chez nous en sécurité.

C’est faux, faux, et archi-faux !

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne défendons pas seulement une certaine conception de l’humanité ; nous défendons aussi nos intérêts nationaux et nous protégeons nos citoyens.

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