La Convention nationale, en 1795, lançait un pari sur le site que l'on connait aujourd'hui sous le nom de Baudelocque-Port-Royal, en y créant l'hospice de la maternité. Ce fut le début d'un changement profond qui vit progressivement se concentrer les naissances de notre pays dans les établissements de santé. Ce mouvement s'est achevé à la fin des années 1960, et aujourd'hui, la quasi-totalité des naissances - 820 000 en 2014 - ont lieu dans les maternités.
Vous nous avez demandé d'examiner la situation du réseau des maternités à partir de constats de terrain. Nous avons donc conduit, avec six chambres régionales des comptes, une enquête de quatorze mois, menée tant au niveau local - nous avons étudié l'organisation de dix-neuf établissements de santé et le maillage des maternités dans sept régions - que national, aux fins de synthétiser les éléments d'appréciation portés par l'administration centrale. Nos conclusions se présentent ainsi en deux volets, l'analyse générale étant assortie d'une série de monographies régionales.
Premier constat, le réseau des maternités a connu une restructuration d'ampleur, guidée au premier chef par une exigence de sécurité des naissances et le souci d'améliorer nos indicateurs de périnatalité. Ce mouvement, entamé au début des années 1970, avec le décret Dienesch, s'est accéléré avec les décrets du 9 octobre 1998 visant, dans le prolongement du plan périnatalité de 1994, à améliorer les indicateurs de périnatalité du pays, dont il était considéré qu'ils méritaient substantiellement de l'être. C'est la restructuration la plus profonde qu'ait connu notre secteur hospitalier dans les années récentes. Entre 1972 et 2012, les deux tiers des maternités que comptait le pays ont fermé et ce mouvement est resté marqué sur la période 1998-2012. En 2012, on recensait ainsi 544 maternités sur le territoire. La conséquence en a été une diminution importante du nombre de lits d'obstétrique, en même temps qu'une augmentation de la dimension moyenne des établissements. La période 2002-2012 a ainsi été marquée par une forte augmentation des maternités de grande taille. Le nombre d'établissements assurant annuellement plus de 3 000 accouchements a doublé en dix ans, tandis que le nombre de ceux qui en assurent moins de 500 a été divisé par deux.
Cette restructuration, bien que puissante, n'en aboutit pas moins à un paysage qui diffère largement de celui que l'on observe chez un certain nombre de nos voisins. Quand les maternités assurant plus de 3 000 accouchements annuels accueillent 51 % des accouchements en Suède et 69 % en Grande-Bretagne, ce taux n'est, en France, que de 23 %.
Ce mouvement de réorganisation a également produit des effets sur la répartition des établissements entre établissements du secteur public, établissements privés d'intérêt collectif et établissements privés à but lucratif : une forte diminution du nombre et de la part des établissements privés à but lucratif - un tiers des accouchements en 2002, un quart seulement en 2012 -, et une augmentation corrélative de la part des établissements publics, tandis que celle des établissements de santé d'intérêt collectif restait stable.
La première conséquence en est une tendance à l'augmentation de la technicité des soins, qui pousse beaucoup de femmes souhaitant revenir à des méthodes plus naturelles, à choisir certains lieux de naissance de préférence à d'autres.
Deuxième conséquence, cette restructuration a rendu nécessaire la mise en place de structures spécifiques pour assurer un suivi de proximité : 55 réseaux de santé périnatale et 78 centres périnataux de proximité ont ainsi été créés à ce jour. L'existence de ces structures qui assurent consultations pré et post-natales, échographies, suivis de proximité, - tandis que l'accouchement, proprement, dit a lieu dans des établissements dont le maillage est moins dense - contribue largement à faciliter la réorganisation. A noter que la perte en densité dans le maillage des maternités ne s'est pas traduite par une augmentation du temps médian d'accès à ces établissements, qui reste de dix-sept minutes, même si ce temps peut être beaucoup plus long dans certains départements.
Au total, le mouvement de restructuration a abouti à un paysage qui semble répondre aux objectifs qui présidaient aux décrets de 1998 et rencontrer un équilibre au regard des besoins de desserte de la population.
Cet état des lieux est, cependant, faussement rassurant. En dépit des outils mis en place pour accompagner cette restructuration profonde, la sécurité des naissances demeure imparfaite dans un certain nombre de situations.
Le fait est que les décrets de 1998, seize ans après leur parution, ne sont pas pleinement respectés. Le premier problème qui se pose est celui des effectifs. Alors que la démographie des professionnels de santé des secteurs gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres, sages-femmes est plus élevée que jamais, on relève, paradoxalement, des inégalités territoriales très prononcées, que les évolutions démographiques à venir, dans ces professions, pourraient encore creuser. Si la démographie des professions médicales de santé du secteur, hors sages-femmes, est élevée, c'est parce que s'y concentre, plus que dans d'autres spécialités, l'apport de médecins à diplôme étranger, dont rien ne garantit qu'il restera le même à l'avenir, tandis que le flux de formation en France n'a pas autant augmenté que dans d'autres spécialités médicales. On peut ainsi craindre que certains établissements, dans certains territoires - territoires ruraux isolés ou territoires urbains concentrant des populations défavorisées - ne s'en trouvent encore fragilisés.
Relevons que l'ensemble des établissements, en dépit des efforts déployés - recrutement de médecins contractuels, d'intérimaires, recours accru aux sages-femmes -, ne respectent pas les normes relatives au personnel et notamment l'impératif de permanence des soins qu'imposent les décrets de 1998. La fermeture brutale, en octobre dernier, de la maternité d'Orthez, à la suite d'un accident grave, témoigne de cette grande fragilité et des risques considérables qui y sont attachés.
