Intervention de Gérard Longuet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 novembre 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Gérard Longuet ministre de la défense et des anciens combattants

Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants :

Il est impossible de poursuivre indéfiniment sur la voie des déficits budgétaires. Est-ce que la défense sera une variable d'ajustement ? La réponse est clairement non. Sera-t-elle solidaire de la politique nationale ? La réponse est oui. Pour l'instant, nous sommes dans l'épure de la loi de programmation militaire, elle-même issue de la réflexion sur le format des armées effectuée dans le cadre du Livre blanc. Une révision du Livre blanc sera bientôt effectuée. Il faut dire que nous avons bénéficié de cessions d'actifs qui nous ont permis de respecter cette programmation. Or ces cessions ne sont pas renouvelables.

Les trois autres questions convergent autour du thème de la politique industrielle. Vous savez comme moi que l'Etat propriétaire a des points de vue différents. Vu de Bercy, de l'Agence pour les participations de l'Etat, l'objectif est d'optimiser la valeur patrimoniale de nos participations. Le meilleur moyen pour ce faire est que les entreprises dans lesquelles l'Etat investit dégagent des bénéfices...

Du point de vue de l'Etat stratège, du ministère de la défense, c'est différent. L'Etat est certes actionnaire de Thalès, d'EADS, de Safran, de DCNS, de Nexter, et indirectement de Dassault Aviation, mais il en est aussi le client. Aucune exportation des produits de ces entreprises ne pourrait se faire sans que l'Etat donne son accord. Du reste, le ministère de la défense n'a pas qu'un seul point de vue. En tant que ministre de la défense, j'ai un bras opérationnel avec le chef d'état-major, qui demande le meilleur matériel, le plus rapidement possible et qui peut succomber à la tentation de l'achat sur étagère, et j'ai un bras industriel avec le délégué général pour l'armement, qui prend en compte les intérêts industriels à long terme. Nous avons quand même, en France, une longue tradition d'ingénieurs, de physiciens nucléaires, qui ont su construire la force de dissuasion. Notre pays assure 6 % des exports mondiaux d'armement, contre 54 % pour les Etats-Unis, 12,5 % pour le Royaume-Uni, 8 % pour la Russie, 5 % pour Israël. C'est une performance remarquable quand on sait que nous ne pesons que 1 % de la population mondiale et 4,5 % de l'économie mondiale. Cela veut dire que le volontarisme industriel de l'Etat a du sens.

Or, pour avoir les meilleurs prix, il faut accepter la concurrence, y compris la concurrence franco-française. Si nous sommes obligés de recourir à des fournisseurs étrangers, nous sommes soumis à leurs conditions de prix et à leurs conditions d'usage. L'Etat doit-il accepter le monopole ? Non, sinon il aura face à lui des vendeurs désinvoltes. Il vaut mieux des industriels duaux tels qu'Eads, Safran, Thalès, Dassault, qui n'encourront pas la disparition et pourront toujours vendre leur production civile si l'Etat ne leur commande pas autant qu'ils le souhaitent en équipements militaires.

L'affaire des drones est emblématique. Il faut la regarder non pas du point de vue de l'EMA, mais du point de vue de la DGA. Le drone c'est d'abord un problème de chaîne mission. L'avion est secondaire.

Dans l'affaire Sagem-Safran, l'Etat est actionnaire de Safran. Il est également actionnaire de Thalès. On a envisagé des rectifications de frontières, dont je dois dire qu'au départ, elles n'étaient pas très équilibrées. Safran aurait perdu des activités profitables en échange d'argent dont il n'avait pas besoin. Sagem est une très belle affaire. Elle a des pôles de compétence qui font l'honneur de ses salariés. Du reste, l'entreprise a une particularité : l'importance de l'actionnariat salarié. Club Sagem est le deuxième actionnaire derrière l'Etat.

Or dans toutes les décisions concernant Thalès et Safran, les représentants de l'Etat au conseil d'administration de ces sociétés ne peuvent pas voter car ils seraient en conflit d'intérêt. Nous sommes donc le premier client, le premier actionnaire et nous n'avons pas notre mot à dire. Tout accord qui ne serait pas accepté par les actionnaires majoritaires en dehors de l'Etat, les salariés actionnaires dans un cas, Dassault dans l'autre, ne serait pas voté.

Il y avait donc une proposition de rectification de frontière : toute l'optronique chez Thalès et tout l'inertiel chez Safran. Cet échange était déséquilibré car si l'optronique de Safran représente un gros volume d'activité, ce n'est pas le cas de l'inertiel de Thalès.

La deuxième possibilité était d'envisager une mise en commun de l'ensemble des activités concernées au sein de sociétés communes. Mais cette piste n'a pas abouti.

Enfin, il y a une troisième voie : faire en sorte que les meilleures équipes des deux entreprises s'entendent et que l'on fasse une société commune d'ampleur plus limitée, mais qui évite à l'Etat de dupliquer les crédits de recherche. C'est dans cette voie que nous nous sommes engagés. Mais cela prend du temps.

S'agissant des drones, vous avez l'explication de mon choix. Nous avons, pour des raisons que je ne m'explique pas, raté la première marche des drones MALE. Pour la deuxième, nous avions le choix entre trois solutions : le Harfang de nouvelle génération, le Reaper américain et le Héron TP de Dassault. Le Harfang, c'était exclu. Du reste, sa mise au point a été longue et chère et nous ne voulons plus de ça. Dassault est un industriel fiable qui respecte les calendriers et la qualité. Mais c'est plus cher. Effectivement, le drone Héron TP sera 30 % plus cher et environ 20 % moins performant que le drone américain Reaper. Mais il permettra de construire le socle industriel de la filière drone en France. Dans le cas du Reaper, nous n'aurions eu aucun transfert de technologie. Nous achèterons le drone Héron TP pour les mêmes raisons que l'Inde pourrait nous acheter le Rafale : il est plus cher que les avions américains, mais il autorise des transferts de technologie.

S'agissant du Rafale, la décision est en cours en Inde. En Suisse, ils sont également en phase de décision. Il n'y a pas de problème d'argent ni de problème de reprises d'avions anciens et ils ont l'habitude de travailler avec les techniciens français. A Abou Dhabi les négociations sont très difficiles. Les Emiratis voudraient qu'on leur reprenne leurs Mirage 2000-9. La démonstration du Rafale au Dubaï Air Show a été éblouissante. Cet avion a un prix. Il remplacera trois avions, puisqu'il est capable de faire de la reconnaissance, de l'attaque au sol et de la défense aérienne. Cela génère des économies d'équipement et des économies d'équipage.

Sur le fait que nous ayons décidé d'en acquérir onze à défaut de six, cela est normal, puisque nous l'avions intégré dans la construction du programme.

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