Intervention de Christian Martin

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 11 décembre 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Christian Martin conseiller maître à la cour des comptes sur les finances communales

Christian Martin :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation.

Le rapport public thématique de la Cour sur les finances publiques locales est le deuxième de ce type. Avant 2013, la Cour des comptes publiait des rapports thématiques sur l'État et la Sécurité sociale, mais non sur le secteur public local. Néanmoins, les travaux des chambres régionales des comptes pouvaient donner lieu à des insertions dans le rapport public annuel. Une disposition du projet de loi relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) prévoit la parution annuelle de ce rapport.

La formation interjuridictions, que je préside, est chargée des travaux sur lesquels le rapport est fondé et de la préparation du projet de rapport. Elle est constituée des magistrats de la Cour des comptes et de présidents de chambres régionales des comptes. Notre projet de rapport s'efforce d'adopter un double point de vue : territorial, car il est alimenté par les rapports des chambres régionales des comptes, et national, puisque nous utilisons les comptes de gestion des collectivités territoriales mis à notre disposition par la Direction générale des finances publiques (DGFip).

Nous nous appuyons sur les principes fondateurs de la Cour des comptes. Il s'agit tout d'abord de la collégialité. Le rapport, confié à plusieurs rapporteurs, est examiné successivement par le comité des rapports publics et des programmes - composé du premier président, des présidents de chambre de la Cour, du procureur général et du rapporteur général -, puis par la chambre du conseil - constituée du premier président, des présidents de chambre de la Cour, du procureur général et de l'ensemble des conseillers maîtres.

Un autre principe est celui de la contradiction, c'est-à-dire que le rapport est envoyé aux administrations ou aux organismes concernés, par exemple les associations d'élus, qui peuvent formuler des réponses que nous rendons publiques.

Ces principes nous prémunissent comme toute vision biaisée ou partiale. Certes, nos observations et recommandations ne sont pas toujours agréables à entendre. Cependant, nous avons cette même exigence vis-à-vis de l'État, et les données factuelles que nous publions sont exactes.

Notre rapport a pour point de départ les engagements européens de la France. Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) concerne le secteur public local, et prévoit un engagement de retour à l'équilibre. Ont également été adoptés la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques en 2012, une loi de programmation des finances publiques en 2012 ainsi que des programmes de stabilité en 2013 et 2014.

Or, on constate un report de l'objectif de retour à l'équilibre, ainsi qu'un décalage par rapport à la trajectoire d'évolution des dépenses publiques sur l'ensemble des finances publiques, secteur public local compris. Même si le déficit public local reste modeste, il a été plus important que prévu en 2013. Il ne s'agit pas de faire des collectivités territoriales des boucs émissaires, mais de dire que le redressement des comptes publics - qui fait l'objet d'un large consensus - nécessite de leur part une plus grande implication. En 2013, les efforts, certes incertains, réalisés par l'État et la Sécurité sociale, ont été en partie réduits par le creusement du déficit local ou de la dette locale. Si cette dernière représente 9% de l'endettement total, elle a toutefois augmenté dans une proportion importante.

Pour ce qui concerne l'évolution des dépenses et des recettes des collectivités territoriales en 2013, les charges de fonctionnement ont augmenté plus vite que les recettes de fonctionnement, ce qui a entraîné une réduction de l'épargne brute. Malgré cela, les régions ont maintenu leurs investissements, et les communes et les intercommunalités les ont augmentés, en puisant dans leur trésorerie ou en recourant à l'endettement. La baisse de l'épargne brute n'a donc pas eu pour effet de peser sur l'investissement.

S'agissant de l'exercice 2014, la baisse de 1,5 milliard d'euros de la dotation globale de fonctionnement (DGF) a eu un impact différent suivant les catégories de collectivités. Elle a été globalement compensée par la mobilisation ou la diversification des ressources des départements et des régions, ce qui n'a pas été le cas pour les communes et les intercommunalités.

Quant à la baisse de la DGF de 3,5 milliards d'euros par an, soit 11 milliards d'euros au total, de 2015 à 2017, nous recommandons qu'elle soit davantage péréquée au sein de chaque catégorie de collectivités.

Le montant de la DGF est de 42 milliards d'euros, et de 37 milliards d'euros si l'on retire le fonds de compensation de la TVA (FCTVA). Il ne sera pas possible de baisser la DGF de 11 milliards d'euros sans en modifier l'architecture, sa part forfaitaire et sa part péréquatrice.

La péréquation, dont traite le dernier chapitre du rapport, est aussi complexe qu'inefficace à l'heure actuelle. L'effet de réduction des inégalités par l'octroi de ressources fiscales est généralement très faible, quand il n'est pas nul, et résulte de la part forfaitaire, et non de la part péréquatrice, de la péréquation.

