Je suis très honoré et intimidé de me présenter devant vous, dans une salle que je connais bien, mais non depuis cette place...
Je commencerai par présenter le contexte tel qu'il m'apparaît. La tendance est à l'ouverture et à l'influence croissante du CSM. Les personnalités qualifiées sont passées de deux à six entre 1958 et 2008 ; depuis 1993 un avocat représentant le conseil national des barreaux y siège ; la majorité de membres n'est plus désignée par le pouvoir exécutif ; les magistrats sont devenus minoritaires dans toutes les formations, sauf dans les formations disciplinaires. L'ouverture, très régulée, d'une saisine directe par les justiciables, la possibilité pour les chefs de juridictions de saisir les instances disciplinaires, indépendamment du garde des sceaux, la fin de la présidence du CSM par le président de la République ou le garde des sceaux, enfin la compétence générale, de fait, de la formation plénière en matière d'indépendance des magistrats constituent des évolutions progressives, mais significatives, qui s'inscrivent dans un mouvement continu, appuyé par la doctrine. On constate aussi que la proportion de membres représentant la haute magistrature diminue, notamment en formation plénière.
Les méthodes et les procédures internes des différentes formations du CSM me semblent déterminantes pour soutenir, parallèlement à la loi, les évolutions. Cela est particulièrement sensible pour la transparence des procédures de nomination et des garanties de la défense en matière disciplinaire. Cela apparaît aussi dans un rapprochement, de fait, non négligeable entre le traitement des magistrats du parquet et ceux du siège. L'autonomie de la formation plénière par rapport à l'exécutif est de plus en plus sensible. Certains considèrent que ce mouvement est un progrès qu'il faut parachever. D'autres critiquent les lourdeurs, la dilution des responsabilités et craignent l'irruption latente de considérations politiques, voire une perte de compétence technique.
L'accentuation de ce mouvement vers un conseil de justice indépendant présente des difficultés au regard du statut juridique du CSM. Les rapports entre le chef de l'État et le CSM sont régis par la Constitution. Celle-ci ne prévoit pas de réelle séparation des pouvoir. En effet, selon l'article 64, le Président de la République est le « garant » de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Dans cette tâche, il est assisté du CSM. Mais c'est l'autorité judiciaire qui assure le respect de la liberté individuelle dont elle est la « gardienne » (article 66). Ces équilibres institutionnels, peut-être obsolètes, masquent des attentes et des interrogations. Tout d'abord une attente de moyens et d'efficacité de la part des justiciables à l'égard d'une justice qui est rendue en leur nom. Il y a aussi un double rejet, quelque peu contradictoire, de l'hermétisme et du corporatisme de la justice, ainsi que de sa politisation supposée. La pertinence de la spécificité reconnue de droit au ministère public, en matière de nomination et de discipline, est en question. Se pose aussi la question d'une nouvelle réforme constitutionnelle transformant le CSM en un conseil de justice indépendant qui serait garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Enfin, le CSM est structuré autour d'équilibres constitutifs et de pratiques de fonctionnement subtilement élaborés. L'organisation du CSM traduit fidèlement les équilibres croisés qui sont la marque de notre système judiciaire. Elle reflète l'unité des magistrats et la dualité de leurs fonctions, cristallisées par deux formations distinctes, conformément à l'article 65 de la Constitution, l'une pour le siège, l'autre pour le parquet. Il est tenu compte subtilement de la multiplicité et de la hiérarchie des juridictions au sein de chacune des formations. L'équilibre est aussi très fin dans les méthodes de travail qui tendent vers la transparence maximale des procédures de nomination et l'inclusion d'un maximum de garanties procédurales en matière disciplinaire. Une grande attention est portée aux thématiques qui concernent l'avenir de la justice : les considérations d'éthique, le respect du justiciable, l'efficacité de la justice, le souci de prévisibilité des décisions par le renforcement des motivations, la formation continue, l'ouverture aux disciplines extra-judiciaire, etc.
L'implication dans cet univers professionnel exige beaucoup de volonté. Ancien fonctionnaire du Sénat, je n'ai aucune compétence particulière dans le domaine judiciaire. Plusieurs considérations m'ont toutefois conduit à accepter de me présenter pour accomplir cette tâche. La première est l'honneur d'avoir été proposé par le président du Sénat, nomination qui s'inscrit dans le prolongement de trois nominations de fonctionnaires du Sénat à des fonctions similaires. Ensuite, une personnalité qualifiée doit être, plus ou moins selon les choix, liée au monde spécialisé concerné. Elle doit pouvoir comprendre le monde dans lequel elle est projetée pour être utile à son fonctionnement. Pour cela il lui faut disposer d'une expérience sérieuse dans une sphère professionnelle ouverte. À cet égard, mon expérience au Sénat m'a fourni certains réflexes précieux : une méthodologie, voire une culture, du travail préalable à toute décision, à travers l'étude systématique des avantages et des inconvénients d'une mesure, de ses impacts, l'audition systématique de tous les assujettis éventuels, les comparaisons étrangères, l'étude de la jurisprudence, le tout rassemblé dans un rapport aussi précis, synthétique et objectif que possible. De même, la structure du Sénat n'est pas éloignée de celle du CSM, organisé comme dans les modèles de gravitation des philosophes, en sphères de décisions emboîtées, qui s'autorégulent et s'équilibrent mutuellement : séance publique et commissions, conférence des présidents, Bureau et questure, groupes politiques de la majorité et de l'opposition, services administratifs et législatifs. Enfin, il y a la technique du rapprochement des points de vue à travers le ballet des amendements, examinés du plus éloigné au plus proche, la règle de l'entonnoir, la pratique des discussions groupées, avant de recourir, le cas échéant, au fait majoritaire, pour trancher, sans exclure l'expression des points de vue minoritaires.
J'ai fait des études de droit public jusqu'à 25 ans à l'université de Paris I ; en 1972 j'ai passé le concours d'administrateur du Sénat où j'ai exercé ma carrière de 1973 à 2008, avant de devenir conseiller spécial du président du Sénat entre 2008 à 2011. J'ai été responsable du secrétariat de la commission des Affaires étrangères et de la Défense entre 1989 et 1992, alors présidée par Jean Lecanuet, avant de devenir directeur du cabinet des questeurs et de la sécurité pendant cinq ans, puis directeur du service du secrétariat général de la présidence du Sénat pendant onze ans, auprès des présidents Monory et Poncelet.