Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 janvier 2013 : 1ère réunion
Cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

La Conférence générale de l'Organisation internationale du travail (OIT) a adopté, le 15 juin 2006, une convention n° 187 concernant le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé du travail. La ratification de convention est soumise à l'autorisation du Parlement.

Je vous rappelle que l'OIT est l'institution chargée au niveau mondial d'élaborer et de superviser les normes internationales du travail. C'est la seule agence des Nations unies dotée d'une structure tripartite qui rassemble des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs. Depuis 1947, l'OIT a adopté une trentaine de textes dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail.

Les accidents du travail et les maladies professionnelles sont un thème majeur de l'organisation, car ils constituent un véritable fléau mondial.

Quelques chiffres significatifs communiqués par l'OIT : « toutes les 15 secondes, un travailleur meurt d'un accident ou d'une maladie liés au travail ; toutes les 15 secondes, 160 travailleurs sont victimes d'un accident lié au travail ».

Chaque jour, 6 300 personnes meurent d'un accident du travail ou d'une maladie liée au travail - soit plus de 2,3 millions de morts par an. La plupart des 317 millions d'accidents qui se produisent chaque année se traduisent par des absences prolongées du travail.

Le coût humain de cette menace est donc considérable et on estime que le fardeau économique de ces mauvaises pratiques représente, tous les ans, 4 % du produit national brut mondial.

Les conditions de sécurité et de santé au travail varient très sensiblement selon les pays, les branches d'activité et les groupes sociaux. Le nombre de décès et de lésions est particulièrement élevé dans les pays en développement où une grande partie de la population travaille dans des secteurs dangereux tels que l'agriculture, la pêche ou l'exploitation minière. Ce sont les plus démunis et les moins protégés - en général les femmes, les enfants et les migrants - qui sont les plus touchés dans le monde.

L'adoption, par la Conférence internationale du Travail en 2006, de la convention (n° 187) sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail, et de la recommandation (n° 197), constitue une initiative nouvelle. Elle fixe les principes généraux et les objectifs essentiels auxquels les États sont invités à adhérer.

Outre le rappel des droits fondamentaux des travailleurs en matière de protection de leur intégrité physique et mentale au travail, le préambule réaffirme l'importance de promouvoir, de façon continue, une culture de prévention nationale.

Le dispositif fixe l'architecture générale du cadre promotionnel qui doit comprendre une politique nationale d'une part, un système et un programme national d'autre part. Les objectifs consistent à promouvoir l'amélioration continue de la sécurité et de la santé au travail et à prendre des mesures actives.

Le dispositif définit le cadre de la politique nationale avec :

- comme méthode, la consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs les plus représentatives,

- et comme domaines, l'évaluation des risques et dangers, la lutte à la source contre ceux-ci, le développement d'une culture de prévention.

Il définit également le contenu d'un système national à mettre en place qui doit inclure :

- la législation, et le cas échéant les accords collectifs,

- une autorité ou un organisme responsable,

- des mécanismes assurant le respect des normes y compris des systèmes d'inspection,

- la promotion de la coopération entre employeurs et travailleurs,

- ainsi que, s'il y a lieu la mise en place : d'une offre de formation, de services de santé au travail, d'un secteur de la recherche, d'outils statistiques, d'une collaboration avec les régimes d'assurances et de sécurité sociale, et de mécanismes de soutien pour l'amélioration des conditions dans les petites entreprises et dans l'économie informelle.

Il donne des indications sur le contenu du programme national à élaborer, à mettre en oeuvre, à contrôler et à évaluer périodiquement avec les organisations les plus représentatives des employeurs et des travailleurs.

L'étude d'impact montre que la France satisfait d'ores et déjà aux exigences de la convention. Il n'y a donc aucun impact juridique ou économique pour notre pays, si ce n'est de maintenir ce cadre et de promouvoir une amélioration continue de la sécurité et de la santé au travail.

La convention appelle les observations suivantes.

