Intervention de Bruno Sido

Réunion du 3 février 2015 à 14h30
Représentation équilibrée des territoires — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Photo de Bruno SidoBruno Sido :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, à l’heure où certains s’interrogent sur le rôle du Sénat et demandent une profonde réforme de cette institution, en souhaitant qu’il soit procédé à sa fusion avec le Conseil économique, social et environnemental, voire à sa suppression pure et simple, je crois nécessaire de rappeler, faits à l’appui, la plus-value apportée par notre assemblée.

L’examen de cette proposition de loi constitutionnelle en offre une belle démonstration. En complémentarité avec l’Assemblée nationale, qui se préoccupe – c’est naturel – du respect du principe démographique, c’est-à-dire de réduire au maximum les écarts de représentation entre les circonscriptions d’élection, nous veillons, nous, à une représentation équitable et efficace des territoires.

Représentant des territoires de la République, dans leur diversité, le Sénat dispose d’une connaissance fine de la réalité des régions, des départements, des intercommunalités et des communes, de leurs actions, de leurs moyens, de leur apport au bien commun et, surtout, de l’importance du lien de confiance qui unit les élus locaux à nos concitoyens.

Les collectivités locales sont le socle de notre démocratie au quotidien. La proximité, l’écoute et la disponibilité des élus de terrain font partie de l’acquis républicain. Ils permettent à notre démocratie, malgré la crise terrible qui frappe le pays, de mieux résister aux assauts populistes, qu’ils viennent de droite comme de gauche.

Alors que notre pays n’a jamais compté autant de personnes au chômage, situation qui met à mal la cohésion nationale, l’action publique doit renforcer le lien entre les élus et les citoyens. Au vu des circonstances présentes, je dirais même que c’est vital.

Comment faire ? Refuser l’uniformité, qui est non pas l’égalité républicaine, mais le déni des différences, c’est tenir compte du principe de réalité.

Tel est précisément l’apport du Sénat, qui, par sa compréhension fine des équilibres territoriaux, loin de l’effervescence qui anime parfois nos collègues de l’Assemblée nationale, propose, par la voix de son président, de M. le président de la commission des lois et de M. le rapporteur, un texte parfaitement adapté au monde rural.

Les médias évoquent ces temps derniers, à juste titre, le sentiment de nombreux habitants des banlieues, lassés d’être laissés au bord du chemin et d’être exclus de la République et du vivre-ensemble. Or ce sentiment d’abandon est très fort aussi dans les départements ruraux, même s’il s’exprime moins. Le désespoir est parfois muet, mes chers collègues !

Mettons-nous à la place de celles et ceux qui vivent au quotidien la désertification : après la fermeture par l’État des écoles, des perceptions, des casernes de gendarmerie, pour ne citer que trois exemples, ce sont les commerces de proximité et les bureaux de poste qui disparaissent, tandis que les médecins et les infirmières libérales se font de plus en plus rares.

Face à cette fracture territoriale, les élus locaux, notamment les maires, sont en première ligne, avec le conseiller général. Leur disponibilité est aussi exceptionnelle que leur modestie. Leur rôle est déterminant pour la cohésion de notre pays. Pourtant, la réforme territoriale conduite par le Gouvernement risque d’éloigner les élus des électeurs.

En effet, le redécoupage cantonal a divisé par le deux grosso modo le nombre de circonscriptions pour mettre en place le binôme. Ce faisant, il a inscrit son action dans un tunnel de plus ou moins 20 % autour de la moyenne départementale, de telle sorte que le canton le plus peuplé d’un département peut compter au maximum 20 % de plus que la moyenne départementale, tandis que le canton le moins peuplé ne saurait avoir un nombre d’habitants inférieur de plus de 20 % à cette même moyenne départementale.

Au nom de l’égalité devant le suffrage, le Conseil constitutionnel est vigilant, et la marge étroite, trop étroite d'ailleurs, pour les collectivités territoriales en milieu rural.

Concrètement, cette réforme a parfois créé, en Haute-Marne comme dans nombre de territoires ruraux, des cantons de près de soixante-dix communes, voire plus, qui s’étendent sur des dizaines de kilomètres du nord au sud et d’est en ouest.

L’article 2 de la présente proposition de loi constitutionnelle permettra de desserrer le cadre, en autorisant des variations pouvant aller jusqu’à 30 %, voire plus dans certains cas. C’est un très net progrès, à même de permettre la création de cantons plus petits en milieu rural, synonymes de capacité pour l’élu à rester proche de nos concitoyens, au quotidien.

Surtout, mes chers collègues, ce qui me tient à cœur et que je voudrais dire avec force relève des modalités d’application. D’aucuns disent parfois que le diable se cache dans les détails.

C’est un point clef qui a échappé à beaucoup d’observateurs : le Gouvernement n’a pas toujours utilisé la marge de 20 % conformément à l’esprit de la loi, c'est-à-dire pour créer des cantons à taille humaine en milieu rural. Au contraire, selon certains esprits chagrins, il l’a utilisée pour augmenter dans les villes le nombre de circonscriptions gagnables, ou plutôt « sauvables », par la gauche aux élections de mars prochain. Cela s’est notamment produit en Haute-Marne pour les cantons urbains de Chaumont.

C’est la raison pour laquelle il me semble important que les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle rappellent avec force l’esprit du texte, de sorte que l’application des lois et la prise de décrets respectent cette approche équilibrée, que l’on pourrait résumer ainsi : sauf exception justifiée par des motifs d’intérêt général et étayée par des éléments concrets, la marge de plus ou moins 30 % autour de la moyenne départementale a pour objectif la définition de circonscriptions de proximité, notamment pour ce qui concerne la superficie et du nombre de communes concernées.

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