Intervention de Ramon Fernandez

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 octobre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission aide publique au développement - Audition de M. Ramon Fernandez directeur général du trésor

Ramon Fernandez, directeur général du Trésor :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, comme l'an passé, je souhaiterais, avant de répondre à vos questions, vous présenter à titre introductif les principales caractéristiques et les grandes orientations de la politique française d'aide au développement. Je voudrais aussi vous présenter mes excuses pour le retard dans la production de certains documents, notamment le document de politique transversale « politique française en faveur du développement ». Deux de ses annexes financières totalement renouvelées ont occupé les jours et les nuits de nombre de mes agents qui étaient par ailleurs mobilisés sur les travaux du G20. Ce document vous sera prochainement communiqué.

Placée sous le double signe de la continuité dans l'effort et de la transparence dans la gestion, notre politique d'aide au développement a été amenée à s'adapter pour répondre aux exigences du moment, je veux dire par là, un contexte budgétaire très contraint, l'exercice par la France des présidences du G8 et du G20 dont le développement constitue l'un des thèmes phares, l'impact sur notre stratégie d'aide au développement des transitions politiques en cours dans le monde arabe et méditerranéen et, enfin, des actions à mettre en oeuvre pour aider à combattre le changement climatique. Au Sommet de Cannes, devrait notamment être présenté le rapport de M. Bill Gates sur le financement du développement, ainsi que le rapport de M. Tidiane Thiam les projets de développement susceptibles immédiatement financé dans le cadre travaux du G20.

Aussi, notre stratégie d'aide au développement et son budget pour 2012 reposent sur :

- la confirmation de l'importance de cette action et le maintien des moyens qui y sont consacrés ;

- des efforts supplémentaires de transparence et de lisibilité que nous avons engagés dans la gestion de notre aide ;

- enfin, des actions concrètes menées par la France dans le cadre de sa présidence du G8 et du G20 pour répondre au double défi du financement du développement et des attentes légitimes face aux crises géopolitiques en Méditerranée, alimentaires en Afrique et climatiques dans le monde entier.

Je voudrais d'abord vous dire que la France est à la hauteur de l'enjeu et poursuit un effort financier historique en faveur du développement. Malgré une crise financière sans précédent depuis les années trente, les crédits d'aide au développement ont non seulement été sanctuarisés mais ont continué leur progression quasi régulière depuis 2005, conformément aux objectifs et aux résultats auxquels nous nous étions engagés. Notre pays est ainsi, en 2010, le troisième bailleur mondial, derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et va encore poursuivre son effort :

L'aide publique au développement de la France dépasse en 2010, pour la première fois de notre Histoire, la barre symbolique des 10 milliards avec un montant total de 10,85 milliards d'euros, soit 0,5 % du revenu national brut à comparer à cet effort dix ans plus tôt avec une part d'APD - comme disent les spécialistes - de 0,31 % du revenu national brut.

Cette croissance de l'APD porte exclusivement sur l'aide bilatérale qui augmente de près de 840 millions d'euros par rapport à 2009, principalement grâce aux prêts concessionnels de l'AFD et aux dons bilatéraux. Notre aide multilatérale s'inscrit, quant à elle, légèrement en baisse après avoir atteint un niveau historique de 4 milliards d'euros en 2009 ; elle passe ainsi de 44 % en 2009 à 40 % en 2010 du total de notre APD.

Ces évolutions sont conformes aux orientations souhaitées par le Parlement.

Pour 2011, cet effort devrait être sensiblement proche de celui prévu par le document de politique transversale avec une part d'APD représentant 0,46 % du revenu national brut, du fait du report en 2012 de 225 millions d'euros de crédits du programme d'ajustement structurel du Liban.

En 2012, cet effort devrait à nouveau atteindre 0,5 % du revenu national brut.

Ces données et prévisions d'APD, retracées dans le document de politique transversale sont obtenues :

- d'abord, en sanctuarisant le socle de cet effort, les crédits budgétaires de la mission APD. Ces crédits sont stabilisés à un niveau de 3,34 milliards d'euros par an, soit 10 milliards d'euros sur le triennum. S'agissant du programme « aide économique et financière au développement » - celui dont j'ai la responsabilité - les crédits de paiement restent pratiquement à leur niveau de l'an passé, avec une baisse de 13 % des crédits consacrés aux annulations de dettes et une augmentation de plus de 5,5 % des crédits bilatéraux et, partant, de l'aide-projet et de l'aide-programme. Les autorisations d'engagement sont, elles, en forte baisse, passant de 2,5 milliards d'euros en 2011 à près de 630 millions d'euros en 2012, du fait des reconstitutions triennales réalisées en 2011 des deux principaux fonds concessionnels multilatéraux auxquels la France participe : l'Agence internationale de développement et le Fonds africain de développement ;

- nous y parvenons ensuite, en optimisant le coût budgétaire de cet effort, notamment s'agissant des prêts, dont nous veillons à ajuster la concessionnalité au niveau minimal permettant la réalisation des projets sans menacer la soutenabilité de la dette des emprunteurs ;

- enfin, en mettant en oeuvre à court et moyen termes des traitements de dette significatifs en Afrique (en Côte d'Ivoire, en Guinée et au Soudan, en particulier) mais aussi en mobilisant des financements innovants complémentaires sur lesquels je reviendrai à propos du G20.

