Dans notre tradition juridique libérale, ce qui n’est pas interdit est permis, et ce qui est permis est légal. Dépénalisation et légalisation se rejoignent donc. Il ne pourrait en être autrement que s’il était proposé de remplacer les sanctions pénales, c’est-à-dire criminelles, délictuelles ou contraventionnelles, par d’autres sanctions, administratives, par exemple, ce qui n’est pas le cas ici.
Dépénaliser ou légaliser nécessiterait à tout le moins la construction d’un système juridique ad hoc : définition juridique des drogues concernées, précision des conditions de consommation admises, lieux de vente, approvisionnement, prix, modalités de contrôle, notamment ; toute une série de contraintes à la marge desquelles les trafics que l’on prétend asphyxier se reconstruiraient sans grande difficulté. J’ajoute que le texte présenté renvoie le tout à des décrets, sans aucun encadrement législatif. Cela est difficilement acceptable pour un sujet aussi sensible.
Nous sommes de fait dans un débat de fond sur la société que nous voulons. L’objectif d’une société sans drogues – commun à l’ensemble des pays européens – est-il irréaliste, fantasmatique ou encore infantilisant au regard de l’existant, au regard des politiques de réduction des risques, qu’ils soient somatiques ou sociétaux ?
À ce jour, aucun pays européen n’a renoncé à construire une société sans drogues. Il est d’ailleurs possible de mener cette politique de réduction des risques sans pour autant renier cet idéal. Il n’est pas concevable de risquer la démission de l’État et du corps social devant les dangers que représente la drogue.
L’usage du cannabis, comme d’autres drogues, doit rester une transgression.
Alors, plutôt que dépénaliser ou légaliser – vous l’aurez compris, c’est pour moi la même chose –, je pense qu’il serait préférable de moduler l’échelle des peines. Certes, la modulation existe déjà : rappel à la loi, injonction thérapeutique, amende ou peine d’emprisonnement, sont prévus par le code pénal. Mais la réponse pénale, nous le voyons bien, est inefficace et inapplicable, parce qu’inadaptée aux réalités quotidiennes de la consommation de drogues illicites.
Si le nombre d’interpellations a connu une croissance spectaculaire, il n’en reste pas moins faible au regard du nombre de consommateurs réguliers ou occasionnels.
Par ailleurs, les études le montrent bien, les interpellations épargnent des catégories entières de consommateurs, notamment les plus jeunes, ce que j’avais déjà dénoncé dans mon rapport d’information.
J’avais d’ailleurs déposé, avec plusieurs sénateurs du RDSE, une proposition de loi visant à punir d’une peine contraventionnelle toute interpellation au premier usage. Cette proposition, que la Haute Assemblée avait adoptée, fera peut-être un jour son chemin…
Pour toutes ces raisons, la voie qu’il nous est ici suggéré d’emprunter ne nous semble pas être la bonne. Aussi, le groupe du RDSE ne votera pas cette proposition de loi.