Intervention de Nicolas Karr

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 14 janvier 2015 : 1ère réunion
Audition sur la gestion du domaine de l'état de M. Pascal Viné directeur général de l'office national des forêts onf accompagné de Mme Geneviève Rey directeur général adjoint en charge des relations institutionnelles et de la coordination du réseau territorial et de Mm. Sylvain Léonard directeur régional de la martinique olivier james directeur régional de la réunion et nicolas karr ancien directeur régional de guyane

Nicolas Karr, directeur régional de Guyane de 2010 à 2014 :

Pour faire face à l'immensité du domaine en Guyane, nous différencions l'intensité de notre gestion. Elle porte essentiellement sur le domaine forestier permanent (DFP), soit la partie de la forêt qui bénéficie du régime forestier. Nous y créons les pistes forestières qui permettent d'accéder aux massifs exploités, où nous faisons les inventaires et où sont réalisées les coupes de bois. Ce n'est pas l'intégralité du DFP mais seulement 6000 à 7000 hectares qui sont exploités chaque année, en sorte que le front d'exploitation varie et se déplace d'année en année. On passe dans une zone, on crée des pistes et on exploite pendant dix à vingt ans, puis on laisse en repos pendant 65 ans et on se déplace dans une autre zone. Notre activité est concentrée sur ces zones-là en ce qui concerne la gestion de production.

En outre, la gestion forestière comprend aussi la surveillance, l'accueil du public et la gestion de la biodiversité. Dans la bande littorale, nous exerçons une fonction de surveillance au travers de la mission d'intérêt général qui nous a été confiée outre-mer par l'État pour lutter contre la déforestation illégale. Nous y intervenons aussi un peu pour la filière du bois auprès de microacteurs qui ne sont pas encore en capacité d'assurer une gestion durable. Nous leur confions des coupes dans des zones qui vont devenir agricoles pour qu'ils montent en compétences et puissent ensuite accéder à des coupes dans des forêts gérées. Cela représente 5000 mètres cubes par an mais beaucoup de petits emplois en milieu rural.

Dans le grand sud, c'est-à-dire la forêt intérieure et la zone de libre adhésion du parc amazonien, nous ne faisons pas grand-chose hormis de la surveillance de l'orpaillage illégal. Nous effectuons des missions héliportées, parfois des missions terrestres avec les forces de l'ordre et nous utilisons la télédétection par images satellite. Dans la zone de libre adhésion intervient un autre acteur : le parc national. Nous avons signé une convention pour éviter tout doublon avec le parc amazonien de Guyane et nous répartir les rôles en privilégiant une logique de coopération. Très concrètement, certains de nos agents vont de temps en temps à Saül, Maripasoula et Papaïchton exercer leur métier de gestionnaire forestier et, le reste du temps, le parc exerce d'autres missions en coordination. Nous ne souhaitons pas, et nous ne pourrions pas d'ailleurs, poster des agents dans l'intérieur, puisque le parc a ses propres effectifs sur place.

Enfin, dans le cadre d'une convention passée en 1967 avec le Centre spatial guyanais, nous assumons également la gestion de la forêt du CNES. Nous effectuons de la surveillance et assurons l'accueil du public sur les sentiers que nous avons créés.

Comment faire varier la surface du DFP ? Les terrains du domaine forestier permanent appartiennent au domaine privé de l'État et jouissent de la protection du régime forestier. S'ils perdent la protection du régime forestier, ils deviennent plus facilement mobilisables pour des transferts fonciers. Un décret de 2008 fixe les limites du DFP, donc un autre décret peut les modifier. Cela nécessiterait l'instruction du dossier pour prendre en compte ce qui est fait en matière de gestion forestière et les réseaux de desserte qui sont déployés. Cette évolution est certainement devant nous, étant donné l'expansion démographique et la concentration de l'activité humaine sur le littoral. Dans certains endroits, il est sans doute vrai que le DFP est trop proche de la mer, notamment dans l'ouest guyanais. Des évolutions sont également à prévoir en lien avec la mise en place de grandes voies pénétrantes, non plus forestières mais servant d'axes de communication. Tous les impacts de cette évolution doivent être mesurés, mais c'est un choix qui appartient à l'État et pas à l'ONF.

Notre collaboration avec le principal acteur du foncier, France Domaine, c'est-à-dire localement avec la direction régionale des finances publiques, prend la forme de réunions très régulières - deux fois par mois - et de formations croisées. Elle est d'autant plus étroite que l'ONF dispose d'un système d'informations géographiques très développé, d'outils cartographiques numériques et d'une bonne connaissance des données du territoire guyanais. Tous les titres fonciers (concessions, baux emphytéotiques, etc.) sont signés par France Domaine. Lorsqu'ils touchent au domaine forestier, permanent ou pas, l'ONF cosigne mais c'est bien France Domaine qui est décisionnaire. L'ONF participe très fortement à l'instruction des dossiers qui concernent la forêt gérée.