En deuxième lieu, je voudrais souligner les efforts supplémentaires de transparence et de lisibilité que nous avons engagés dans la gestion et l'évaluation de notre aide.

Vous le savez, le document-cadre de coopération au développement que nous avons conçu ensemble en 2010 fixe des orientations géographiques et sectorielles claires et ciblées pour notre APD.

Cinq secteurs sont ainsi privilégiés : la santé, l'éducation et la formation professionnelle, l'agriculture et la sécurité alimentaire, le développement durable et le soutien à la croissance.

Quatre partenariats sont également mis en avant :

- le plus important, celui avec l'Afrique subsaharienne pour soutenir sa croissance et la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement ;

- celui avec la Méditerranée pour le développement durable, dans une perspective de convergence, si indispensable et prémonitoire, comme l'ont illustré les événements du printemps dernier ;

- celui avec les pays émergents, pour gérer les équilibres mondiaux ;

- enfin, celui avec les pays en crise, pour en renforcer la stabilité.

Ces partenariats différenciés impliquent des choix financiers explicites auxquels nous nous sommes engagés puisqu'au moins 60 % de l'effort financier bilatéral de l'Etat doit être affecté à l'Afrique subsaharienne et un maximum de 10 aux pays émergents.

Vous nous avez demandé toutefois d'aller plus loin en vous fournissant des données historiques et prévisionnelles permettant de mesurer l'atteinte de ces objectifs géographiques et sectoriels.

Mes services ont été particulièrement actifs à répondre à vos attentes. Beaucoup - je le pense sincèrement - a été fait en ce sens, y compris pour répondre aux nombreuses questions budgétaires que vous nous avez adressées cette année. J'y vois bien sûr le signe de votre intérêt marqué pour la politique d'aide au développement et je m'en réjouis.

Le document de politique transversale comporte ainsi désormais une quinzaine de pages supplémentaires avec 11 tableaux détaillant la répartition géographique et sectorielle de l'aide bilatérale, au plan historique mais aussi, lorsque c'est possible, à titre prévisionnel. Les instruments de cette aide - qu'il s'agisse des prêts, des dons ou, au sein des dons, des subventions - ont été clairement identifiés et quantifiés. Ces tableaux présentent une photographie de notre aide susceptible de mieux éclairer le Parlement et l'opinion publique sur la déclinaison de notre politique d'aide au développement.

S'agissant de l'aide multilatérale, lorsque c'était techniquement possible et identifiable, les dépenses d'aide ont été ventilées. Mais les limites de cet exercice sont connues, comme le soulignait l'Inspection générale des finances dans un rapport remis au ministre chargé de l'économie et au ministre des affaires étrangères en novembre 2010. L'impossibilité d'isoler les résultats des actions financées par des crédits nationaux attribués aux institutions financières internationales, de même que l'extrême hétérogénéité et multiplicité des indicateurs et dispositifs d'évaluation de ces organismes rendent délicate toute tentative de mesure des résultats spécifiques à l'aide française. En revanche, la mise en place d'indicateurs de ciblage de cette aide, en fonction des priorités françaises, est possible et un groupe de travail interministériel ad hoc y réfléchit activement.

Les résultats de ce travail sont d'ores et déjà éclairants.

La France consacre plus de 1,44 milliard d'euros en dons bilatéraux aux pays d'Afrique subsaharienne. En ligne avec les objectifs fixés par le document-cadre de coopération au développement, l'Afrique subsaharienne est la principale région d'intervention de l'Agence Française de Développement : 60 % de l'effort financier de l'Etat y sont concentrés, reflétant ainsi l'accès privilégié des pays de cette zone aux instruments les plus concessionnels de l'Agence.

Par ailleurs, la région Méditerranée et Moyen-Orient conserve un poids important puisqu'elle représente 18 % de l'effort financier de l'Etat en 2010, soit un résultat proche de la cible des 20 % fixée par le document-cadre de coopération au développement, puis par le Contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD.

L'intervention de l'AFD dans les pays émergents ne se fait que sous forme de prêts peu ou pas concessionnels, ce qui se traduit par une part plus faible de ces pays dans l'effort financier de l'Etat (7 % en 2010 et 2 % prévus en 2011, avec un plafond de 10 % fixé dans le contrat d'objectifs et de moyens 2011-2013 de l'Agence).

L'aide distribuée par les institutions financières internationales est, par ailleurs, globalement conforme à nos priorités. 43 % des engagements de l'AID sont orientés vers l'Afrique subsaharienne et cette part représente près de 75 % des engagements concessionnels du FMI. Les priorités sectorielles du CICID correspondent, quant à elles, pour le groupe Banque mondiale, à 89 % des actions de la SFI, 82 % de celles de la BIRD et 77 % de celles de l'AID. Les banques multilatérales de développement ne sont pas en reste puisque - comme le révèle aussi le rapport sur les institutions multilatérales de développement qui vous sera remis pour la première fois cette année - nos priorités sectorielles sont communes avec elles à hauteur de 93 % pour la Banque asiatique de développement, de 89 % pour la Banque africaine de développement, de 85 % pour la BERD et de 71 % pour la BID.

