Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me recevoir à la veille d’une semaine où se tiendront un conseil Affaires générales et une réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne.
Initialement conçue pour traiter de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, cette réunion portera en réalité sur la réponse de l’Union européenne au défi du terrorisme.
Voilà près d’un mois, les 7, 8 et 9 janvier, des attentats frappaient Paris. La solidarité européenne s’est immédiatement exprimée. Dans un élan de fraternité et de solidarité qui s’est incarné par la participation de très nombreux chefs d’État et de gouvernement à la marche du 11 janvier à Paris, l’Europe a montré que, comme la France elle-même, elle se sentait touchée au cœur.
Il est alors apparu évident que l’Europe unie devait faire face pour défendre une communauté de nations solidaires et une communauté de valeurs.
Depuis lors, les ministres de l’intérieur de l’Union européenne, qui, pour beaucoup d’entre eux, avaient déjà été réunis par Bernard Cazeneuve à Paris le 11 janvier, se sont retrouvés à Riga. Ils ont adopté une déclaration commune qui servira de matrice à celle que devraient adopter les chefs d’État et de gouvernement le 12 février à Bruxelles.
Le travail que nous menons vise à obtenir que le Conseil européen prenne des décisions et des orientations dans trois directions : la sécurité de nos concitoyens, la prévention de la radicalisation et l’action extérieure de l’Union.
En premier lieu, en vue d’assurer la sécurité de nos concitoyens à l’échelle européenne, le Conseil européen demandera que le Conseil et le Parlement européen adoptent le plus rapidement possible la directive Passenger name record, ou PNR, sur les dossiers des passagers des transports aériens.
Mon collègue Bernard Cazeneuve et moi-même sommes très mobilisés sur le sujet. Nous avons multiplié les rencontres avec les parlementaires européens au cours des dernières semaines, afin de les convaincre d’agir rapidement sur ce dossier. Nous avons indiqué que nous étions prêts à apporter des réponses à certaines de leurs inquiétudes. Je pense en particulier à la question de la protection des données personnelles. En tout état de cause, nous avons absolument besoin de pouvoir disposer d’un système PNR à l’échelle européenne. À défaut, nous en serions réduits à une addition de systèmes PNR nationaux ; la France adoptera d’ailleurs le sien au mois de septembre. Cela poserait des problèmes de cohérence, d’efficacité dans la transmission des informations sur les données des passagers. En outre, les garanties espérées et attendues par le Parlement européen à l’échelle européenne ne pourraient pas être établies.
Par ailleurs, le cadre de Schengen doit être pleinement utilisé et les frontières extérieures renforcées, en particulier via une modification ciblée du code Schengen, afin de permettre des contrôles systématiques aux frontières externes. La liberté de circulation à l’intérieur de la zone Schengen sera d’autant mieux assurée que les garanties concernant les mouvements suspects de personnes, notamment de combattants étrangers terroristes, aux frontières extérieures de l’Union européenne seront renforcées.
La coopération policière et judiciaire au niveau européen doit également être renforcée, que ce soit sur le plan opérationnel ou en termes d’échange d’informations, en particulier via Europol et Eurojust. Elle est déjà de bonne qualité, tout comme la coopération entre les services de renseignement, mais nous sommes évidemment mobilisés pour intensifier encore les échanges d’informations.
Toutes les autorités compétentes en matière de lutte contre le trafic illégal des armes à feu doivent accroître leur coopération. Si nécessaire, les États membres doivent également adapter rapidement leur législation nationale en ce domaine.
Enfin, la traçabilité des flux financiers doit être renforcée. La France souhaite – Michel Sapin a inscrit ce point à l’ordre du jour de la dernière réunion du Conseil Ecofin – que des mesures supplémentaires soient adoptées en matière de traçabilité des paiements et d’harmonisation du contrôle des flux financiers dans les pays à risque. Les États membres devront également rapidement mettre en œuvre le cadre renforcé de lutte contre le blanchiment d’argent.
La deuxième direction, c’est la prévention de la radicalisation et la promotion de nos valeurs.
Nous avons besoin d’un cadre global au niveau européen, afin de combattre le phénomène de la radicalisation. Ce cadre doit notamment comprendre la mise en place d’un dialogue structuré avec les grands opérateurs d’internet aux niveaux européen et international. En effet, internet est un espace à la fois de radicalisation et de recrutement, mais aussi de communication entre terroristes. C’est pourquoi la France souhaite que la Commission européenne propose une législation pour assurer, chaque fois que nécessaire, la suppression des contenus visant à l’apologie et à l’incitation au terrorisme diffusés sur les plateformes et les sites ou l’impossibilité d’y accéder.
Nous devons aussi diffuser des « contre-discours » facilement accessibles aux publics cibles, notamment les jeunes. Il faut promouvoir la vérité contre la propagande mensongère – le Gouvernement a lancé le site « stop djihadisme » –, mais aussi défendre les valeurs de tolérance, de démocratie, de liberté, de non-discrimination et de solidarité.
Les activités du réseau européen de sensibilisation à la radicalisation, le RAN, qui réunit des praticiens européens autour d’une approche transversale et pluridisciplinaire du phénomène de la radicalisation, doivent être renforcées.
Enfin, des initiatives devront être prises dans le domaine de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’intégration sociale, à la fois dans les États membres et au niveau européen, notamment en mobilisant les fonds structurels.
La troisième direction est le renforcement de nos coopérations avec nos partenaires internationaux.
Les conflits dans le voisinage de l’Union européenne, en particulier dans notre voisinage sud, doivent être traités à travers une approche plus stratégique.
La place des questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme dans nos échanges avec les États tiers, en particulier ceux du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, doit être renforcée, notamment en mobilisant les différents instruments financiers de l’action extérieure de l’Europe.
Ces trois volets forment un tout, une approche globale. Ce Conseil européen informel constituera donc une étape importante, qui ne sera pas la dernière. D’ores et déjà, la Commission a indiqué qu’elle publiera en mai une communication relative à une stratégie en matière de sécurité européenne.
Je voudrais maintenant évoquer la situation en Ukraine, sujet qui était à l’ordre du jour du conseil Affaires étrangères extraordinaire organisé la semaine dernière à Bruxelles sur l’initiative de Mme Federica Mogherini, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne. J’y ai représenté Laurent Fabius, alors en déplacement en Chine.
L’Ukraine sera probablement à l’ordre du jour de la réunion des ministres des affaires étrangères qui se tiendra le 9 février. Il est possible que les chefs d’État et de gouvernement évoquent eux aussi ce sujet.
Lors du conseil Affaires étrangères extraordinaire, nous avons décidé de reconduire jusqu’en septembre 2015 les sanctions individuelles adoptées en mars 2014 à l’encontre des séparatistes et de leurs soutiens, qui contribuent à mettre en cause l’intégrité et la souveraineté de l’Ukraine.
Ces sanctions seront étendues s’il le faut, puisque nous avons demandé la préparation de nouvelles sanctions individuelles, qui pourraient être adoptées par le conseil Affaires étrangères du 9 février.
Enfin, il a été demandé à la Commission et au Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, de mener des travaux préparatoires sur toute action appropriée en vue d’assurer la mise en œuvre rapide et complète des accords de Minsk.
Au travers du renforcement des sanctions, l’Union européenne entend faire pression en vue d’un retour à une solution politique négociée du conflit opposant l’Ukraine aux séparatistes et à la Russie, qui les soutient.
Les débats ont été évidemment marqués par l’aggravation de la situation sur le terrain. Il est apparu clairement que la prise de Marioupol représenterait un changement de nature et d’échelle du conflit pour l’ensemble des États membres.
Le compromis trouvé sur le renforcement des sanctions individuelles a été le fruit d’une intense coopération entre la France et l’Allemagne. C’est nous qui avons proposé la rédaction sur laquelle se sont accordés les ministres des affaires étrangères. Ce compromis maintient un équilibre entre la fermeté à l’égard de la Russie et la détermination à poursuivre nos efforts diplomatiques, en particulier dans le cadre du « format Normandie ».
De ce point de vue, les conclusions adoptées offrent en principe une large gamme de possibilités – soutien économique, sanctions, action humanitaire – pour obtenir une désescalade et la pleine mise en œuvre des accords de Minsk. Cependant, à ce stade, nous n’avons pas décidé de passer à un degré supérieur en matière de sanctions économiques. Celles qui sont en vigueur ont un effet très important sur la Russie. Les accords de Minsk, que la Russie a signés avec l’Ukraine et les séparatistes, constituent la seule feuille de route pour trouver une solution à cette crise.
Il est fort vraisemblable qu’un point relatif au conflit en Ukraine soit ajouté à l’ordre du jour du conseil Affaires étrangères afin d’évoquer la situation sur le terrain. Les efforts diplomatiques en cours vont se poursuivre. Les chefs d’État et de gouvernement devraient aussi échanger sur le sujet, sans être appelés à prendre de nouvelles décisions à ce stade.
Enfin, je voudrais évoquer la situation de la Grèce.