Intervention de Mohamed Emhemed Abdelaziz ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de Libye

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 février 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Mohamed Emhemed abdelaziz ministre libyen des affaires étrangères

Mohamed Emhemed Abdelaziz ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de Libye :

Comme vous le soulignez, la situation s'est améliorée à Tripoli. La seule ville où subsistent des problèmes de sécurité est Benghazi. Une mission du Premier ministre s'est rendue sur place pour étudier les raisons de l'insécurité à Benghazi et dans la partie orientale de la Libye, et les causes de cette tension qui a abouti au meurtre de l'ambassadeur des États-Unis et de trois autres personnes, mais aussi de plusieurs hommes politiques libyens. Nous avons identifié trois raisons principales. D'abord, Benghazi et la région orientale ont été marginalisées par le régime précédent, à la suite d'un premier coup d'État qui a eu lieu dans la Montagne verte. Le régime a puni Benghazi, cette partie du territoire est devenue plus pauvre que le reste du pays, et manquait cruellement de services publics. Il y a donc eu beaucoup d'attentes créées par la révolution et le gouvernement transitoire, dont j'étais membre, n'a pas répondu suffisamment vite et de manière aussi efficace que les habitants l'auraient souhaité. Ensuite la région, notamment celle de la ville de Derna, est historiquement le cadre de mouvements religieux, plus extrémistes et en lien avec des organisations extérieures à la Libye. Le gouvernement souhaite contenir cette menace et pour cela ouvrir un dialogue pour intégrer ces communautés à la politique nationale. Il y a enfin, certaines réalités historiques, peu de temps avant le déclenchement de la révolution, le fils de Kadhafi, Seif al-Islam, est intervenu pour faire libérer 240 membres de ces communautés qui avaient été emprisonnés pour de nombreuses années. Ils ont participé à la révolution, ils avaient des revendications, ils voulaient participer à la vie politique et dicter leurs conditions. Nous devons agir avec prudence, essayer de les intégrer plutôt que les exclure. Nous avons actuellement certaines craintes car la dimension sécuritaire de la Libye est très dépendante de la dimension sécuritaire de ses voisins en Égypte et en Tunisie, il existe des échanges, des alliances, des communications entre ces groupes islamistes, il faut en tenir compte pour traiter cette question de manière adéquate.

Nous souhaitons que les entreprises étrangères reviennent le plus vite possible. Ce sera un signal fort donné aux citoyens libyens que de voir celles-ci participer à la reconstruction et grâce aux créations d'emploi, nous pourrons ainsi plus facilement intégrer les combattants pour la liberté. C'est une de nos préoccupations en matière de sécurité que de reconvertir ces combattants et d'assurer leur désarmement, mais, ce faisant, nous devons les aider car, au-delà de la révolution, ils ont permis de préserver la sécurité, alors que nous ne disposions ni de police, ni d'armée. Certains intégreront l'armée ou la police, d'autres ont des projets d'étude, de formation ou d'investissement.

Nous ne nous sommes pas fixé de calendrier pour aboutir à la rédaction d'une Constitution. Nous avons besoin d'une aide, et celle du Sénat français sera la bienvenue dans le cadre de sa coopération avec le Conseil général national (CGN), pour nous accompagner dans la mise en place du processus. C'est une attente des Libyens, comme de la communauté internationale. Cela ne sera pas perçu comme une ingérence. L'aide et les échanges avec des experts internationaux et les membres de la commission qui sera chargée de l'élaboration de la Constitution est indispensable, avant le début du travail de rédaction. Nous savons bien que dans ce processus, il existe des principes génériques qui se retrouvent dans toutes les constitutions du monde en plus des dispositions qui seront particulières à la Libye, et notre commission devra faire preuve d'ouverture et de compréhension de ces principes, comme les principes de droit de l'homme, auxquels il faudra intégrer les spécificités libyennes.

Dans le domaine touristique, la Libye dispose d'un immense potentiel, non seulement les sites archéologiques, mais aussi le désert et 2000 km de côtes. Je pense qu'il serait effectivement utile que des rencontres soient organisées avec le ministre libyen du tourisme, que je vais encourager en ce sens, que nous regardions effectivement comment développer son secteur touristique pour qu'il devienne une véritable industrie et comment vous avez pu apporter une aide efficace à la Jordanie en ce domaine.

S'agissant de la venue en France d'un groupe de femmes parlementaires, le projet n'a pu être mis en place en raison de la difficulté à obtenir des visas depuis l'Allemagne, mais il n'y a aucune hésitation de notre part, nous sommes désireux de développer ces échanges. En Libye, de nombreuses organisations non gouvernementales sont présidées par des femmes, elles ont une volonté de participer à la vie politique. Nous espérons pouvoir développer l'autonomisation de la femme libyenne afin qu'elle puisse participer à la vie politique.

Le projet de fleuve artificiel, qui est très ancien, puisque les premières études sont antérieures à 1969, suscite de nombreuses interrogations. D'abord sur sa durée de vie qui selon, certains experts, ne dépasseraient pas 50 ans, ensuite son coût très élevé puisqu'il dépasse le 25 milliards de dollars à mettre en comparaison avec l'installation d'usines de dessalement de l'eau de mer qui fourniraient la même quantité d'eau douce pour un coût dix fois moins important. Nous sommes mis devant le fait accompli. Ce fleuve artificiel existe et doit être entretenu. Nous dépendons de ce fleuve pour nos ressources en eau. Enfin nous craignons des effets négatifs, par exemple des palmeraies importantes (500 000 arbres) installées plus au sud, dépérissent par manque d'eau. Les conséquences écologiques doivent être évaluées. Nous suivons cette question de près.

S'agissant des entreprises étrangères qui étaient présentes, nous les invitons à revenir pour poursuivre leurs projets. Mais certains retours seront soumis à condition, notamment pour ce qui concerne le paiement de dommages-intérêts par rapport à une perte de biens, car nous considérons qu'il y a eu un cas de force majeure. Il convient de gérer cela en partant des contrats qui ont été signés et de l'examen des obligations réciproques. Nous pourrions travailler parallèlement à la reprise d'activité, notamment pour celles qui sont déjà fortement engagées dans la réalisation de leur projet et à l'examen des contrats. Enfin, certains contrats ont été signés, dont la négociation a été viciée par la pratique importante de la corruption endémique et à grande échelle sous l'ancien régime, et s'avèrent très coûteux.

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