La démarche est originale puisqu'il ne s'agit pas de prescrire des normes mais d'inciter les États à mettre en place des politiques publiques. Elle est sans doute la plus appropriée compte tenu de la diversité des situations en fonction du niveau de développement économique et social des États, de leurs approches et de leurs capacités d'intervention en ces domaines. Elle incite les États à mettre en oeuvre une démarche de progrès dont elle définit les instruments sans exiger d'engagements sur les normes à atteindre, ni en terme de calendrier, ce qui est acceptable pour le plus grand nombre. C'est ce qui a permis l'adoption de la convention à une très large majorité - 455 voix contre 2 et 5 abstentions- et devrait faciliter sa ratification.

Cette démarche est positive car elle est susceptible de conduire à l'amélioration de la protection des travailleurs dans les pays où celle-ci est inexistante ou insuffisante. On peut d'ailleurs se réjouir de tout ce qui contribue à une égalisation des conditions de travail dans le monde. J'ajoute que, de façon indirecte, les entreprises implantées dans les États qui ne disposent pas de législation sur la sécurité et la santé au travail bénéficient d'un avantage compétitif difficilement soutenable, car il se crée au détriment de la santé et du bien-être des travailleurs ou des populations locales. Sans méconnaître la nécessité d'une progressivité dans l'application de standards, il convient, malgré les critiques souvent mises en avant de « protectionnisme », de continuer à affirmer que cet avantage n'est pas acceptable. La démarche proposée, incitative plus que prescriptive, devrait engager tous les États à progresser en ce domaine.

Elle constituera un point d'appui pour les organisations de travailleurs pour susciter l'action des autorités politiques et des employeurs.

Cette convention suscite néanmoins des interrogations car elle est peu contraignante. Le dispositif ne comprend pas de véritables sanctions. La convention ne prévoit que la présentation à la Conférence générale d'un rapport sur son application. La publicité donnée à ce document pourrait constituer une forme de sanction. Mais sa portée paraît bien faible.

Sous réserve du droit national, on peut imaginer, dans certains États, que la carence dans la mise en oeuvre de la convention puisse susciter des recours de la part de travailleurs ou de leurs organisations ou puisse venir à l'appui de contentieux en cas de préjudice comme un élément de preuve supplémentaire.

Il n'existe pas plus de mécanismes d'incitation à la ratification de la convention par les États. D'ailleurs le processus de ratification est lent. Je constate que 25 États ont ratifié cette convention, à ce jour. Le Japon et la Corée du sud ont été les premiers à l'avoir ratifié. On ne compte que 10 pays membres de l'Union européenne dont l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Espagne, et bien peu de pays en développement. On constate l'absence de nombre de pays émergents comme la Chine, le Brésil, l'Inde, les pays d'Asie du Sud-est (à l'exception de la Malaisie et de Singapour), mais aussi celle des États-Unis.

La France n'a d'ailleurs pas été très performante. Je regrette vivement, pour ma part, que notre pays, qui est le 2ème État de l'OIT à avoir ratifié le plus grand nombre de conventions et qui a milité au sein de cette organisation en faveur de cette convention, ait attendu près de six ans avant de solliciter des assemblées parlementaires l'autorisation de procéder à sa ratification, quels qu'en aient été les motifs.

Je me demande si des incitations ne pourraient pas être mises en place, par exemple en conditionnant à sa ratification préalable, l'adhésion à certaines organisations internationales comme l'OMC, ou le bénéfice de certaines politiques de coopération ou de voisinage de l'Union européenne (si tant est que l'ensemble des pays de l'Union ratifient la convention) ou encore la recevabilité de la candidature aux marchés publics. Je souhaiterais que la France entreprenne des démarches en ce sens auprès des institutions et de ses partenaires de l'Union européenne et que, parallèlement, elle réfléchisse à la mise en place d'une expertise pour aider les pays les plus pauvres à mettre en oeuvre cette convention.

En conclusion, et sous ces réserves, je propose que la commission se prononce en faveur de la ratification de cette convention et propose son examen par la Sénat sous la forme simplifiée.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.

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