Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je tiens à vous remercier de votre invitation et à exprimer ma joie d'être à Paris à l'occasion de la Conférence ministérielle internationale de soutien à la Libye dans les domaines de la sécurité, de la justice et de l'état de droit. Je tiens à rappeler que celle-ci constitue une initiative franco-libyenne. En effet, il y a deux mois, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, s'est rendu en Lybie, dans le cadre des bonnes relations que nous entretenons. Il a bien voulu accepter d'accueillir cette conférence qui a adopté aujourd'hui même un plan de travail promouvant la sécurité et visant à l'instauration de l'état de droit en Libye. Une conférence de presse s'est tenue, abordant notamment les relations franco-libyennes ainsi que l'intervention française au Mali.
En réponse à Monsieur le Président Carrère sur nos relations avec les pays voisins et limitrophes, tant africains qu'arabes, je tiens à préciser que celles-ci s'inscrivent dans le respect mutuel ainsi que le principe de non-ingérence dans les affaires internes. Elles sont également fondées sur la solidarité forgée dans le cadre de la révolution des Printemps arabes qui a pris naissance en Afrique du nord, notamment en Libye, en Égypte et en Tunisie. Je tiens à exprimer mes remerciements au gouvernement français qui s'est tenu à nos côtés dès le début de la révolution. La France nous a aidé à mettre fin à un régime dictatorial qui a duré plus de quatre décennies.
Notre situation est toutefois différente de celle de l'Égypte et de la Tunisie. Nous avons eu recours aux armes et au combat. Nos défis sont plus importants que ceux auxquels sont confrontés ces deux pays. Contrairement à ces derniers, la Libye n'était pas dotée de véritables institutions. Nous essayons toutefois de nous coordonner sur le plan politique et sécuritaire. En effet, notre sécurité est liée à celle des pays voisins, au sud comme au nord de la Méditerranée.
S'agissant de l'Algérie, celle-ci n'a pas apporté son soutien à la révolution libyenne du 17 février, en raison du principe de non-ingérence. Je le comprends alors même que la Libye s'était tenue aux côtés de l'Algérie dans les années cinquante lors de sa guerre d'accession à l'indépendance. Depuis lors, nous lui avons tendu la main et initié des négociations afin d'établir des relations politiques fructueuses. Nous partageons la même volonté politique de garantir la sécurité à nos frontières. L'Algérie s'est déclarée favorable à la mobilisation de tous les moyens à cette fin, notamment en matière de formation spécialisée. De même avec la Tunisie, plusieurs rencontres ont été organisées entre les autorités de nos pays. Celle tenue à Ghadamès, ville frontalière, a réuni les premiers ministres tunisien, algérien et libyen. Elle a permis de confirmer l'accord entre l'Algérie et la Tunisie en matière de surveillance des frontières visant à mettre fin à la contrebande des armes, à la traite des êtres humains et à l'immigration clandestine.
Le premier ministre libyen a également été reçu en visite officielle au Niger, au Soudan et au Tchad. Ces relations se sont poursuivies au niveau des chefs d'État. Elles ont permis à ces pays d'exprimer un message politique fort quant à leur volonté de coopérer à la sécurisation des frontières. Toutefois, en dépit de cette affirmation politique, il apparaît que ces pays ne disposent pas des moyens suffisants pour garantir effectivement une force de défense ou de surveillance de leurs frontières. En toute sincérité, si un problème devait surgir à l'avenir et affecter la sécurité de la Libye, il viendrait du Sud, qui souffre d'un manque de développement et de sûreté auquel s'ajoutent les luttes tribales qui perdurent, notamment entre les Touaregs, les Toubous, les Zaouïas.... L'ancien régime a laissé ces populations se déplacer sans garantir le respect de leurs droits. Il est temps que celles-ci prennent désormais la parole, s'expriment publiquement et revendiquent leurs droits. Le développement ainsi que la sécurité de la région Sud sont donc cruciaux.
En ce qui concerne les relations au sein du Maghreb arabe, nous sommes heureux de constater l'évolution favorable de la position de l'Union européenne, ces deux dernières années, face à l'Union du Maghreb arabe. Nous souhaitons la mise en oeuvre d'une coopération fructueuse. La meilleure façon d'y parvenir consiste, néanmoins, à ne pas aborder certains dossiers, objets des oppositions politiques, tels que le Sahara occidental ou les problèmes de frontières entre le Maroc et l'Algérie. Nous souhaitons oeuvrer pour la coopération dans les domaines ayant déjà donné lieu à des accords, tels que l'économie, le tourisme, les douanes, le commerce, la culture ou encore la justice.
Quant à l'intervention française au Mali, nous sommes conscients que la révolution libyenne a conduit un grand nombre d'éléments appartenant aux forces de l'ancien régime à quitter le pays pour se rendre au Nord-Mali. Ces derniers constituent depuis lors une menace pour la région. La question malienne n'est pas récente. La lutte du Nord pour son autonomie date des années soixante. Les extrémistes profitent aujourd'hui des difficultés du gouvernement malien afin de dominer non seulement le Nord-Mali mais aussi le Sud-Mali. Nous avons, à plusieurs reprises, exprimé dans le cadre régional et lors de réunions qui se sont déroulées à Bamako, au Niger ou en Mauritanie, notre souhait de privilégier le dialogue entre tous les partenaires. L'action des extrémistes au Nord-Mali afin d'occuper la région Sud a constitué une surprise. L'intervention française est arrivée au bon moment. Elle traduit la maturité et le savoir-faire politique français. Elle a permis d'empêcher les extrémistes de parvenir à Bamako dont l'enjeu allait au-delà du Nord du Mali pour concerner le pays entier et éventuellement ses voisins. La position de la Libye a été, dès la première heure, de soutenir la France pour qu'elle puisse bénéficier de l'appui d'autres pays.