La présidence française du G8 et du G20 représente une opportunité mise à profit par notre pays pour répondre au double défi du financement du développement et des attentes légitimes face aux crises géopolitiques en Méditerranée, alimentaires en Afrique et climatiques dans le monde entier.

La mobilisation de ressources nouvelles, via des financements innovants, est indispensable pour atteindre l'objectif d'une APD de 0,7 % du RNB en 2015, comme l'objectif financier de 100 milliards d'euros par an en 2020 inscrit dans l'accord de Copenhague.

Vous le savez, la France s'y emploie activement. Le Président de la République a rappelé à plusieurs reprises son attachement à la taxe sur les transactions financières. La France et l'Allemagne ont publié ensemble en septembre 2011 un document de travail précisant les grands principes sur lesquels devrait reposer une TTF : une taxe créée à un niveau européen ou international avec un taux faible et une assiette large.

L'adoption par la Commission européenne d'une proposition de directive instaurant un « système commun de taxe sur les transactions financières », qui a vocation à être transposée au 1er janvier 2014, va dans le bon sens.

Dans la perspective du prochain Sommet du G20 à Cannes, M. Bill Gates remettra un rapport sur le financement du développement où la mise en place de financements innovants figure en bonne place.

Les semaines qui viennent nous diront si cette capacité technique s'accompagne ou non d'une volonté politique partagée, au sein du G20, pour la mettre en oeuvre. Si la faisabilité technique de la taxe sur les transactions financières, confirmée aussi par le FMI, ne fait désormais guère plus de doute, pour l'instant aucun consensus politique n'a été trouvé sur cette question.

Le défi est de taille puisqu'il s'agit de convaincre un nombre croissant de pays de mettre en place des mécanismes qui, préfigurant une fiscalité internationale, devront en particulier permettre de financer les biens publics mondiaux dans les pays en développement.

Au-delà de ces questions de financement du développement, l'actualité de l'année 2011 a conduit la France à aider les pays arabes en transition en Méditerranée, tout en continuant à mettre en oeuvre la stratégie ambitieuse du G20 en faveur du développement.

Au Sommet de Deauville, les 26 et 27 mai derniers, le G8 a exprimé son soutien aux transitions démocratiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Le Président de la République a lancé le « Partenariat de Deauville » avec les pays en transition démocratique, en collaboration avec les Institutions financières internationales et en présence de la Ligue Arabe. Ce partenariat de long terme repose à la fois sur un pilier politique visant à promouvoir les réformes de gouvernance et animé par les ministres des affaires étrangères, et sur un pilier économique pour soutenir une croissance soutenable et inclusive.

Le pilier économique du Partenariat a été lancé officiellement par une réunion des ministres des finances à Marseille le 10 septembre dernier. Quatre pays en transition étaient présents : la Tunisie, l'Egypte, le Maroc et la Jordanie, ainsi que la Libye, invitée à titre d'observateur. Cinq pays régionaux « associés » (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Qatar, Koweït et Turquie) participaient également, ainsi que dix institutions multilatérales, dont les trois principales organisations régionales (Fonds monétaire arabe, Fonds arabe pour le développement économique et social et le Fonds de l'OPEP pour le développement international). A l'occasion de cette réunion, qui visait à valider la méthode et les principes d'un Partenariat fondé sur l'élaboration par les pays en transition de leurs priorités, nous avons obtenu des institutions financières internationales qu'elles précisent la réponse coordonnée qu'elles pourraient apporter aux pays en transition : un soutien total évalué à 38 milliards de dollars sur la période 2011-2013 a ainsi été annoncé, ainsi que la mise en place d'une plateforme de coordination.

Au-delà de son rôle d'impulsion et de coordination de cette réponse globale ambitieuse, élaborée avec tous les acteurs importants de la région, la France a accru son propre soutien bilatéral. Ainsi, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a annoncé à Marseille qu'une enveloppe de 2,7 milliards d'euros serait attribuée par la France aux quatre pays en transition sur 2011-2013, dont une importante partie financée par l'Agence française de développement.

L'extension du G20 décidée sous présidence coréenne aux questions de développement a, par ailleurs, pris corps sous présidence française. La France a ainsi plus particulièrement mis l'accent sur trois sujets :

- la volatilité des prix des matières premières agricoles, pour déterminer les moyens de la gérer et d'en limiter les effets néfastes sur la sécurité alimentaire ;

- le développement des infrastructures, en soutenant plus particulièrement celles qui favorisent la croissance économique et l'intégration régionale, élément-clef notamment pour le développement de l'Afrique ;

- et comme je l'ai déjà évoqué, la promotion des financements innovants.

J'espère vous avoir convaincu de l'engagement sans faille du Gouvernement en faveur du développement. Il se traduit par ce budget ambitieux et des objectifs qui ne le sont pas moins pour les échéances internationales présentes et à venir.

Je vous remercie de votre attentions et suis prêt, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, à répondre à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion