Intervention de Amiral Bernard Rogel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 juin 2013 : 1ère réunion
Audition de l'amiral bernard rogel chef d'état-major de la marine

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine :

S'agissant du lissage, c'est tout l'objet des travaux de la Loi de Programmation Militaire (LPM), qui sont en cours. Le Livre blanc prévoit que le nombre de frégates de premier rang soit réduit de 18 à 15, le but étant de remplacer certains bateaux qui arrivent maintenant à bout de souffle. Nous regardons actuellement comment vont se constituer ces 15 frégates de premier rang en sachant que le maintien de 4 frégates de défense aérienne est un impératif. Le reste sera constitué d'un panachage entre frégates multi-missions (FREMM) et frégates type La Fayette. J'ai demandé que ces dernières soient munies d'un sonar de coque afin de pallier la diminution du nombre de frégates anciennes. Concernant les patrouilleurs, je n'ai pas de dates. L'objectif du lissage est fixé à l'horizon 2025, il s'agit d'un véritable challenge. Ce qui va être déterminant, c'est d'arriver à ne pas créer de réduction temporaire de capacité supplémentaire qui, compte tenu de la réduction des formats, pourrait avoir une conséquence importante en termes de missions.

L'opération « Atalanta » est une véritable opération européenne, le commandement stratégique est assuré par les Britanniques avec un commandant-adjoint français et le commandement tactique est pris à tour de rôle par les nations européennes qui y contribuent. Il s'agit d'une opération d'excellence européenne. « Atalanta » montre que les militaires européens savent effectuer des opérations conjointement afin de répondre à des intérêts politiques. Dans le cadre d' « Atalanta », les intérêts politiques étaient partagés, à savoir la protection du flux de navigation commerciale ainsi que la sécurité de nos équipages. Ce genre d'expérience est à renouveler, mais pour cela il faut que nous arrivions à trouver des intérêts politiques européens partagés afin de mettre en place des missions européennes communes.

Concernant la sécurité maritime de nos pays à l'échelle européenne, nous avons encore des axes de progrès y compris autour de nos pays. La difficulté réside dans les différences entre les organisations nationales en termes de surveillance maritime. Dans ce domaine, il faudrait que chaque pays définisse un interlocuteur unique (comme c'est déjà le cas en France, avec le rôle du Secrétariat général de la mer qui coordonne l'ensemble des intervenants, et au Portugal) et qu'ensuite le même travail soit fait à l'échelle de la Commission européenne afin que l'on mette en place un réseau en étoile parfaitement identifié. C'est un vrai challenge que l'on a et qui pourrait faire l'objet d'avancées spectaculaires. On se heurte ici à un problème d'organisation qui nécessite une volonté politique forte.

L'Union européenne devrait également se saisir de la question de la piraterie dans le Golfe de Guinée en se demandant comment soutenir des États qui ne peuvent contrôler leur zone maritime mais aussi les problèmes de trafic de drogue qui se développent dans cette zone. L'Europe pourrait également coopérer pour résoudre les problèmes de pêche illégale qui concerne la façade africaine et ainsi aider nos amis africains.

S'agissant du ravitaillement pétrolier, rappelons tout d'abord que nous mutualisons déjà depuis longtemps les ravitaillements à la mer avec nos alliés. En règle générale, sur un théâtre d'opération, un seul ravitailleur suffit pour ravitailler toute la force. C'est par exemple le cas en Atalante. Cela deviendra d'ailleurs prochainement une obligation, puisque, si la LPM ne prévoyait que trois ravitailleurs, l'un d'eux serait en entretien et un deuxième consacré à l'entraînement, ce qui ne permettrait d'en déployer qu'un seul à la fois.

Mais il ne faut pas transposer la problématique des avions ravitailleurs à celle des bâtiments ravitailleurs, compte tenu de leur vitesse de déplacement. On ne peut donc pas tout mutualiser de façon globale, mais seulement de façon locale sur un théâtre.

Concernant la concurrence entre « Ocean Shield » et « Atalanta », il ne faut pas se tromper. Certes il y a une opération de l'Union européenne qui marche très bien et une opération de l'OTAN qui, parfois, peine à se voir doter de bâtiments en nombre suffisant. Mais, sur le théâtre, les deux opérations se complètent parfaitement et travaillent ensemble. Ce n'est donc pas une redondance mais au contraire un apport.

Le succès d'« Atalanta » nous permet de montrer à nos amis de l'OTAN que l'Union européenne peut prendre en charge de telles missions. Le Livre blanc de la défense affirme par ailleurs que la France a réintégré l'OTAN afin de se faire entendre pleinement sur le plan militaire. Cette capacité d'influence est renforcée par la crédibilité des opérations auxquelles nous avons participé dans les trois milieux, à la fois au sein de l'OTAN et de l'Union européenne. Je pense que nous devons l'utiliser pour nous faire entendre.