Nous nous sommes préoccupés des étapes suivant cette intervention militaire. Il serait important d'organiser une mission d'information au Nord-Mali afin de promouvoir la diplomatie préventive et de garantir la stabilité du pays. Ce dernier doit se reconstruire avec l'aide des pays amis afin de mettre en place des institutions solides et de renforcer l'appareil judiciaire, l'armée et la police. L'État malien doit pouvoir ouvrir le dialogue avec les partenaires qui ne sont pas liés au terrorisme afin de résoudre ses problèmes internes et conserver son intégrité territoriale.
En ce qui concerne l'Union européenne, nous sommes heureux qu'elle ait, en tant qu'organisation régionale active, apporté son soutien à la Libye après l'adoption de la résolution 1970 tant sur le plan humanitaire que logistique ou politique. Nous nous félicitons de l'étude d'évaluation sur la surveillance des frontières qu'elle a réalisée. Nous négocions actuellement avec elle afin de hâter l'envoi d'experts européens en ce domaine.
Je tiens à vous rassurer sur la nature du partenariat qui nous lie à l'Union européenne. Elle est stratégique. Nous devons concentrer nos efforts sur la dimension sécuritaire. En effet, on ne peut concevoir de véritable coopération, des investissements, et l'instauration de la stabilité, en l'absence de sécurité. Les États membres de l'Union européenne ont une responsabilité particulière en termes de soutien à la Libye pour la mise en oeuvre des institutions judiciaires nécessaires à l'instauration d'un nouveau régime démocratique. C'est pourquoi nous demandons à toutes les organisations internationales et régionales de renforcer leur coopération technique avec la Libye afin de permettre la constitution d'un tel système de justice transitionnelle. Un travail de réconciliation sera également nécessaire, pour y parvenir un système de justice transitionnelle est indispensable.
Concernant le dialogue 5+5, la Libye en constitue un acteur, comme en témoigne la dernière rencontre des chefs d'État à Malte, au cours de laquelle nous avons rencontré le président de la République, François Hollande. Ce dernier a joué un rôle essentiel en termes de promotion d'un partenariat solidaire entre les pays du 5+5. La déclaration de Malte doit être considérée comme une étape positive sur la voie de la coopération.
Nous oeuvrons pour devenir un membre agissant de l'Union pour la Méditerranée car ce qui relie les pays de la Méditerranée dépasse les relations politiques et s'étend historiquement, depuis Rome, aux relations économiques et commerciales. Nous voulons instaurer un partenariat libo-méditerranéen efficace et agissant et participer à l'UPM.
Pour ce qui concerne les relations bilatérales, la France est notre deuxième partenaire commercial après l'Italie. Sur le plan politique, nous avons des relations particulières. Celles-ci ont été fluctuantes sous l'ancien régime, mais nous avons apprécié la nouvelle façon de faire de la France, qui s'est trouvée en pointe pour soutenir la révolution du 17 février, au moment où d'autres doutaient. Cela constitue les bases d'une nouvelle relation politique qui est approuvée par le peuple.
A la suite de la récente visite du ministre des affaires étrangères, M. Fabius, en Libye, nous avons échangé nos points de vue pour coordonner nos positions politiques, renforcer nos relations commerciales et économiques, évoquer nos relations en matière de défense et de sécurité, coopérer dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, notamment par l'accueil d'étudiants libyens dans les universités françaises.
La priorité est naturellement l'aide dans le domaine de la sécurité et de la défense qui passe par des actions de formation spécialisée en France ou en Libye et la fourniture des mécanismes et des technologies avancées pour la surveillance de nos frontières maritimes et terrestres.
Dans les domaines économiques, nous souhaitons le retour des sociétés françaises dans le domaine de l'exploration pétrolière notamment, mais au-delà nous voulons favoriser les rencontres entre hommes d'affaires. Nous avons une vision nouvelle du développement économique de la Libye qui recèle de très grandes opportunités. La Libye est un État riche de son pétrole mais c'est aussi un État pauvre qui dispose de peu de capacités et doit investir pour relancer son économie notamment dans le domaine de la sécurité, des communications et des transports, et de la défense. Il ne faut pas laisser passer ces opportunités, beaucoup d'entreprises étrangères se positionnent et la compétition sera vive. Nous avons besoin de diversifier l'économie libyenne. Elle peut en outre constituer une porte d'entrée vers l'Afrique.
Mais cette vision ne doit pas se limiter à son stade actuel, c'est à un partenariat stratégique avec la France que nous aspirons pour l'avenir.
J'en viens maintenant à nos besoins de coopération en matière institutionnel et à l'aide que pourrait-nous apporter le Sénat. Comme vous le savez, le Congrès général national est entré en fonction, mais les parlementaires ont besoin d'une période d'apprentissage et d'une ouverture vers les parlements d'autres pays. Ils ont besoin de conseils sur la façon de remplir leur rôle d'instance législative. Ils n'en ont aucune expérience en matière de contrôle et de législation. Ils sont élus et légitimes, mais ils ont besoin d'échanges et de visites sur le terrain dans d'autres parlements. J'encourage vivement les sénateurs à rester en contact avec le Congrès, surtout maintenant, dans une période critique, où va commencer le travail de rédaction de la Constitution. Nous avons une pleine confiance dans les compétences du Sénat en la matière et à ses connaissances dans ce domaine. J'encourage ce genre de coopération, car il s'agit d'échanges et non d'ingérence. Une commission va être nommée prochainement pour rédiger la Constitution, nous avons besoin de vos conseils.