C'est un grand plaisir d'être ici devant vous. En effet, j'ai l'honneur de présider la cinquième institution de l'Union européenne, souvent oubliée d'ailleurs en France, ce qui est paradoxal car sa création fait suite à une initiative de Jean Monnet à l'occasion des Traités CECA de 1954. Le Comité est l'une des trois institutions citoyennes de l'Union, à l'instar du Comité des Régions, avec lequel il partage les mêmes locaux, et du Parlement européen. Ces trois institutions ont d'ailleurs signé un accord de coopération visant à mettre en commun leurs ressources, via notamment la création d'une direction de recherche et d'études commune. La proximité physique de nos institutions s'avère ainsi complétée par une forme de complémentarité politique de plus en plus étroite, impliquant pour le CESE de fournir des études d'impact sur les politiques européennes où le point de vue de la société civile est exprimé. Ainsi, nous venons de réaliser une étude d'impact sur les politiques européennes en matière d'énergie renouvelable pour le Parlement européen avec lequel le CESE entretient d'étroites relations que je veille à instaurer, du reste, avec les parlements nationaux de chacun des États membres.
Ma conviction d'Européen engagé depuis plus de trente ans, c'est que, dans les cinq prochaines années, le secteur énergétique devrait bénéficier le plus de l'intégration européenne. Certes, dans les domaines de la sécurité et de la protection des citoyens, une attente s'est faite plus pressante, surtout depuis ces quinze derniers jours marqués par les événements que nous connaissons, et l'intégration européenne devrait progresser.
Mais, au-delà, l'énergie demeure le domaine où des avancées significatives sont à attendre. D'un point de vue politique d'une part, le nouveau président du Conseil européen, M. Donald Tusk, de nationalité polonaise, a placé la réalisation de l'Union européenne de l'énergie au rang de priorité essentielle de son mandat. Différentes d'initiatives, comme celle de Jacques Delors qui visait la création d'une communauté européenne de l'énergie par le biais d'un nouveau traité, ont certes pu être exprimées, mais l'actuelle démarche se fait dans le cadre institutionnel actuel, quitte à formaliser ses avancées ultérieurement.
En outre, l'adhésion des citoyens est essentielle pour que l'énergie redevienne le moteur de la construction européenne. Comme l'a démontré un récent sondage, près de 68 % des européens attendent davantage de l'Union en matière de politique énergétique ; l'adhésion au projet d'union de l'énergie atteignant quelque 78 % des citoyens pour l'ensemble des États- membres.
D'un point de vue planétaire, avec les ressources énergétiques qui sont les nôtres et la taille modeste de nos pays, l'énergie demeure le domaine où notre cohésion doit être efficace. Jusqu'à présent, la construction de l'Europe de l'énergie a essuyé une série d'échecs, débutant par le Traité Euratom qui n'a pas été suivi de réels effets en raison des politiques divergentes des États dans le domaine du nucléaire. Ensuite, dans les années 80, où le libéralisme était le parangon de toute politique, la dérégulation des marchés dans le domaine de l'énergie a été mise en oeuvre sans convaincre pour autant les citoyens de l'Union européenne de son bien-fondé. Un troisième échec, survenu depuis le Protocole de Kyoto, a consisté à reléguer la politique énergétique au rang de conséquence subalterne des politiques luttant contre le réchauffement climatique. Ainsi, c'est au nom des objectifs de réduction des émissions de CO2 et pour répondre à la question climatique, que l'Union européenne a tenté de coordonner les différentes politiques énergétiques conduites au niveau national. Ce n'est donc que très récemment qu'est né l'espoir de conduire une politique proprement européenne de l'énergie.
Le CESE, dans l'un de ses derniers rapports, a souligné l'existence d'une forme de pauvreté énergétique générée par la hausse excessive du coût de l'énergie constatée de manière continue jusqu'à ces dernières semaines. En effet, près de 10 à 15 % des citoyens européens ne peuvent se chauffer pendant l'hiver et ce, parfois sous des climats rigoureux comme aux Pays-Baltes ! L'Union européenne, qui connaît une faible croissance, pâtit également du surcoût de l'énergie qui obère sa compétitivité et ainsi l'emploi de ses habitants.
En outre, comme l'a récemment illustré la crise ukrainienne, l'Union demeure fragile quant à ses sources d'approvisionnement. Un tel constat est nécessairement celui de M. Donald Tusk, dont le pays est confronté à cette difficulté récurrente.
Ainsi, le CESE participe, avec les autres institutions européennes, à la création d'une Union pour l'énergie qui reposerait sur trois piliers. Premier pilier, l'Union européenne doit parler d'une seule voix, dans le domaine international sur les questions énergétiques, notamment vis-à-vis des pays fournisseurs, en donnant mandat à la Commission européenne. Une telle démarche est en train de s'opérer de manière informelle, comme en témoignent les réponses communes et adressées récemment à la Russie quant aux cours de l'énergie. Vis-à-vis des autres pays producteurs, comme l'Algérie ou l'Azerbaïdjan, sans qu'il n'y ait à proprement parler de mandat explicite en ce sens, la Commission européenne bénéficie d'une sorte de délégation pour s'exprimer au nom des États-membres sur les questions en matière d'approvisionnement en gaz et en pétrole.