Le Conservatoire du littoral mène en Guyane une action plus mesurée qu'aux Antilles. Il s'est vu remettre de mémoire neuf sites dans la zone des cinquante pas géométriques qui représentent cinquante hectares, soit un ordre de grandeur beaucoup plus faible qu'aux Antilles. Par ailleurs, il a ses propres propriétés, comme le bagne des Annamites par exemple, où il essaie de mettre en place une gestion avec les collectivités territoriales. Nous interagissons avec le Conservatoire dans le cadre de la mission d'intérêt général qui nous est confiée dans la zone des cinquante pas géométriques, principalement dans l'île de Cayenne. Cela comprend des actions de surveillance et la formation des gardes du littoral - personnels des communes qui ont mis en place des conventions avec le Conservatoire - à la botanique et à l'accueil du public. La coopération avec le Conservatoire est plus mesurée en Guyane qu'aux Antilles, ce qui reflète le fait qu'il reçoit moins de missions en Guyane.

L'Agence de services et de paiement (ASP) intervient dans le paiement des subventions au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) mais n'apparaît pas dans les dossiers fonciers en Guyane que l'ONF gère.

Le Parc national amazonien est gestionnaire de la zone coeur qui couvre 2,5 millions d'hectares. Son décret de création en 2007 a fait en sorte d'éviter toute superposition avec l'ONF, si bien que nous n'intervenons pas dans la zone coeur, sauf dans le cas de conventions spécifiques, typiquement pour traiter l'orpaillage clandestin ou pour réaliser des missions scientifiques.

En ce qui concerne les possibilités d'acquérir des terrains, je n'ai pas connaissance de la possibilité d'acheter de grandes surfaces foncières depuis l'extérieur. En revanche, la Guyane connaît des dispositifs spécifiques de transferts fonciers. Il existe ainsi des possibilités d'obtenir des concessions ou des baux d'occupation agricole sur le domaine, sous réserve d'une mise en valeur agricole et d'un maintien d'une activité agricole pendant dix ou trente ans. Il existe aussi des possibilités de cession. Ce dispositif est géré par la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt et par France Domaine. L'ONF émet seulement un avis sur la possibilité de bail. Le constat de la mise en valeur agricole n'est pas opéré par l'ONF. À partir du moment où existe un bail agricole, l'ONF ne s'en occupe plus. Je ne suis pas très bien placé pour apprécier la complexité du dispositif, même si je sais que ça peut prendre un peu de temps et qu'il y a pas mal de demandes. Un certain nombre de demandes sont faites à des fins de spéculation foncière par des personnes qui ont une double occupation et ne sont pas vraiment des agriculteurs. C'est un sujet délicat.

Des terrains du domaine peuvent être également cédés à des collectivités territoriales :

- pour constituer une réserve foncière, dans la limite de 10 % de la surface agglomérée de la commune à la date de la première cession. France Domaine gère le dispositif ;

- ou pour réaliser une opération d'intérêt public, par exemple un projet de création par une commune d'une zone d'aménagement concerté (ZAC). France Domaine instruit les dossiers. J'ai bien conscience que les délais sont assez importants et que la liste d'attente est longue, mais l'ONF se contente d'émettre un avis technique.

Un autre dispositif de cession existe au profit des communautés d'habitants de la forêt. Il est encore peu utilisé mais c'est un enjeu grandissant. Tous ces dispositifs passent devant une commission d'attribution foncière et sont gérés par France Domaine. Enfin, il existe, bien entendu, des possibilités de cession onéreuse sur décision du directeur régional des finances publiques, hors commission d'attribution foncière. L'ONF n'a aucune visibilité sur ces dossiers mais nous pensons qu'ils ont pu représenter des transferts importants par le passé.

Il est exact que l'ONF paie, depuis l'adoption de la loi de finances initiale pour 2008, la taxe sur le foncier non bâti en métropole, sur l'essentiel des surfaces de la forêt domaniale pour ne pas entrer dans le détail, mais pas en Guyane. Cette extension de l'assiette à la Guyane coûterait extrêmement cher. Tout dépend maintenant des discussions entre l'État et l'ONF sur les missions qui lui sont confiées, sur les forêts qu'il doit gérer ou pas en Guyane et sur les conditions financières d'exercice. C'est à l'État de décider en la matière mais l'ONF n'est pas demandeur.

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