Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, longtemps, l’image du cannabis et de ses produits dérivés a été celle d’une drogue « douce », récréative, sans danger pour la santé.
Les nombreux travaux scientifiques menés au cours des dernières années ont cependant mis en lumière une tout autre réalité. Je souhaite revenir quelques instants sur ces risques sanitaires bien réels, en rappelant simplement l’état des connaissances médicales sur la nocivité du cannabis pour les personnes les plus fragiles.
Les dommages se traduisent essentiellement par des troubles cognitifs et psychiatriques dont la sévérité varie selon les quantités consommées, l’âge d’exposition et les vulnérabilités particulières de chaque individu.
À cet égard, la jeunesse constitue une période particulièrement critique. Le processus de maturation cérébrale, lequel « bat son plein » à l’adolescence et se poursuit au-delà, permet au jeune d’acquérir les compétences physiques et intellectuelles qui lui seront indispensables dans sa vie d’adulte. Or le THC, principe actif principal du cannabis, interagit avec ce développement, ce qui peut conduire à des anomalies de la substance grise et de la substance blanche, c’est-à-dire du système cérébral et neurologique.
Si des troubles de l’attention et de la mémoire peuvent survenir dans les six heures suivant une prise unique, ils sont d’autant plus importants que la consommation a débuté précocement. Or la première expérimentation de l’usage de cannabis se fait de plus en plus précocement.
Lorsqu’elles s’accompagnent d’un syndrome « amotivationnel » – désintérêt, manque d’engagement –, ces difficultés sont susceptibles, en cas de consommation régulière, de causer ou d’aggraver le décrochage scolaire, voire la désinsertion sociale.
Les conséquences sont graves lorsque ces troubles sont à l’origine d’accidents de la voie publique. Je le rappelle, mais vous le savez tous, l’usage conjoint de cannabis et d’alcool multiplie par 14 le risque de se rendre responsable d’un accident mortel de la route !
En ce qui concerne les effets du cannabis sur le psychisme, le risque de survenue d’états d’angoisse aiguë est avéré. Une constatation clinique fréquente est celle de symptômes psychotiques tels que des idées de persécution ou d’hostilité de l’entourage, voire des sensations de dépersonnalisation, et, plus rarement, des hallucinations. Une étude portant sur des étudiants indique que ces effets sont plus importants lorsque les sujets présentent une vulnérabilité particulière à la psychose.
Les liens entre le cannabis et la schizophrénie, quant à eux, ont longtemps été controversés. Une première étude, célèbre, réalisée en 1987 par Andreasson sur une large population de conscrits suédois établissait un lien statistique entre exposition au cannabis et risque ultérieur de schizophrénie.
Cette étude a été critiquée pour ses biais. Des travaux épidémiologiques ultérieurs ont néanmoins permis d’affiner les résultats. Il en résulte que l’augmentation du risque de troubles psychotiques dépend de nombreux facteurs et que, au total, le cannabis pourrait révéler, ou aggraver, une schizophrénie latente.
Enfin, comme pour le tabac et l’alcool, la plupart des conséquences somatiques surviennent généralement plusieurs dizaines d’années après le début d’une consommation régulière. Les effets carcinogènes induits par le cannabis sont indépendants de ceux qui sont liés au tabac. Plusieurs études récentes ont en outre montré que la consommation de cannabis pouvait favoriser la survenue d’infarctus du myocarde. Elle peut aussi être à l’origine d’accidents vasculaires cérébraux, ou AVC, par angiopathie cérébrale.
Enfin, il faut souligner que l’appétence des usagers pour des produits de plus en plus dosés en THC, ainsi que l’émergence de cannabinoïdes synthétiques n’augurent rien de bon quant à l’évolution de la dangerosité, bien au contraire.
Voici, en quelques mots, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les éléments en notre possession sur l’impact sanitaire de la consommation de cannabis.
Dès lors, faut-il revoir le régime légal et pénal applicable, en France, à l’usage du cannabis ? Cette question a suscité de riches débats en commission, comme l’a souligné notre rapporteur. Je tiens d’ailleurs à remercier Jean Desessard pour la très grande qualité de son rapport : son travail, à la fois documenté, précis et objectif, a suscité un vif intérêt et permis à chacun d’entre nous de faire avancer ses réflexions à partir du constat largement partagé des limites du cadre actuel.
De solides arguments ont été avancés de part et d’autre sur une question difficile, qui n’appelle pas de réponse totalement évidente, en témoigne la diversité des législations nationales. Un assouplissement du cadre légal – certains l’ont souligné – paraîtrait contradictoire avec le message de prévention et rendrait tout retour en arrière particulièrement difficile. Mais il est vrai aussi que la réponse pénale actuelle conduit à des impasses.
Notre collègue Laurence Cohen, ancienne rapporteur des crédits de ce qui était à l’époque la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la MILDT, nous a rappelé son travail avec les fédérations d’addictologie. Vous l’avez dit, les professionnels du terrain appellent de leurs vœux un grand débat public sur la question des drogues, laquelle reste trop souvent traitée de manière superficielle, sous l’angle du sensationnel. Il semble en effet que la criminalisation des usagers fasse obstacle à l’accès aux soins et à la prévention.
Je tiens également à saluer, pour sa contribution avisée, Gilbert Barbier, l’actuel rapporteur pour avis des crédits de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la MILDECA. Dans le prolongement de son excellent rapport d’information de 2011 sur la question des toxicomanies, notre collègue a pointé la nécessité de changer de système et d’approfondir la démarche de sensibilisation des jeunes et de leurs familles aux dangers encourus.
Au terme d’une discussion nourrie, la commission des affaires sociales n’a pas approuvé le dispositif proposé par notre collègue Esther Benbassa. Elle n’en reconnaît pas moins le besoin d’une stratégie cohérente, madame la secrétaire d’État, à l’égard d’un produit dont la consommation est loin d’être anodine, notamment pour les jeunes.
Je ferai une dernière remarque. M. le rapporteur justifie cette proposition de loi en invoquant la légalisation ancienne du tabac et de l’alcool. Je rappelle d’abord que la consommation d’alcool, traditionnelle en France et dans toute l’Europe, n’a jamais fait l’objet, à l’origine, d’une légalisation.
Quant au tabac, ceux qui l’ont légalisé n’en connaissaient pas les dangers.