Le partage des réserves énergétiques entre les membres constitue le second pilier de cette union. Le nouveau président du Conseil européen est très attaché à cette idée de communautarisation des stocks qui fait actuellement son chemin.
Troisième pilier enfin, l'interconnexion des réseaux qui réclame des investissements lourds et dont l'absence fragilise actuellement l'Union européenne en cas de crise ou de phase haussière de consommation et constitue l'un des éléments du surcoût de l'énergie. La recherche-développement fournit également une perspective pour l'union énergétique, notamment en matière d'énergie renouvelable et d'efficacité énergétique.
La construction de l'Europe de l'énergie repose sur ces trois piliers et va par conséquent bien au-delà de la question de la production de l'énergie sur laquelle subsistent entre nos pays de réelles différences. S'agissant des modes de production, l'Union européenne a souscrit des engagements pour 2020 et 2030 ; ces derniers étant débattus au niveau international lors de la Conférence COP21. Nous avons fixé désormais trois objectifs qui concernent la production d'énergie renouvelable, la diminution de l'utilisation de l'énergie et la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Cependant, ces objectifs demeurent relativement flexibles et certains sont même non-contraignants. Aussi, l'union pour l'énergie va bien au-delà !
Le fonds européen de l'énergie, doté de 230 millions d'euros, soutient les efforts de l'Union pour l'énergie et la mise en oeuvre du « paquet climat ». Ce fonds mixte privé-public, relativement peu utilisé par la France, a soutenu les investissements des entreprises et des collectivités territoriales dans l'efficacité énergétique. Le nouveau plan d'investissement de 315 milliards d'euros, récemment annoncé par M. Jean-Claude Juncker et destiné à favoriser l'investissement, l'emploi et la croissance, devrait également profiter à l'efficacité énergétique, aux énergies renouvelables, ainsi qu'aux interconnections. La France a d'ores et déjà présenté des projets sur cette dernière thématique, même s'il convient de noter qu'y sont privilégiées les grandes infrastructures au détriment des initiatives plus locales impliquant notamment les collectivités territoriales. De mon point de vue, les projets présentés par la France demeurent perfectibles puisque la spécificité territoriale, s'agissant notamment de l'insularité, n'est pas suffisamment prise en compte. Il serait ainsi souhaitable de proposer des projets qui corrigent cette lacune afin de profiter du Fonds lequel, je le rappelle, existe depuis 2011 et va être abondé du fait du nouveau soutien accordé par la Commission à l'investissement.
Le CESE entend également, lors de sa prochaine session plénière, promouvoir une initiative conjointe avec la Commission : le dialogue européen sur l'énergie. Car l'ensemble de ces évolutions notamment liées à la mise en oeuvre du « paquet climat » destiné à favoriser l'accompagnement de la transition énergétique doit se faire en associant les citoyens, via notamment leurs représentants parlementaires, et la société civile, c'est-à-dire les employeurs, les représentants des salariés ainsi que le monde associatif. Car la réduction de la consommation énergétique doit nécessairement impliquer les particuliers, les entreprises et les collectivités locales afin qu'elle soit considérée comme un facteur de progrès. Nous allons ainsi lancer ce dialogue avec la Commission européenne, en novembre 2015, qui sera décliné au niveau national, afin de définir les changements nécessaires à la bonne conduite de la transition énergétique.
D'ailleurs, nos collègues du Comité des régions demeurent très actifs pour mobiliser les collectivités locales afin de participer au fonds européen de l'énergie en fédérant les maires impliqués dans des projets favorisant la transition énergétique, et le CESE vient de lancer un projet similaire pour la mobilisation des acteurs privés et des entreprises, via la constitution d'une association d'entrepreneurs en faveur de la transition énergétique à l'occasion notamment du renouvellement de leur parc industriel et de l'adoption de moyens de transport plus écologique. Ces derniers pourront ainsi bénéficier des programmes européens d'investissement qui consistent en des subventions et des prêts impliquant notamment le soutien de la Banque européenne d'investissement et le concours de divers fonds européens, ainsi que de divers établissements bancaires à l'échelle nationale.
Le CESE va également poursuivre son évaluation de l'impact de la transition énergétique, à l'instar de l'étude sur les énergies renouvelables que nous avons conduite et dont la conclusion souligne que sans l'implication de la société civile, toute politique énergétique est vouée à l'échec. Un tel constat légitime la déclinaison aux niveaux national et local du dialogue que nous allons bientôt débuter afin de donner force et vigueur à la mise en oeuvre de l'Union européenne de l'énergie pour la réussite de laquelle le CESE est mobilisé.