Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’attentat criminel contre la rédaction de Charlie Hebdo et le meurtre de neuf personnes dans une épicerie juive le mois dernier ont créé un contexte qui donne à la proposition de loi de Leila Aïchi une signification particulière et une nouvelle portée.
À Paris, la grande manifestation du 11 janvier, ainsi que celles qui se sont déroulées dans les grandes villes de notre pays, a été l’expression d’un très large rassemblement populaire pour la défense des valeurs démocratiques et républicaines, dont la liberté d’expression en général, et celle de la presse en particulier pour informer, critiquer, voire caricaturer sans contraintes.
La présente proposition de loi traduit donc la louable intention d’associer, dans un même hommage, le travail remarquable qu’effectuent les salariés d’organisations non gouvernementales auprès des populations dans les zones de conflits et de guerre, et celui des journalistes qui assurent, coûte que coûte, leur mission d’informer et veulent préserver cette liberté.
D’autres orateurs ont rappelé avant moi, chiffres à l’appui, combien ces professions au service de leur engagement pour ces nobles causes ont été cruellement et mortellement frappées. Cette proposition de loi vise à leur consacrer, dans notre pays, une journée officielle dont la date a été fixée au 21 septembre. Celle-ci correspond à la Journée internationale de la paix décrétée par l’Organisation des Nations unies.
De prime abord, rendre hommage à ces activités, commémorer le sacrifice de leurs acteurs semble aller de soi et répondre à un impératif pédagogique, à savoir soutenir, partout dans le monde, tous les défenseurs des droits humains et des libertés fondamentales.
Toutefois, légiférer sur de tels sujets n’est pas anodin. Cela doit inciter à réfléchir au sens et à la portée de l’acte politique que l’on veut accomplir.
Je pense que la politique – au sens étymologique du terme – et les bons sentiments ne font pas nécessairement bon ménage. Le mélange n’aboutit pas forcément aux effets bénéfiques escomptés pour la société.
Je le dis donc avec franchise, la proposition de loi que nous examinons est généreuse, sincère, et j’en remercie son auteur. Néanmoins, elle soulève de nombreuses questions et quelques difficultés.
Elle est d’abord redondante. De fait, son adoption risquerait de banaliser les causes qu’elle tend à mettre en valeur et ferait aussi courir le risque de passer à côté des objectifs visés.
En effet, comme cela a été précisé tout à l’heure, avec la Journée internationale de la paix le 21 septembre, la Journée mondiale de l’aide humanitaire le 19 août, la Journée mondiale de la radio le 13 février, la Journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai et la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes le 2 novembre, il existe au total déjà cinq journées proposées par l’ONU sur des thèmes voisins.
Certes, Mme Aïchi souhaite donner une autre dimension à ces commémorations, en associant, d’une part, les humanitaires et les journalistes dans un même hommage, et en distinguant, d’autre part, les journées internationales créées par des résolutions des Nations unies de celles qui sont explicitement consacrées par le droit national.
J’estime également que l’objet de cette proposition de loi est trop large, car, si j’en crois l’exposé des motifs, « il importe que le peuple français rende hommage à ces femmes et ces hommes, de toutes nationalités, qui agissent à travers le monde ».
Sur le fond, je m’interroge donc sur la nécessité et l’efficacité de déterminer par le biais d’une loi ce type de journée commémorative.
Par ailleurs, créer par la loi une journée d’hommage au plan national soulève trop de questions : quelles nobles causes choisir et combien, afin qu’elles ne soient pas étouffées par le nombre et ainsi banalisées ? À quelle date se rattacher ?
Surtout, il faut apprécier à sa juste mesure l’effet normatif qui peut résulter en l’espèce d’un texte législatif. Étant donné la rédaction de l’article unique de la proposition de loi, vous conviendrez, mes chers collègues, que cet effet est très faible.
Au demeurant, cette proposition de loi représente avant tout d’un geste symbolique et politique visant à sensibiliser et à mobiliser l’opinion publique sur les besoins humanitaires et démocratiques dans le monde. Cela suffit-il à en faire une loi de la République ?
J’aurais plutôt tendance à penser que les activités bien connues des ONG et l’audience de ces dernières dans les médias en cas de crise ou de catastrophe suffisent pour que nos concitoyens reconnaissent et apprécient la valeur de leur contribution en faveur de la paix.
Pour ce qui concerne les journalistes, l’intention est sans doute d’appeler l’opinion à réfléchir au rôle des médias dans la promotion des libertés et de la démocratie, ainsi qu’aux équilibres à trouver entre la liberté de l’information et de la critique et le respect des règles nécessaires à toute vie dans nos sociétés démocratiques.
Je le dis clairement, je n’ai pas une conception aseptisée, angélique et béate de la liberté de la presse. Le rôle d’une presse libre, c’est également d’être partisane et de défendre des idées que l’on a le droit de combattre.
Au final, je crains que toutes ces questions ne dépassent l’objet et le cadre de la proposition de loi de Leila Aïchi.
L’instauration légale d’une nouvelle journée commémorative, telle qu’elle figure dans ce texte, ne me paraît en définitive guère judicieuse, pertinente ni vraiment efficace.
Cependant, je comprends et je partage le souci d’accomplir un geste politique pour sensibiliser les opinions publiques sur ces sujets importants en rendant hommage aux travailleurs humanitaires et aux journalistes.
En conclusion, eu égard au contexte actuel de grande sensibilité pour défendre la liberté de la presse, les membres du groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendront lors du vote de la présente proposition de loi. §