Je vous remercie de cette invitation à présenter les problématiques domaniales outre-mer. France Domaine, service de la direction générale des finances publiques, a été créé en 2006 au moment où s'est mise en place une nouvelle politique immobilière de l'État, plus dynamique. Il assure des missions très diversifiées. La représentation de l'État propriétaire et la mise en oeuvre de la politique immobilière de l'État ont monopolisé une grande partie de son activité, en particulier en métropole, d'autres problématiques étant prioritaires en outre-mer. France Domaine assure également la gestion domaniale qui comprend l'évaluation des biens de l'État ou des collectivités territoriales, le calcul des redevances pour occupation temporaire du domaine, le suivi des procédures et la rédaction des actes de cession et d'acquisition, ainsi que de prise à bail.
Le terme de gestion peut prêter à ambiguïté. La délivrance des titres d'occupation incombe au gestionnaire du bien, c'est-à-dire l'occupant, et non à France Domaine. Par exemple, en Guyane, la gestion, y compris administrative, de cette partie du domaine privé de l'État que sont les forêts incombe à l'ONF. De la même façon, la gestion de la zone des cinquante pas géométriques incombe, selon les cas, soit au Conservatoire du littoral, soit encore aux services déconcentrés compétents, de fait les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).
Une autre activité importante de France Domaine réside dans l'élaboration de la législation domaniale et le suivi du contentieux. Le bureau de la réglementation domaniale est très occupé par l'outre-mer, qui représente jusqu'à 40 % de son activité. France Domaine assure également la tenue de l'inventaire physique et comptable des propriétés de l'État qui sert à alimenter le bilan de l'État. Sur nomination du juge judiciaire, il gère les successions vacantes. Enfin, il assure la cession des biens mobiliers dont l'État n'a plus l'utilité. Cette palette d'activités est, ainsi que vous pouvez le constater, très large et ne présente pas beaucoup de synergies entre elles.
Notre organisation suit un modèle classique pour une direction à réseau. Un service central, au sein de la direction générale des finances publiques, qui vient de se réorganiser, rassemble 75 personnes. Il existe des services locaux du domaine dans toutes les directions départementales des finances publiques, ainsi que des responsables de la politique immobilière de l'État aux niveaux départemental et régional. Nous avons également un service à compétence nationale, la direction nationale d'intervention domaniale, qui est spécialisée dans les évaluations complexes et atypiques, mais qui gère également un pôle de soutien au réseau en matière de gestion des patrimoines privés, c'est-à-dire des successions en déshérence. Cette direction est également compétente pour piloter la totalité de l'activité de vente de valeurs mobilières. Enfin, il existe un comptable spécialisé du domaine qui tient le compte d'affectation spéciale et le compte de commerce dédiés.
L'organisation outre-mer décalque celle de la métropole. 48 équivalents-temps-plein y sont consacrés. Dans un contexte de forte réduction des effectifs, la ressource humaine pour les outre-mer reste stable depuis trois ans et même connaît une légère augmentation. Cela répond à une logique de sanctuarisation de la gestion outre-mer. Il convient de souligner que ce sont les directions régionales des finances publiques qui ont la maîtrise de la répartition des effectifs. Ce sont donc eux qui, au vu des enjeux liés à la gestion du domaine outre-mer, ont le choix de ne pas faire porter les suppressions de postes sur les services qui y sont affectés.
Les outre-mer offrent un contexte radicalement différent de la métropole pour l'exercice des mêmes missions avec une organisation analogue. Premièrement, le foncier y est atypique par rapport à ce que l'on connaît en métropole. D'une part, il peut être très étendu. C'est le cas de la forêt du domaine privé en Guyane, par exemple. D'autre part, il présente des caractéristiques naturelles qui en compliquent la valorisation. En particulier, le foncier outre-mer est fortement exposé aux risques naturels, notamment les bandes littorales exposées à des risques de submersion et d'inondation. En Guyane, en particulier, il faut aussi tenir compte de la géotechnique et de la faible portance des sols. Le foncier présente outre-mer un fort besoin de viabilisation et d'aménagement. Deuxièmement, il ne peut être fait abstraction de l'histoire qui a produit un certain nombre de régimes juridiques très particuliers, comme celui de la zone des cinquante pas géométriques et celui des biens départemento-domaniaux. Troisièmement, le foncier outre-mer est mal identifié. La documentation cadastrale et foncière est récente et fragmentaire. Par conséquent, les titres sont fragiles et les fichiers immobiliers incomplets. Cela complique beaucoup l'action des services locaux du domaine.
