Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 4 février 2015 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 12 et 13 février 2015

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les attentats qui se sont déroulés à Paris en ce début d’année ont replacé tragiquement la lutte antiterroriste au cœur de l’actualité, sur les plans tant national qu’international.

Par leur présence à la marche républicaine du 11 janvier, de nombreux chefs d’État ont exprimé leur solidarité à l’égard de la France touchée en plein cœur. Il s’agissait aussi, pour eux, de démontrer leur détermination à lutter contre la barbarie, où qu’elle se manifeste.

Pour les dirigeants européens, plus particulièrement, ce fut l’occasion de relancer le chantier de la coordination contre le terrorisme en Europe. C’est une bonne chose, même si l’on ne peut que regretter qu’il ait fallu un drame de plus pour accélérer le débat.

Nous le savons, les pays européens travaillent depuis longtemps sur cette question. Malheureusement, plusieurs États membres ont une expérience ancienne du terrorisme. Chaque pays a adapté sa propre législation en conséquence, mais ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui ont entraîné la mise en place d’un plan d’action coordonnée.

Je rappellerai que la lutte contre le terrorisme ne figurait pas dans le « programme de Tampere » élaboré en 1999, qui définissait les priorités du premier plan relatif à l’« espace de liberté, de sécurité et de justice ».

Le caractère transnational de la menace djihadiste nous pousse, depuis, à mettre en place une coopération renforcée. C’est bien évidemment un progrès pour la sécurité des Européens, qui partagent les mêmes valeurs de liberté et de tolérance.

Cela a été rappelé, l’Union européenne dispose de plusieurs instruments de lutte contre le terrorisme. Parmi ceux-ci figurent évidemment Europol et Eurojust, qui jouent un rôle prépondérant. Toutefois, leurs moyens sont-ils aujourd’hui adaptés à la montée en puissance de leurs missions ? Je ne le pense pas. D’ailleurs, l’année dernière, une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat a fait le constat d’une progression des activités de ces deux entités dans un cadre budgétaire inchangé depuis plusieurs années.

Quant à la stratégie de lutte contre le terrorisme développée par l’Union européenne, elle coïncide, dans ses grands axes, avec celle qui anime notre propre politique sur le territoire national. Nous partageons donc l’essentiel de cette stratégie, développée depuis 2001 et intensifiée depuis 2007.

Entraver la radicalisation violente, protéger les infrastructures et les transports, tarir les moyens financiers des terroristes, améliorer les échanges d’informations, soutenir les victimes ou encore encourager le développement technologique : ce sont là quelques-uns des axes qui ont déjà été mis en exergue mais qu’il nous faut encore approfondir. Le ministre de l’intérieur les a d’ailleurs rappelés, le 11 janvier dernier, devant plusieurs de ses homologues européens.

Le groupe du RDSE partage toutes ces orientations. Nous approuvons aussi les deux premières avancées entérinées par les vingt-huit États membres : l’installation d’un expert de la lutte antiterroriste dans une douzaine d’ambassades de l’Union européenne dans les pays « sensibles » et le lancement d’une offensive en langue arabe sur internet pour tenter de contrer les radicaux. Utiles, ces mesures sont toutefois limitées… Disons-le, il faudra faire plus sans porter atteinte aux libertés publiques !

Comme vous le savez, mes chers collègues, plusieurs grands sujets font débat actuellement : le fichier PNR européen, la diffusion de la propagande sur internet et l’espace Schengen, qui se trouve aussi au cœur des discussions.

Sur ces trois thèmes, le RDSE est favorable à des évolutions.

Comme l’a rappelé le président Mézard lors de l’examen du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, l’espace Schengen « autorise la libre circulation des personnes et des biens, que le retrait de la carte d’identité nationale n’arrêtera pas ». Mon collègue avait ajouté que la coordination entre services répressifs et judiciaires au sein de l’Union européenne et la coopération internationale étaient la clé pour assurer l’efficacité de la lutte contre un phénomène qui se joue des frontières.

Sans remettre en cause l’espace de circulation cher aux citoyens européens, il faudra adapter le code Schengen pour permettre les contrôles systématiques aux frontières.

Autre point, le blocage de la mise en place de la base européenne PNR par le Parlement européen doit être levé. Apportons les garanties nécessaires en matière de protection des données personnelles, afin que puissent être rapidement mis en œuvre des contrôles plus efficaces des passagers dans les aéroports. Ce système permettra de repérer les mouvements suspects et facilitera ainsi le travail des services de renseignement.

Enfin, sur internet, on sait que les obligations imposées aux hébergeurs ne suffisent plus à filtrer le contenu des sites. L’année dernière, des rencontres ont eu lieu entre chefs d’État et représentants des fournisseurs d’accès. Depuis, où en sommes-nous sur ce sujet fondamental ? En effet, nous le savons, c’est par cette voie que des milliers de jeunes Européens se radicalisent et trouvent les contacts pour partir en Irak ou en Syrie.

Comme je l’ai dit, le groupe du RDSE est ouvert à l’adaptation de ces dispositifs afin de répondre aux mutations du terrorisme, dès lors qu’est respecté l’équilibre entre, d’une part, l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées, indispensables pour assurer la sécurité collective, et, d’autre part, la préservation des libertés publiques.

Pour conclure, j’ajouterai que la lutte contre le terrorisme passe par une appréciation commune des risques extérieurs. C’est une évidence, certes, mais il n’est pas inutile de la rappeler au regard du faible engagement des États membres sur les théâtres extérieurs, en particulier sur le plus sensible d’entre eux aujourd’hui, l’Irak. Au Sénat, nous avons eu l’occasion de le souligner lors du dernier débat sur l’intervention des forces françaises dans la région. Je ne dis pas que l’Europe ne fait rien, puisqu’elle a notamment mis sur pied une mission de police pour former des garde-côtes libyens, mais il faut faire plus eu égard aux dangers croissants au Sud et à l’Est. Les frontières de la Lybie sont de véritables passoires, qui n’arrêtent pas les trafics d’armes ni les djihadistes.

Il faut que l’Europe s’approprie davantage le concept de continuum entre sécurité extérieure et sécurité intérieure, que la France a pour sa part validé dans son dernier Livre blanc.

Mes chers collègues, le débat sur la nécessaire coordination de l’action contre le terrorisme s’est accéléré dans un contexte dramatique. L’Union européenne avait déjà pris la mesure des dangers, mais il est clair que les attentats à Paris ont lancé un terrible avertissement et montré la vulnérabilité des démocraties dans ce combat.

C’est pourquoi j’espère que des mesures fortes seront prises lors du prochain Conseil européen, même s’il est de notre responsabilité de tenir un langage de vérité en rappelant que, malheureusement, le « risque zéro » n’existe pas.

Mon temps de parole étant écoulé, j’évoquerai en une autre occasion d’autres sujets qui méritent d’être traités, tels que l’Ukraine, la Grèce ou les normes européennes, dont je suis un grand pourfendeur ! §

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