Intervention de Isabelle Facon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 mai 2013 : 1ère réunion
Politiques de sécurité et de défense russes — Audition de Mme Isabelle Facon maître de recherches à la fondation pour la recherche stratégique

Isabelle Facon, maître de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique, spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes :

A Mourmansk, beaucoup a déjà été fait, avec l'aide européenne (et de pays européens à titre individuel) et japonaise notamment, dans le cadre du programme « réduction de la menace Russie-Occident ». S'agissant d'un site particulièrement sensible, puisque regroupant des capacités nucléaires stratégiques, les Russes sont désormais moins allants sur la présence d'Occidentaux. La Russie ayant décidé de se retirer du programme de réduction de la menace l'an dernier, il est plus difficile de savoir ce que les Russes font ou ne font pas.

La programmation militaire russe, ambitieuse, prévoit la construction de huit sous-marins stratégiques, de huit sous-marins à propulsion nucléaire et de huit sous-marins à propulsion diesel. On peut toutefois mettre en doute la capacité des chantiers navals à tenir une telle cadence, même si la volonté des Russes d'être présents dans « l'océan mondial » est réelle. Ils participent d'ailleurs à la lutte contre la piraterie maritime dans l'océan Indien, ce qui est pour eux une manière de soutenir cette ambition. De même pour leur attachement à la base (plutôt point d'appui logistique) de Tartous, en Syrie, qui est un élément important, même s'il ne l'explique pas à lui seul, de leur position sur le dossier syrien. Cette base de maintenance de logistique est un des rares accès à la Méditerranée et aux mers chaudes, avec celle de Sébastopol en Ukraine, que peut utiliser la Russie, or historiquement, c'est une ouverture à laquelle ils tiennent beaucoup. D'une façon générale, le réseau de bases à l'étranger de la Russie hors voisinage immédiat est faible. Les rumeurs sur l'ouverture d'un certain nombre de bases ou l'accès à des bases à l'étranger (Vietnam, Yémen, etc.) ne se sont pas concrétisées jusqu'à présent, et l'acquisition d'un BPC répondait justement à l'idée de compenser partiellement, par l'achat de cet équipement, cette faiblesse. Le discours ambitieux sur les programmes de porte-avions, qui s'inscrivent dans un horizon temporel lointain, répond au même désir d'être présent dans l'océan mondial, pour des raisons politiques et économiques. Pour l'instant, les investissements sont toutefois plutôt concentrés sur les besoins de possibles opérations dans le Caucase du nord, et sur la capacité de projection de forces à la périphérie immédiate, notamment vers les républiques d'Asie centrale, dans un contexte de risque perçu d'un accroissement possible des problèmes de sécurité présents dans la région à la suite du retrait de la coalition internationale d'Afghanistan (radicalisation islamiste, développement de la criminalité organisée, trafics de drogue).... Les Russes n'excluent pas la possibilité d'un réveil de conflits locaux, dans le Haut-Karabagh, par exemple : la Géorgie est là pour nous rappeler que les conflits gelés se dégèlent parfois.

S'agissant des contrats d'armement avec la Syrie passés avant la crise, la Russie a bien dit qu'elle entend les honorer. Dans le passé certaines pressions d'Israël ou des États-Unis ont pu conduire ce pays à renoncer à certaines ventes demandées par Damas, comme celles des missiles tactiques Iskander. N'oublions pas que la Russie a perdu ces derniers temps des positions sur le marché de l'armement, qu'il s'agisse de la Libye ou d'autres pays concernés par les printemps arabes. Leur retour en Irak dans ce domaine n'est encore que conditionnel, et leur volonté d'apparaître comme des fournisseurs fiables les conduit à ne faire que très peu de concessions du type de celle sur le contrat sur les S-300 avec l'Iran. A ce propos, ceux qui ont été promis à la Syrie n'ont pas été livrés, et il semblerait que l'opération ait été suspendue. Il est difficile de dire si la Russie cèdera aussi aux pressions occidentales. Les relations russo-occidentales sont encore plus tendues sur le dossier Syrie que sur l'Iran.

Les Russes n'auraient sans doute pas pu agir aussi efficacement et rapidement que les forces françaises au Mali, en raison de difficultés d'intégration des différentes unités, de failles dans les systèmes de commandement et de contrôle.

Le premier contrat de vente de deux BPC de type Mistral à la Russie n'est pas remis en cause. C'est plutôt l'achat, en option, de deux bâtiments supplémentaires, qui seraient construits en Russie, qui est remis en question aujourd'hui. Un bras de fer interne se déroule, dans lequel le lobby russe de la construction navale et de ceux qui sont hostiles aux importations d'armement a récemment repris l'avantage, l'incertitude autour du Mistral en est une traduction directe.

Pour la Géorgie, on peut considérer que l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Ivanishvili est un facteur d'apaisement dans la relation bilatérale. Le projet d'adhésion à l'OTAN était déjà compromis par la guerre et si Ivanishvili ne le récuse pas, il en parle moins, et on peut considérer la situation aujourd'hui comme gelée, dans la mesure où la Russie veut, à mon sens, le maintien du statu quo, notamment dans la perspective des Jeux olympiques d'hiver, qui doivent se dérouler à Sotchi en février 2014. Ils n'ont aucune intention de revenir sur la reconnaissance des indépendances et l'installation de leurs bases militaires dans les deux territoires. La situation, malgré un dialogue bilatéral qui semble s'annoncer plus constructif, restera naturellement un fort point de crispation.

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