À propos de votre réflexion sur les frégates de premier rang et les moyens de pallier leur diminution, le constat est le suivant : plus le nombre de frégates de premier rang diminue, plus nous sommes amenés à les préserver. Le principe d'employer des moyens moins lourds est utilisé depuis longtemps dans la Marine, puisque nous avons des frégates de surveillance équivalentes à que l'on appelle aujourd'hui des OPV. Elles sont aux normes civiles, sont faiblement armées mais possèdent des capacités d'emports de commando et sont munies d'un hélicoptère. C'est exactement ce que tout le monde vante aujourd'hui, il est bien sûr que c'est ce à quoi nous pensons avec le futur prochain BATSIMAR. Je suis attaché à ce que l'on puisse mettre un hélicoptère ou un drone hélicoptère pour accroitre les capacités de surveillance de ces frégates ainsi qu'une capacité commando car l'on constate que nous en avons de plus en plus besoin dans les missions de basse intensité.

Au sujet des sociétés militaires privées (SMP), je crois qu'il existe un réel danger de « dépavillonnage ». La Marine nationale déploie une quinzaine d'équipes de protection embarquées (EPE) qui sont composées d'équipes de fusiliers marins ou d'équipes de protection prélevées sur ses bâtiments lorsqu'ils sont en période de réparation. Nous couvrons près de 80% des demandes faites par des armateurs français. La couverture de la Marine nationale en termes d'EPE concerne des bâtiments de recherche sismiques, des bâtiments de pêche, les câbliers, des bâtiments de commerce, les bâtiments transportant du matériel militaire sensibles ...

Mais il nous est parfois difficile de répondre dans les temps voulus aux armateurs lorsque la demande est tardive. Il est donc nécessaire d'arriver à une solution pragmatique. Pour les cas non couverts par la Marine nationale, ouvrons l'accès aux sociétés militaires privées sous condition d'un contrôle par un organe de l'État et d'une limitation géographique. Le contrôle étatique est nécessaire car le danger d'une telle ouverture aux sociétés privées serait que l'on atteigne un niveau de violence à la mer incontrôlable.

A propos du Pooling and Sharing, il est vrai que l'on peut toujours mieux faire. La vraie difficulté aujourd'hui à l'échelle européenne, c'est d'arriver aux mêmes résultats. Nous n'arrivons pas à avoir les mêmes spécifications par pays concernant les bateaux dont nous disposons. Nous avons des programmes de formation communs, nous coopérons déjà sur plusieurs points mais il s'agit aujourd'hui d'optimiser les capacités européennes de Pooling and sharing. Il y a un vrai effort à faire dans ce domaine en questionnant les intérêts commerciaux propres aux armements nationaux.

Concernant l'action de l'Etat en mer, rappelons tout d'abord que la Marine nationale ne fait pas toutes les missions. Par exemple, elle ne surveille la navigation de plaisance qu'à travers la gendarmerie maritime, même s'il nous arrive parfois d'apporter un soutien aux opérations dans la zone littorale. Mais notre vraie expertise est la haute mer. Il n'y a en effet que la Marine nationale qui peut agir en haute mer, ce qui nous amène à effectuer des missions là où d'autres administrations ne peuvent agir, comme par exemple la surveillance des pêches au thon en Méditerranée centrale.

L'action de l'Etat en mer est placée sous l'autorité du Premier ministre. La fonction garde-côtes fonctionne remarquablement bien en France. Elle est dirigée par le secrétaire général à la mer et non par le chef d'état-major de la Marine, comme certains le croient. La France est l'un des seuls pays en Europe à avoir une voix unique concernant les questions de pollution, d'accès à la mer et de sécurité en mer, ce qui constitue un avantage pour notre pays et sans doute la solution la plus avantageuse.

Si vous obtenez que d'autres ministères nous remboursent certains services, je ne peux être que preneur ! Mais l'expérience montre que c'est difficile : nous avons par exemple lancé des programmes de coopération interministériels tels que le B2M (bâtiments multi-mission) ou sur l'établissement d'un futur patrouilleur en terres australes (B3M) pour remplacer l'Albatros. Ces programmes sont supposés être financés en partie par d'autres ministères. Mais, dans ces périodes de disette, si l'intention d'interministériel est bonne, l'interministériel de budget est moins favorable et on a un peu de mal à fédérer les énergies. Pour l'heure, l'action de l'État en mer fait partie des missions de la Marine et notre budget prend en compte ces actions réalisées en haute mer.

Les réductions de format prévues par le Livre blanc vont entraîner la suppression de la permanence de la Marine nationale dans une zone d'opération extérieure. Mis à part l'océan Atlantique, qui est une zone naturelle, aujourd'hui nous maintenons des bateaux en permanence dans l'Est de la Méditerranée afin de se tenir informer de la situation régionale, de la même façon que nous entretenons la mission Corymbe dans le Golfe de Guinée ainsi qu'une autre dans l'océan Indien. Le Livre blanc stipule qu'il faudra abandonner la permanence dans l'une de ces zones dans les prochaines années. Cela se traduira aussi par une diminution probable de la prestation de la marine pour l'ensemble des fonctions de la présence de l'État en mer.

Je précise que pour assurer les missions, un nombre de bâtiments minimal ne suffit pas, il faut également prévoir un niveau d'activité minimal (nombre de jours en mer) donc les moyens pour les mettre en oeuvre. C'est un point de vigilance.

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