Notre deuxième constat a trait à la sécurité des prises en charge. Les décrets de 1998 sont très prescriptifs quant à la sécurité des locaux dans le secteur de la naissance. Ils exigent une continuité entre le bloc obstétrical et le secteur de la naissance qui doivent au moins être localisés dans le même bâtiment. Or, tel n'est pas toujours le cas, même dans le cadre de réorganisations récentes, comme en témoignent les problèmes que nous avons relevés au CHU de Tours. Nous avons également observé attentivement la situation dans les maternités les plus petites, dont treize ont reçu une dérogation pour poursuivre leur activité en dépit d'un nombre d'accouchement inférieur au seuil légal de 300. Or, on relève des cas préoccupants de non-conformité aux normes. Nous documentons ainsi, dans notre rapport, le cas de la maternité de Die qui, avec 137 accouchements annuels, continue de fonctionner en dépit des difficultés relevées par l'Agence régionale de santé (ARS).
A ce problème, s'ajoute celui de la prise en charge de grossesses que l'on peut prévoir difficiles. Alors que le secteur des maternités est organisé en trois niveaux, celles de niveau I prenant en charge les grossesses normales, tandis que celles de niveaux II et III se consacrent respectivement aux grossesses pour lesquelles on anticipe des besoins de soins et aux grossesses dites pathologiques, on observe que cette structuration se déforme. Du fait de la fermeture de maternités de niveau I, on voit ainsi se concentrer les naissances dans les maternités de niveaux II et III, au prix de difficultés d'accès à ces derniers établissements pour les grossesses pathologiques ; et ceci, en dépit de l'action des réseaux de santé périnatale, qui peinent à résoudre ces difficultés d'orientation pour les naissances gémellaires ou prématurées.
Notre étude met également l'accent sur trois points qui méritent une vigilance accrue. Nous observons, en premier lieu, que les indicateurs de périnatalité, dans un certain nombre d'établissements, sont très dégradés. Dans trente-trois d'entre eux, le taux d'enfants mort-nés atteint presque le double de la moyenne, il dépasse 10 %o dans vingt d'entre elles et atteint 15 à 20 %o dans certains cas. Une analyse systématique de ces situations fait défaut. En outre, le suivi des populations en situation de précarité est mal assuré. Malgré des initiatives intéressantes, comme le recours à des réseaux associatifs, le suivi reste insuffisant, ainsi que la Cour le soulignait déjà, il y a deux ans, dans son rapport public. Enfin, la prise en charge des naissances dans les DOM, que nous avions évoquée dans notre rapport public thématique de mai 2014, reste problématique, en particulier en Guyane et à Mayotte, où les indicateurs sont très dégradés.
Le mouvement de restructuration des maternités est appelé à s'amplifier dans les années à venir, pour les raisons démographiques que j'ai évoquées, et en vertu d'exigences tant organisationnelles que d'efficience. La fragilité des établissements, au vu de l'examen de leur situation financière, nous a frappés. Ils sont soumis à un effet de ciseau : tandis que leurs charges augmentent, la tarification reste largement fondée sur ses bases historiques, malgré sa revalorisation récente. Cette situation fragilise le réseau tant public que privé -mais il est vrai que nous manquons des moyens légaux pour documenter la situation du privé.
La question d'une évolution des tarifications est donc posée, qui doit avoir deux corollaires : une évaluation de l'efficience des établissements, notamment au regard de la durée moyenne de séjour : de 4,2 jours en moyenne en France, quand la moyenne de l'OCDE s'établit à 3 jours ; une amélioration du taux d'occupation des lits qui, malgré la forte diminution de leur nombre, reste inférieur à ce qui serait souhaitable dans nombre de services.
Au vu de cette fragilité, des fermetures supplémentaires sont à attendre dans les années qui viennent. Cherchant à analyser la vision de l'administration centrale sur les évolutions à venir, nous avons été frappés par le manque de perspective à dix ou quinze ans, qui laisse le sentiment que l'on se défausse sur les ARS, charge à chacune d'entre elles d'organiser au mieux, en fonction des stratégies d'établissement -qu'elles maîtrisent inégalement- la recomposition du paysage. L'idée souvent alléguée d'une stabilité du réseau des maternités dans les années à venir ne se retrouve pas dans les données des ARS qui anticipent, dans les schémas régionaux d'organisation des soins (SROS), des fermetures dans une fourchette allant de un à quarante-sept établissements dans les années à venir, le chiffre haut représentant une contraction considérable de l'offre, à hauteur de 10 %, qui se concentrerait, de surcroît, dans certaines régions.
On peut ainsi craindre une recomposition sauvage de l'offre, laissée au gré de décisions individuelles, notamment le désengagement de structures privées, plus petites que les établissements publics et tributaires de stratégies de groupes de moins en moins enclines à accepter une activité de maternité déficitaire au motif qu'elle pourrait générer, sur la durée, un flux à venir de patientèle.
Alors qu'une telle recomposition au coup par coup mettrait le réseau en plus grande difficulté encore, au risque d'accidents et à une moindre accessibilité pour la population, nous appelons à une réflexion large et globale avec l'ensemble des acteurs sur les objectifs de la recomposition du système, à l'instar de celle qui fut menée au début des années 1990. Une telle réflexion nous semble indispensable pour piloter activement des réorganisations devenues nécessaires et inéluctables. Nous formulons, au terme de notre étude, neuf propositions pour aider au pilotage d'un secteur qui, malgré une recomposition active, doit encore se poser la question de sa structuration.