Autour du foncier d'État gravitent des enjeux sociaux et politiques qu'on ne retrouve pas en métropole et qui peuvent placer les services outre-mer dans une relation inédite avec les collectivités territoriales et les particuliers. Ainsi, la problématique lancinante de régularisation des occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques se heurte-t-elle à de nombreuses difficultés. On ne peut ignorer la portée symbolique du problème, ni la situation économique des occupants qui ne sont pas forcément capables de racheter les biens, puis de s'acquitter des taxes foncières. À Mayotte, se posent également des problèmes d'état civil. Partout, les services constatent les difficultés qu'éprouvent les occupants à apporter les justificatifs nécessaires à l'appui de leurs dossiers. Enfin, dans les zones de risque naturel, les régularisations sont impossibles, ce qui exacerbe les tensions.
Par ailleurs, la pression démographique et les besoins croissants en logements et en développement d'activités économiques aiguisent les demandes de dévolution du foncier. Les services déconcentrés doivent donc répondre à des attentes fortes, tant des collectivités territoriales que des particuliers. Certains sujets ne contribuent pas forcément à la sérénité des relations. Je pense aux biens départemento-domaniaux qui font l'objet parfois de revendications de propriété ou de demandes de paiement par l'État d'indemnité d'occupation. En Guyane, s'expriment également des revendications d'acquittement par l'État de la taxe foncière. Il peut aussi y avoir des désaccords sur la valeur du foncier, lorsqu'on se place hors des dispositifs de cession à titre gracieux. Ainsi, à La Réunion, le déclassement de parties urbanisées de la zone des cinquante pas dans le domaine privé pose problème car les prix des terrains ne sont pas compatibles avec les capacités financières des collectivités. Cela crée des tensions.
Quant aux particuliers, en dehors des dispositifs spéciaux prévus par le code général de la propriété des personnes publiques, les services reçoivent une grande quantité de demandes spontanées d'acquisition onéreuse de foncier d'État. Peu d'entre elles aboutissent, pour des raisons qui ne sont objectivement pas imputables aux services locaux du domaine. L'une de ces raisons est que les services du domaine ne veulent pas consentir la cession, sans disposer, au préalable, d'un avis favorable de la collectivité territoriale sur laquelle se trouve le bien. Cette approche est tout à fait logique et indispensable, puisque ce sont les collectivités qui maîtrisent les documents d'urbanisme et qu'elles disposent d'un droit de préemption qu'il faut leur laisser le temps d'utiliser. Ce sont aussi les collectivités qui connaissent le mieux le terrain, qui savent s'il y a occupation illégale ou incompatibilité avec l'activité du demandeur en fonction de la topographie des lieux. Mais les collectivités sont dans le même temps en train de réfléchir à leur politique d'aménagement, de la traduire dans des documents d'urbanisme, qui ne sont pas toujours complètement prêts, et de constituer des réserves foncières. Les calendriers ne peuvent donc pas complètement correspondre, ce qui aboutit à un embouteillage dans le service local du domaine qui sert de guichet et, par conséquent, à des tensions. Les événements de l'année 2000 en Guyane ont très fortement marqués les esprits.
Les services locaux du domaine sont donc placés tant vis-à-vis des collectivités que des particuliers dans une relation inédite. Il faut en plus compter avec la volumétrie d'actes en cession et en occupation qui est beaucoup plus forte en outre-mer qu'en métropole. Toutes ces demandes sont difficiles à satisfaire pour des raisons exogènes à la compétence de France Domaine.
Une multiplicité d'acteurs intervient dans le traitement des dossiers fonciers, bien que France Domaine soit le plus visible parce que c'est lui qui délivre in fine les titres de cession ou d'occupation. Parmi ces acteurs de l'État, outre le préfet, il faut mentionner les DREAL et les directeurs régionaux de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DRAAF). Leur rôle est essentiel dans l'instruction des dossiers. Ce sont bien les services gestionnaires occupants qui procèdent au déclassement les parcelles du domaine public. Interviennent également des opérateurs fonciers locaux et nationaux. Toute coordination entre de nombreux acteurs apporte son lot de difficultés. La concertation avec les collectivités territoriales est indispensable par définition, mais elle est un peu plus compliquée à cause de l'importance des enjeux d'aménagement outre-mer. Les processus sont plus longs en raison de l'intervention de tous ces acteurs et du besoin de chacun d'entre eux de stabiliser sa position et ses projets.
Autre particularité, il existe de très nombreux dispositifs législatifs destinés à faciliter la cession du foncier du domaine. Certains visent les particuliers, d'autres les collectivités, d'autres encore des professionnels en fonction de leur activité. Il existe des dispositifs pour favoriser la mise en valeur agricole, le logement social ou les équipements publics. Il y a des dispositifs à titre gratuit, avec décote, ou à titre onéreux. Ces dispositifs sont évidemment nécessaires et servent des objectifs compréhensibles, mais comme souvent dans le monde de l'administration, le mieux est l'ennemi du bien. Le succès parfois un peu inégal de ces dispositifs peut s'expliquer par leur complexité. En recevant vos questions, j'ai pris conscience du très grand nombre de mesures existantes et j'avoue que je ne les maîtrise pas. Cette complexité se traduit par des difficultés d'appropriation, y compris par les services eux-mêmes. Nombre de bénéficiaires potentiels ne sont pas conscients de leur existence ou n'en comprennent pas toute la subtilité et toutes les conditions. Le directeur régional des finances publiques de la Guyane regrettait de ne pas même pouvoir parvenir à réorienter vers le dispositif adéquat les demandes de cession onéreuse qu'il recevait, faute de pouvoir bien cerner la situation des demandeurs qui présentent des dossiers souvent incomplets. Nous rencontrons de grandes difficultés à promouvoir ces dispositifs. La situation est à peine plus simple pour les dispositifs dont les collectivités territoriales sont bénéficiaires. Par exemple, coexistent deux dispositifs outre-mer en faveur du logement social, la décote outre-mer, d'une part, la loi « Duflot » du 18 janvier 2013, d'autre part. Les conditions d'éligibilité sont un peu différentes, de même que les modalités de calcul. Toute cette complexité pèse sur des équipes qui ne sont pas pléthoriques.
Les bénéficiaires rencontrent beaucoup de difficultés pratiques à rassembler les justificatifs et à constituer les dossiers. Le processus est long et composé de multiples étapes (constitution du dossier, passage devant différentes commissions, proposition, acceptation), ce qui peut être un facteur de découragement. L'empilement des dispositifs renvoie une image brouillée des priorités de l'État et complique l'action des services pour répondre à un dossier qui leur est déposé. Les services qui reçoivent une demande de cession onéreuse doivent, en effet, vérifier que cette demande ne se superpose pas à d'autres demandes émanant d'autres bénéficiaires, sur le fondement de tel ou tel dispositif spécifique, qu'il s'agisse de collectivités ou de personnes privées.
En conclusion, ces sujets mobilisent beaucoup les directions régionales et départementales, qui font souvent part de leur frustration, car elles ont le sentiment que leur mission excède les compétences qui leur sont dévolues. C'est pourquoi nous disposons d'une cellule en centrale pour répondre aux questions du réseau déconcentré. Nous organisons également une journée d'études le 4 février spécialement dédiée aux problématiques ultramarines. Enfin, dans l'expérimentation des nouveaux outils stratégiques de la politique immobilière de l'État, les schémas directeurs immobiliers régionaux, nous n'oublions pas l'outre-mer. Ainsi la circulaire du Premier ministre du 16 décembre 2014 a-t-elle lancée une expérimentation dans cinq régions, dont une outre-mer, La Réunion. Nous souhaitons ainsi montrer que l'intégralité des départements sont traités de la même façon, même si les problématiques sont plus complexes dans certains que dans d'autres.