Tout se passe comme si la sédimentation des dispositifs de péréquation au fil des années - on en dénombre tout de même 14 - avait conduit à ce que les collectivités contributrices ou bénéficiaires ne soient pas toujours les mêmes. Il en résulte une situation contradictoire et inéquitable, ce qui ne signifie pas que les prélèvements sont indolores pour les collectivités concernées. Il faut vraiment réformer la DGF. Le ministère de l'Intérieur en est conscient et a engagé un chantier, qui prendra toutefois du temps. La baisse de 11 Mds d'euros des concours de l'État constitue une raison supplémentaire de mener à bien cette réforme.

Dans ce contexte difficile, la Cour des comptes recommande de mettre en place une loi de financement des collectivités territoriales. Il ne s'agirait pas de fixer des objectifs contraignants qui s'imposeraient aux collectivités territoriales, ces dernières s'administrant librement. Cependant, il est nécessaire de fixer un cadre de dialogue entre les collectivités territoriales et l'État. À l'heure actuelle, l'État détermine une trajectoire d'évolution des finances publiques, y compris dans le secteur local, sans analyser les données disponibles par catégorie de collectivité et par strate démographique. Il conviendrait de mieux déterminer quels sont les objectifs visés, les efforts à entreprendre, et d'analyser l'impact des décisions des collectivités, des décisions de l'État, ainsi que des normes techniques ou afférentes à la fonction publique territoriale. La Cour recommande que cette loi fixe des objectifs indicatifs, et comprennent une présentation par l'État des décisions qui relèvent de sa compétence, ainsi que des normes et de la péréquation.

Le rapport consacre un chapitre aux régions, dont les difficultés ne sont pas nouvelles mais ont été aggravées par deux facteurs : la forte croissance de leurs dépenses de fonctionnement, consécutive aux transferts de compétences intervenus depuis 2004, et la rigidification de leurs ressources, la réforme de la fiscalité locale de 2010 ayant restreint leur capacité de fixation des taux. La situation varie selon les régions, et doit être examinée avec une attention particulière. La Cour recommande que les régions se recentrent davantage sur leur coeur de métier : le transport ferroviaire, les lycées, la formation professionnelle et l'apprentissage, auxquels on peut ajouter le développement économique. Il convient également qu'elles soient beaucoup plus sélectives en ce qui concerne la clause générale de compétence. Le projet de loi NOTRe va en ce sens. Lorsque les transferts de compétences aux régions seront connus, il sera nécessaire de revoir leur panier de ressources fiscales, afin de veiller à ce qu'elles disposent d'une composante supplémentaire de fiscalité dynamique, à même de leur permettre d'assurer leurs missions. Après quelques réticences initiales, le président de l'Association des régions de France (ARF) a reconnu que ce que proposait la Cour rejoignait en partie ses préoccupations.

Le rapport thématique analyse ensuite la situation du bloc communal. Les lois de 1992 et 1999 ont permis que l'intercommunalité couvre une large partie du territoire. Ainsi, de 2000 à 2005, 85 % des communes ont été intégrées au sein de structures intercommunales. Celles-ci regroupent en moyenne 14 communes et 12 000 habitants.

Il est aujourd'hui possible d'évaluer l'impact de ces regroupements : les structures intercommunales sont trop enchevêtrées du fait de la difficulté de leur attribuer un territoire pertinent. De plus, un effort reste nécessaire pour réduire le nombre des syndicats intercommunaux qui subsistent, alors que leurs compétences devraient être absorbées par les structures intercommunales. Ces dernières sont théoriquement compétentes pour exercer des missions très vastes, mais les compétences qui leur sont transférées par les communes sont aujourd'hui encore trop restreintes.

Ce manque d'intégration des compétences, notamment économiques, conduit à un manque d'intégration financière.

Le rapport souligne enfin qu'une stabilisation des dépenses de fonctionnement est indispensable. On constate ainsi, de 2000 à 2011 (dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles), une forte croissance des effectifs : 260 000 emplois supplémentaires en onze ans pour le bloc communal, sans que ce dernier ait reçu de nouvelles missions. Ce niveau de collectivité territoriale a ainsi recruté plus de personnels que les effectifs actuels cumulés de la police et de la gendarmerie. La masse salariale ainsi créée constitue un problème central pour les finances locales, alors même que l'État s'est engagé dans une politique résolue de réduction de ses effectifs : en 2011, seul un tiers des agents de l'État partant à la retraite ont été remplacés.

Il faut une cohérence entre la politique du personnel suivie au niveau de l'État et celle pratiquée par les collectivités territoriales. Le rapport de la Cour vise à apporter une base au nécessaire dialogue entre ces deux niveaux.

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