Intervention de Gérard Larcher

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 février 2013 : 1ère réunion
Politique de défense et europe de la défense — Audition du général henri bentégeat ancien chef d'état-major des armées

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher :

La nécessaire coopération avec l'Allemagne, on en parle depuis des années, mais on ne voit rien venir. La coopération avec le Royaume-Uni fonctionne. Que pouvons-nous faire ? Par ailleurs, nous avons beaucoup d'équipements sur les parkings faute d'avoir les crédits nécessaires pour les maintenir en condition opérationnelle. Cela a un effet désastreux sur le moral des troupes.

Général Henri Bentégeat, ancien chef d'état-major des armées.- Les campagnes publicitaires sont nécessaires, car si les effectifs diminuent en stock, il est tout de même indispensable de gérer les flux et de susciter des vocations si l'armée veut pouvoir sélectionner ses candidats.

Sur la question de savoir comment faire redémarrer l'Europe de la défense, je dirais qu'il faut commencer par faire fonctionner ce qui existe déjà : le SEAE, l'AED, les opérations sur le terrain. Il faut proposer des actions extérieures nouvelles. L'Union européenne a cent soixante postes diplomatiques qui ne reçoivent aucune directive. L'AED peut faire la même chose que l'OTAN avec le pooling and sharing, mais au profit d'industriels européens. On peut certainement la sortir de l'ornière en lui donnant la responsabilité d'une coopération structurée permanente. Nous avons assisté à quelque chose d'incroyable : il n'y a plus eu de programme d'équipement militaire significatif développé en commun en Europe depuis l'avion A400M. C'est terrible.

Concernant notre coopération de défense avec le Royaume-Uni, le volet le plus important est, selon moi, le volet nucléaire. Nous avons tout intérêt à ce que cela marche, car sinon la France se retrouvera seule puissance nucléaire en Europe et sa dissuasion nucléaire sera nécessairement contestée. Sur le volet opérationnel, notre coopération est également profitable, car disons le franchement, ils sont plus guerriers que les autres et beaucoup plus proactifs. Mais c'est vrai, ils ne veulent pas élargir leur coopération avec nous à d'autres Européens.

S'agissant des Allemands, leur attachement à l'OTAN est profondément ancré dans leur psychologie collective. Ils ont vaguement fait quelque chose en Libye parce que c'était une opération de l'OTAN. Si cela avait été une opération de l'Union, ils auraient tout fait capoter. Pourtant nous avons fait tellement de choses ensemble qu'on ne peut pas envoyer tout promener. Chaque année, nous avons quatorze officiers allemands qui suivent les cours de l'école de guerre française et réciproquement. En comparaison, il n'y a qu'un seul officier britannique et vice-versa. Est-ce que cela pourra changer la donne ? Peut-être. Il est vrai que l'opinion publique allemande est viscéralement pacifiste et la seule chose qui les intéresse est la défense agressive et égoïste de leurs intérêts industriels. Nous n'avons pas réussi par exemple à avoir une fusion DCNS-TKMS. Mais les esprits peuvent changer. En matière de mutualisation, nous avons fait le soutien de l'A400M et il existe des possibilités de partage sur le renseignement spatial. Si nous arrivons un peu à faire évoluer les Allemands, avec l'aide des Polonais, ce sera bénéfique à l'Europe. Ainsi, malgré le veto britannique, aujourd'hui tous les autres pays européens soutiennent l'idée d'un quartier général permanent et autonome de l'Union européenne. S'agissant des Britanniques, il y a quand même un risque majeur qu'ils ne quittent l'Europe. Ce serait une catastrophe car ils sont les seuls avec nous à avoir une vision globale des choses.

Pour répondre aux déclarations de M. Hervé Morin sur la composante aérienne, je dirais que c'est nécessaire de la garder car les missiles balistiques sont moins précis que les missiles aéroportés tels que l'ASMP/A. Or la précision est nécessaire pour dissuader au bon niveau une puissance régionale qui s'en prendrait à nos intérêts.

Pour ce qui est de la question budgétaire et de ses répercussions sur les programmes d'équipement, on étale et on annule. Cela a toujours été comme ça. On ne sait pas faire autrement. Ce sont deux solutions aussi détestables l'une que l'autre car dans les deux cas l'Etat perd beaucoup d'argent. Mais on ne sait pas garantir le respect de la parole de l'Etat dans le long terme.

Sur l'organisation du ministère de la défense, ayant été à l'origine du décret de 2005, qui a été renforcé par le décret de 2009, je peux vous en retracer l'origine. Il s'agissait de proposer au pouvoir politique de mettre un terme à la guerre incessante et détestable entre les différentes armées, qui existe d'ailleurs partout ailleurs dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Auparavant, il ne se passait pas un jour sans que les chefs d'état-major d'armées ne se livrent une compétition acharnée pour contrer telle ou telle décision qui favorisait l'un d'entre eux. Pour y mettre fin, il a fallu donner plus de pouvoirs au chef d'état-major des armées et lui confier l'autorité sur les trois autres, ce qui évidemment a mal été accepté par les armées. Le projet actuel de réforme du ministère est présenté comme un moyen de rétablir ou renforcer le « contrôle politique » sur les armées .Mais c'est absurde dans la France d'aujourd'hui. Il n'y a que dans les démocraties populaires, avec des commissaires politiques, qu'un tel contrôle existe. Dans les démocraties occidentales, franchement, cette notion n'a plus cours. Le contrôle de l'usage de la force est effectué tous les jours par les chefs militaires eux-mêmes et si un chef est mauvais, il est relevé. Sans doute, y-a-t-il des choses à améliorer. Par exemple, le CEMA ne peut pas être en charge directement des bases de défense. Mais enlever au CEMA la direction des ressources humaines, ce serait lui enlever le principal levier d'autorité qu'il a sur les états-majors. Le risque est que tout cela réenclenche une lutte absurde entre les armées au détriment de l'efficacité opérationnelle.

Enfin, s'agissant des équipements sur parking, c'est vrai que cela a un effet désolant pour le moral, mais c'est parce que les crédits de maintien en condition opérationnelle sont insuffisants. Avec la priorité donnée aux OPEX, on ne peut plus maintenir les équipements dans les bases et donc on ne peut plus faire d'entraînement. C'est regrettable, mais les restrictions budgétaires ne permettent pas d'espérer des progrès dans ce domaine.

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