En ma qualité de sénateur de Guyane, j'ai beaucoup à dire. La question foncière en Guyane repose sur une situation unique et inique : dans ce pays de 83 500 km², l'État, pour des raisons historiques, dispose de la quasi-totalité des terres, 90 %, alors que les collectivités n'en possèdent que 0,2 % et les personnes privées un peu moins de 10 %. Cette situation est consacrée par l'article D. 33 du code du domaine de l'État, qui dispose que « les terres vacantes et sans maître du département de la Guyane, ainsi que celles qui n'ont pas été reconnues comme étant propriétés privées individuelles ou collectives en vertu des dispositions du décret n° 46-80 du 16 janvier 1946 font partie du domaine de l'État. » Une disposition qui remonte à la période coloniale, un décret de 1898, qui rend l'État propriétaire de tous les biens domaniaux de la colonie.
Une disposition qui sera maintenue après la départementalisation. En effet, au lendemain de la départementalisation, la nouvelle collectivité départementale, successeur de la colonie, aurait dû hériter, en principe, des biens de cette dernière, mais le décret du 6 mars 1947 suspend son droit de propriété sur tous les biens qui sont alors affectés à l'État. Pour les communes, aucun patrimoine foncier ne leur est attribué lors de leur création. Même les terrains d'implantation de leurs bourgs ne leur appartiennent pas et relèvent de la propriété étatique.
Comment expliquer cette confiscation « coloniale » du sol guyanais par l'État en dépit de la départementalisation et des lois de décentralisation ?
En dépit de quelques modifications apportées au code du domaine, l'État reste toujours propriétaire de la quasi-totalité du foncier rural et de nombreux terrains dans ou en limite des agglomérations : le problème foncier demeure en tout cas un facteur de tensions graves entre l'État, les collectivités locales, le monde agricole et la population. Ne doit-il pas être traité de façon définitive au plus vite d'autant plus que ce dossier représenterait incontestablement, dans l'ordre symbolique et social, une avancée considérable aux yeux des Guyanais ?
Cette situation a une autre conséquence très négative sur les ressources fiscales des collectivités de Guyane en raison d'une disposition de l'article 333 J du code général des impôts qui précise : « Dans le département de la Guyane, les travaux d'évaluation ne sont pas effectués pour les propriétés domaniales qui ne sont ni concédées, ni exploitées. » Cet article a pour conséquence d'éviter toute évaluation foncière et, donc, toute fiscalisation des propriétés domaniales non concédées et non exploitées, c'est-à-dire la quasi-totalité du territoire guyanais. Ce choix a été motivé par le fait que le territoire guyanais est couvert de forêts domaniales improductives de revenus et qui, de ce fait, ne rentraient pas dans le champ de l'application de l'impôt. Non seulement on aboutit à une remise en cause « discriminatoire » par rapport à un principe fiscal appliqué sur tout le reste du territoire, mais cette propriété de l'État est en réalité exploitée par des orpailleurs, par des crédits carbone attribués à la France. Elle est également concédée à l'ONF qui tire des produits de son exploitation (coupes de forêts, redevances), en 2013, plus de trois millions d'euros, mais pourtant l'État n'acquitte pas la taxe sur le foncier bâti.
Quand l'État acceptera-t-il de payer aux collectivités de Guyane et à la chambre d'agriculture la taxe foncière non bâtie sur ce patrimoine qu'il tient à conserver malgré sa marque coloniale ?
Dernière question : les services de France Domaine, qui gèrent le domaine privé de l'État, doivent instaurer de nombreuses demandes de foncier et ne disposent pas des moyens adéquats pour y faire face. Actuellement, les services de France Domaine doivent, chaque jour, accueillir vingt personnes en moyenne et répondre à plus de trois cents appels téléphoniques. Pour cela, France Domaine ne dispose que d'un effectif de dix personnes... À ce jour, plus de cinq cents dossiers sont en attente de traitement...
Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour permettre au service local de France Domaine de disposer des ressources indispensables à l'accomplissement de ses missions de service public attendues par les Guyanais ?