Intervention de Simon Sutour

Réunion du 4 février 2015 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 12 et 13 février 2015

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat préalable au Conseil européen des 12 et 13 février revêt une importance toute particulière, près d’un mois après les terribles attaques terroristes qui ont frappé notre pays.

D’abord le choc, la colère et une infinie tristesse : dix-sept personnes assassinées, des blessés, des familles dans la peine et un pays touché au cœur, au plus profond de ses valeurs. Puis la réaction du peuple français, avec une mobilisation populaire historique pour dire son attachement aux valeurs de la République, au premier rang desquelles la liberté, et sa volonté de vivre paisiblement.

Les droits à la liberté et à la sécurité sont indissociables et sont d’ailleurs inscrits comme tels dans la Charte des droits fondamentaux adoptée par l’Union européenne en 2010.

La formidable mobilisation des citoyens européens et de leurs gouvernements s’est justement faite autour de ces valeurs communes. Certains reprochent parfois à la France et à l’Union européenne de vouloir imposer leurs valeurs, mais, il faut le dire, celles-ci ont vocation à être universelles !

C’est pour nous l’occasion de réaffirmer notre soutien au Président de la République et au Gouvernement, de saluer l’excellence de leur gestion de la crise et leur réponse qui rassure par son équilibre entre renforcement de la sécurité, protection des libertés et défense des valeurs de la République.

Si la menace terroriste impose de prendre des mesures fortes, à l’instar de celles que le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ont exposées, il faut également rappeler qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème national, propre à la France. Au contraire, l’Europe et le monde entier y sont eux aussi confrontés.

Le Conseil européen qui se déroulera la semaine prochaine a donc vu son ordre du jour modifié. Il sera presque exclusivement consacré à la recherche d’une réponse commune de l’Europe au terrorisme, réponse qui doit bien évidemment s’inscrire dans la durée.

En effet, seule une réponse européenne forte, globale et coordonnée sera à même de contrer cette menace en combinant des mesures opérationnelles en matière de coopération policière et judiciaire, des actions de promotion de nos valeurs communes, une politique étrangère commune et une meilleure coordination en matière de lutte contre les foyers de terrorisme.

Le formidable élan de solidarité des Européens à l’égard des victimes de ces odieux attentats doit maintenant se traduire en actes. Comme je l’ai déjà dit à cette tribune lors du débat sur le prélèvement européen, au mois de novembre dernier, je regrette vraiment, par exemple, que l’Europe ne soit pas plus solidaire, en particulier, de la France, qui consacre un budget substantiel à des actions militaires extérieures au Mali, au Moyen-Orient ou ailleurs. Si elles ne sont pas financées par l’Europe, ces actions sont en phase avec les valeurs européennes.

Les attaques terroristes qu’a connues la France comme, hier, le Royaume-Uni, l’Espagne ou encore la Belgique, font ressortir la nécessité d’une coopération accrue, prenant en compte le fait que nous sommes passés d’une menace extérieure à une menace intérieure. En effet, si les actes terroristes étaient hier le fait d’étrangers, ils sont aujourd’hui celui de citoyens européens.

La France est très en avance dans ce domaine, car, dans de nombreux pays de l’Union européenne, il est impossible de poursuivre et de condamner des personnes qui préparent un attentat sans en avoir encore commis. L’harmonisation des textes réprimant le terrorisme ou organisant le contrôle des armes devrait constituer une priorité.

Les outils pour lutter contre ce nouveau fléau existent, et si la France dispose d’un arsenal législatif plutôt complet en la matière, l’Europe n’est pas pour autant dépourvue. Il est même possible d’affirmer que le maillon faible de la lutte antiterroriste européenne est le partage et l’échange d’informations entre États membres. Les obstacles ne sont donc pas insurmontables !

Europol, Eurojust, Interpol, Frontex, mandat d’arrêt européen, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, réseau de sensibilisation à la radicalisation… Entre les instruments spécifiques que l’on connaît et ceux que l’on découvre ou redécouvre, les moyens de lutter contre le terrorisme sont là !

Cependant, l’Europe se heurte à un certain nombre de difficultés pour avancer plus efficacement dans cette lutte. L’accent doit être mis sur le partage des compétences, sur l’intégration des différents systèmes législatifs et leur transposition en droit interne, ainsi que sur la mise en œuvre effective des textes et des directives.

La politique européenne visant à lutter contre le terrorisme, mise en place en conséquence des attentats du 11 septembre 2001 à New York, est organisée depuis 2002 par une série de textes. Il a fallu ensuite les attentats de Madrid et de Londres pour que l’Europe définisse une véritable stratégie en la matière.

S’articulant selon quatre volets – prévention, protection, poursuites et réactions –, cette stratégie nécessite tout de même des ajustements profonds pour faire face, à traités constants, à la réalité actuelle du terrorisme, dans le respect des domaines régaliens, comme le maintien de l’ordre public et la sécurité intérieure.

À la veille du Conseil européen, il convient d’envoyer un message fort et d’identifier les pistes sur lesquelles il faut rapidement progresser : modification du code Schengen, mise en place d’un PNR européen, renforcement de la coopération policière, développement de la coopération judiciaire, ou encore amélioration de la coopération internationale dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune.

Il faut dans le même temps, j’y insiste, garder à l’esprit la nécessité de préserver les libertés fondamentales des citoyens européens. Notre ancien collègue Robert Badinter le dit très justement : il faut répondre au terrorisme sans pour autant créer la société voulue par les terroristes.

Je souhaite mettre l’accent sur deux points en particulier : le renforcement du traité de Schengen et le PNR.

Concernant l’espace Schengen, il faut d’abord souligner qu’il sert très souvent de bouc émissaire à une partie de la droite et de l’extrême droite, plus par anti-européanisme que pour de véritables raisons objectives ; néanmoins, des ajustements sont bien sûr possibles et même nécessaires.

Il est urgent d’approfondir deux points en particulier : le développement et la facilitation de la consultation du système d’information Schengen « SIS II » et l’amélioration du contrôle des entrées et des sorties par des frontières dites « intelligentes ». Il faut également rappeler que l’espace Schengen est d'ores et déjà assez souple, puisqu’il est possible d’introduire des contrôles aux frontières intérieures en cas d’urgence.

Pour résumer, je le répète, les outils sont là, il convient désormais de mieux les employer. Il n’est pas question de supprimer Schengen, mais au contraire de l’approfondir pour permettre de mieux maîtriser nos frontières et d’aller plus loin dans le partage des systèmes d’information.

Concernant le PNR, la proposition de directive relative à l’utilisation des données des dossiers des passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes a été présentée par la Commission européenne en 2007 et refondue en 2011.

Des accords bilatéraux avec les États-Unis existent. Dans les faits, les compagnies aériennes sont tenues de transmettre des données pour avoir la possibilité de faire atterrir leurs avions sur le territoire américain.

Le PNR existe donc bel et bien. Le danger, s’il n’est pas mis en place au niveau européen, est d’aboutir à une situation d’opacité, avec de multiples PNR non encadrés et une absence totale de contrôle des données échangées, emportant une atteinte très grave à nos droits fondamentaux.

Le débat oppose, d’un côté, la Commission européenne et la majorité des États membres, qui souhaitent l’adoption rapide d’un PNR européen, et, de l’autre, un Parlement européen réticent, craignant pour les droits fondamentaux et ayant déjà rejeté, en avril 2013, la proposition de directive. Ce débat est utile, mais il ne doit pas tout bloquer.

J’ai présenté cet après-midi, en commission des affaires européennes, une proposition de résolution qui a été adoptée à l’unanimité, tous groupes politiques confondus, indiquant que, eu égard à la gravité des menaces terroristes de toute nature qui pèsent sur nos sociétés, il est impératif de mettre en place rapidement un système PNR européen. Seule la mise en œuvre d’un tel système est propre à assurer une coordination efficace entre les PNR nationaux, tout en apportant les garanties indispensables en matière de protection des données personnelles.

Aujourd’hui, mes chers collègues, il est temps pour l’Europe de donner des réponses à ses citoyens, qui la voient trop souvent comme une somme de contraintes – votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d’État, évoquait parfois une « maison de correction ». La vocation de l’Europe est également de leur assurer la sécurité, ainsi qu’un haut niveau de garantie de leurs droits fondamentaux. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion