Intervention de Ramon Fernandez

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 octobre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission aide publique au développement - Audition de M. Ramon Fernandez directeur général du trésor

Ramon Fernandez, directeur général du Trésor :

S'agissant du document de politique transversale et des réponses au questionnaire budgétaire, je comprends l'insatisfaction de la commission. L'ensemble des documents devrait vous parvenir d'ici la fin de la semaine prochaine. Nous essayerons évidemment de faire mieux l'année prochaine.

En ce qui concerne le partage des responsabilités entre le Quai d'Orsay et le ministère des finances, la France n'est pas le seul pays à disposer d'une telle organisation. Il est vrai que l'équivalent du ministère de coopération britannique, le DFID, est lui plus centralisé. Nous avons mis en place des procédures pour que les actions des deux ministères se coordonnent. Ces procédures fonctionnent bien, chacun apporte son expérience et son expertise. Sur certains sujets, dont la dimension monétaire est importante, le fait de pouvoir s'appuyer sur l'expertise du ministère des finances constitue un véritable avantage.

Il existe d'autres différences avec la coopération britannique. Celle-ci intervient notamment essentiellement à travers des dons, alors que la coopération française associe les dons et les prêts de façon à adapter ses interventions à la situation particulière de chaque pays. Les pays d'Afrique subsaharienne dont la capacité d'endettement est faible doivent pouvoir bénéficier d'une coopération essentiellement sous forme de dons tandis que d'autres pays, en Méditerranée, ou a fortiori dans les pays émergents, ont des capacités de remboursement qui permettent de monter des projets à partir de prêts à des taux plus ou moins bonifiés. J'attire votre attention sur le fait que le prêt est un instrument fondamental de notre coopération. Si nous coupons l'accès aux prêts à certains pays, il n'y aura jamais assez de dons pour financer des projets d'une taille significative. La question est donc d'ajuster les instruments à la situation financière des pays concernés et d'agir ainsi majoritairement sous forme de dons au Mali alors qu'on peut plus volontiers prêter au Kenya. Il convient également d'adapter les instruments au fil du temps. Ainsi, la France est d'abord intervenue en Chine avec des prêts bonifiés. Aujourd'hui, compte tenu des capacités financières de la Chine, nous n'intervenons plus que sous la forme de prêts non bonifiés. La France dispose d'une panoplie complète d'instruments, notamment grâce à l'AFD. Cela constitue une force que nous envient certains de nos partenaires. Je ne crois pas à ce propos que le prêt soit un instrument d'asservissement. Recourir aux prêts, c'est avoir la capacité financière de rembourser et c'est là un signe d'indépendance.

La situation de l'AFD n'est pas comparable à celle de DEXIA. La situation financière de l'agence et ses métiers sont très différents de ceux de DEXIA. Mais vous avez raison, l'AFD, en tant qu'établissement de crédit, doit répondre à un certain nombre de critères prudentiels afin de réduire son exposition aux risques dans des proportions compatibles avec sa situation financière. De ce point de vue, l'AFD a manifesté sa vigilance sur ce terrain en créant récemment une nouvelle direction des risques qui a une vue très exhaustive des engagements pris par l'agence. La situation de l'AFD au regard des ratios de solvabilité est très confortable puisque celui-ci avoisine les 29 %, une situation très nettement supérieure à certains de ses homologues. Il conviendra de préparer le passage à Bâle III mais la situation me semble totalement maîtrisée.

En matière d'évaluation, les Britanniques mettent en valeur, en effet, avec un art consommé leurs évaluations. Quand on regarde de près leurs travaux, on s'aperçoit qu'ils n'échappent pas aux difficultés méthodologiques inhérentes à toutes les évaluations dans ce domaine. De notre côté, nous avons lancé une mission de l'Inspection générale des finances sur les modalités d'évaluation de la politique de coopération qui met en lumière ce que l'on peut faire et ce qu'on aura du mal à faire. En effet, les liens de causalité entre les progrès enregistrés, les actions menées, la situation de départ et l'intervention de tous les autres acteurs sont parfois difficiles à établir. Mais vous avez raison, nous avons dans ce domaine des progrès à faire et vous trouverez au sein de mon administration un soutien fervent à la mise en place d'une évaluation de la qualité de nos actions. La direction générale du Trésor a créé une unité de l'évaluation qui a accompli ces dernières années un travail remarquable et reconnu par de nombreuses institutions, dont l'OCDE. Lors de chaque reconstitution, ce département procède à une évaluation de nos contributions à ces différents fonds. Ces évaluations sont publiques et permettent d'apprécier la qualité du partenariat que nous entretenons avec des institutions telles que par exemple la Banque mondiale, le fonds africain de développement ou le fonds asiatique de développement.

S'agissant de la capacité des pays en développement à dégager des ressources fiscales suffisantes, c'est une préoccupation importante de la direction générale du Trésor. Nous travaillons avec les pays concernés à ce sujet, notamment dans le cadre de l'organisation de la zone franc ; dans les pays pauvres prioritaires quinze assistants techniques se consacrent uniquement à ce thème, qui constitue par ailleurs l'un des secteurs de prédilection du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

L'AFD a diversifié ses champs d'intervention géographiques et sectoriels. Cette extension correspond notamment au mandat qui a été confié à l'agence en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Cette extension a suscité et suscite encore un débat légitime entre les partisans de cette diversification et ceux qui militent pour un recentrage sur les zones prioritaires de la coopération française. Pour ces derniers, même si les activités dans de nouvelles géographies se pratiquent sous forme de prêts non bonifiés, il y a un risque de dispersion du temps et de l'énergie de l'agence dans des pays qui ne correspondent pas aux priorités de la France. Il faut toutefois reconnaître que, dans certains pays, l'AFD représente parfois le seul instrument de coopération avec les autorités locales.

Vous avez raison de souligner la prolifération des organismes internationaux intervenant dans le domaine de l'aide au développement. La France n'est pas le seul pays responsable de cette fragmentation de l'aide, mais elle y a participé ; je pense notamment à notre action en faveur de la création du fonds mondial contre le sida. Nous avons eu, il est vrai, le souhait d'incarner une politique dans un instrument, d'accorder à cet instrument la visibilité nécessaire pour maximiser ce financement. La démultiplication des organismes a néanmoins des effets pervers importants. Elle engendre des coûts de gestion et de coordination significatifs. Elle conduit à multiplier les interlocuteurs des autorités des pays récipiendaires dont l'activité est parfois surchargée par la gestion des trop nombreux bailleurs de fonds. C'est pourquoi la France défendra à Busan, au sommet sur l'efficacité de l'aide, des propositions pour lutter contre la fragmentation de l'aide. De ce point de vue, la gestion du partenariat de Deauville, en faveur d'une coopération avec les pays arabes en transition, me paraît intéressante. Dans le cadre du G8, nous avons, en effet, réussi à fédérer plus d'une dizaine d'institutions et de pays afin de coordonner leurs actions et d'effectuer une division du travail. Par ailleurs, je tiens à souligner que nos contributions multilatérales sont concentrées à 90 % sur six grandes institutions.

Il est vrai que les sujets du financement des infrastructures africaines ou de la sécurité alimentaire sont à l'ordre du jour de l'agenda international depuis de très nombreuses années. Ils le resteront tant que ces sujets demeureront une préoccupation pour les Africains et pour la communauté internationale. Dans le cadre du G20, nous avons souhaité, en ce qui concerne le financement des infrastructures, mieux prendre en compte la dimension régionale des projets. En matière de sécurité alimentaire, nous avons déjà obtenu des résultats significatifs avec la constitution de stocks d'urgence ou le recours à des instruments financiers adaptés.

Notre politique de prêts s'inscrit dans le cadre d'analyses de la soutenabilité de la dette fixé en 2005 après les décisions d'annulations de dettes. Ce cadre d'analyses permet de définir les conditions financières dans lesquelles des pays qui ont bénéficié d'un processus d'annulation de dettes sont autorisés de nouveau à recourir à l'emprunt. Ce cadre a été défini de façon volontairement rigide afin d'éviter que surviennent de nouvelles crises de surendettement. Nous sommes en train de regarder si ce cadre n'est pas trop rigide car il faut avoir à l'esprit que les pays en développement ont besoin de pouvoir emprunter pour financer leur développement. Les pays émergents comme la Corée du Sud se sont d'ailleurs appuyés sur des prêts pour financer leurs investissements, notamment d'infrastructures.

La cause des femmes et la question du genre font partie des objectifs de la politique de coopération soutenue par la direction générale du Trésor. Cette question fait partie des sujets abordés dans le cadre du G20 mais aussi dans le cadre du comité du développement de la Banque mondiale, notamment à travers l'aspect de l'accès des femmes au crédit bancaire. La Banque mondiale vient de publier à cet égard un rapport tout à fait intéressant sur le rôle des femmes dans le processus de développement des pays du Sud.

L'Union pour la Méditerranée a constitué une initiative prémonitoire à bien des égards, elle a illustré la nécessité de se préoccuper de cette région stratégique pour l'Europe et pour la France. Il reste que, dans la situation actuelle, le partenariat de Deauville, parce qu'il rassemble des pays et des institutions volontaires, permet des actions plus ciblées que l'Union pour la Méditerranée.

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