Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 4 février 2015 à 14h30
Journée des morts pour la paix et la liberté d'informer — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’initiative de Leila Aïchi prise voilà près d’un an et qui, en ces temps sombres de barbarie sanguinaire, a un écho et un relief particuliers. L’importance et la signification ultime de l’engagement des journalistes dans les zones de conflits comme de celui des humanitaires n’apparaissent, hélas, dans toute leur grandeur, leur humanisme que lorsque ces engagements sont au prix d’une vie humaine.

Le supplice et la mort intolérable, terriblement injustes, de ces femmes et de ces hommes de bonne volonté rappellent à tous, encore plus depuis le 7 janvier dernier, que les valeurs fondamentales de nos sociétés, le respect de la vie humaine, la dignité humaine sont des conquêtes récentes et fragiles qui ne sont malheureusement toujours pas partagées partout.

Qu’ils soient journalistes ou humanitaires, leur sacrifice rappelle la précarité de la vie, et au-delà, la précarité de nos sociétés pluralistes fondées sur la liberté, une conception du monde ouverte et tolérante, le partage au-delà des différences qui nous enrichissent…

Je profite donc de cet instant pour rendre hommage non seulement aux journalistes et aux humanitaires qui ont fait le sacrifice de leur vie et qui ont pu la perdre dans d’atroces souffrances, mais plus largement à toutes les personnes détenues et à toutes celles qui ont été exécutées.

Je tiens également à rendre hommage à nos soldats, aujourd’hui engagés sur l’ensemble des théâtres d’opération, et qui, à un titre différent mais non moins glorieux que les civils, combattent avec honneur et professionnalisme les projets obscurs d’esprits détraqués, perdus et malfaisants.

Je veux aussi rappeler que, sur notre territoire, trois de nos soldats, en raison du port de l’uniforme, ont été récemment les victimes du terrorisme.

À chacune de ces exécutions, et sans doute plus particulièrement lors de celles qui, de par leur mise en scène, ont pour vocation d’être des instruments de propagande, nous sommes indignés et scandalisés.

Mes chers collègues, ces femmes et ces hommes se sont engagés dans des territoires hostiles et dangereux par bienveillance, amour de l’autre, habités par la certitude qu’il fallait être aux côtés de ceux qui souffrent. Notre responsabilité est de faire en sorte que leur mort ne soit pas vaine, et que l’esprit qui accompagnait leur engagement inspire et guide nos réactions et nos décisions.

Oui, tous ces faits nous révoltent, et à raison, mais qu’ils ne nous fassent pas douter de nous-mêmes, n’instillent pas le germe de la méfiance, de la suspicion, de la division dans notre communauté nationale. Notre action doit viser non pas la vengeance, mais la mise en œuvre d’un monde plus sûr, notamment pour les plus faibles : les enfants, les femmes, les minorités.

Nous sommes confrontés à un défi grave : une poignée de nos jeunes, éperonnés par l’ennui conjugué à une fascination morbide pour l’apocalypse, convaincus d’être des justiciers, deviennent des assassins sans foi ni loi.

Cette stratégie de la tension a pour finalité de semer le doute, la discorde et le chaos dans nos sociétés. La commémoration doit cimenter l’unité nationale, et nous avons effectivement besoin de retrouver un sens collectif.

Aussi, cette proposition d’une journée d’hommage présente un fort contenu symbolique. Pour autant, elle n’a pas recueilli l’assentiment de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour des raisons qui tiennent, entre autres, à l’inflation commémorative qui la rend contre-productive et qui, même sous un certain angle, pourrait nous égarer.

Mes chers collègues, je vous invite à regarder, dans le baromètre de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, la nationalité des journalistes qui ont été tués parce qu’ils exerçaient leur métier passionnément : en Chine, des Chinois ; en Syrie, des Syriens ; en Iran, des Iraniens. Tels sont ceux qui paient le plus lourd tribut. Une journée de commémoration nationale présente ainsi le risque de rétrécir la force symbolique de l’hommage.

La présente proposition de loi, en donnant un contenu défini à la Journée internationale de la paix, qui se tient le 21 septembre, à la suite du vote d’une résolution par l’Assemblée générale des Nations unies, est contraire à l’esprit de cette dernière. En effet, je le rappelle, au travers de cette résolution, il est proposé aux États un thème qui varie chaque année et présente donc l’avantage d’être adapté à l’actualité, ou une thématique qui a une résonnance particulière. Cette année, le thème retenu est le droit des peuples à la paix. L’idée est de marquer le trentième anniversaire de la Déclaration sur les droits des peuples à la paix de l’Assemblée générale.

Par ailleurs, plusieurs commémorations ou textes concernant les journalistes et les travailleurs humanitaires existent également ou ont été adoptés à l’échelle internationale, souvent à l’instigation de la France.

En effet, considérant cette question comme symbolique et vitale, notre pays a préféré la traiter au sein des enceintes internationales plutôt que de se contenter d’une démarche commémorative nationale.

La France est, par exemple, particulièrement engagée en faveur de la protection et de la sécurité des journalistes, en temps de paix comme en situation de conflit. La question de la protection des journalistes et la lutte contre l’impunité des crimes commis à leur encontre sont en effet des enjeux essentiels de la liberté de la presse, dans un contexte où 90 % des crimes commis contre les journalistes restent impunis. Ces sujets ont fait l’objet d’un dialogue étroit entre le ministère des affaires étrangères et du développement international et Reporters sans frontières, organisation très mobilisée pour un renforcement de la protection des journalistes en droit international.

Au sein des enceintes internationales, notre pays s’est particulièrement mobilisé sur cette cause, afin qu’elle constitue une politique commémorative.

Ainsi, après l’assassinat des deux journalistes de Radio France internationale – RFI – au Mali le 2 novembre 2013, la France a obtenu que le Conseil de sécurité adopte une déclaration à la presse condamnant ces assassinats et rappelle les principes de la protection des journalistes dans les conflits armés. Ces principes, notre pays les avait portés à l’agenda du Conseil de sécurité dès 2006.

C’est aussi sur l’initiative de la France qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la sécurité des journalistes a instauré, à la fin de l’année 2013, la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, célébrée le 2 novembre, en mémoire de l’assassinat des journalistes de RFI. Celle-ci s’ajoute à la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, que notre pays célèbre également.

Très récemment, le 25 septembre dernier, la France s’est mobilisée à Genève, au Conseil des droits de l’homme, pour l’adoption d’une résolution invitant les États à renforcer la lutte contre l’impunité. Elle a notamment préconisé la mise en place d’un mécanisme d’alerte précoce et de réponse rapide, permettant aux journalistes menacés de contacter les autorités en vue de bénéficier de la protection nécessaire.

Quant aux travailleurs humanitaires, ils font déjà l’objet d’une journée : la Journée mondiale de l’aide humanitaire, qui est fixée au 19 août et que la France observe.

Le 29 août dernier, notre pays s’est mobilisé pour l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2175 sur la protection des travailleurs humanitaires.

Enfin, tous les 10 décembre, la France célèbre la Journée internationale des droits de l’homme. C’est l’occasion de rendre hommage à ceux, morts mais aussi vivants, qui luttent pour la promotion et le respect des droits de l’homme.

Mes chers collègues, en définitive, il nous semble que les 21 septembre, 2 novembre, 3 mai, 19 août et 10 décembre constituent un arsenal commémoratif suffisant. Est-il nécessaire d’y ajouter une date ? Toutes celles que je viens de citer ont été adoptées à l’échelon international. Aussi ces commémorations ont-elles une vocation mondiale. De surcroît, nombre d’entre elles ont été créées sur l’initiative de notre pays, qui est très en pointe sur ces questions.

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