Intervention de Anne Paugam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 mai 2013 : 1ère réunion
Audition de Mme Anne Paugam candidate désignée aux fonctions de directeur général de l'agence française de développement — Avis et résultat du scrutin

Anne Paugam :

Parce que je mesure l'intérêt que vous portez à l'AFD, venir devant vous représente un moment important pour moi qui ai consacré ma carrière à la politique d'aide au développement depuis vingt ans.

Après mes premiers pas à l'inspection générale des finances, j'ai rejoint la Banque mondiale puis le cabinet du ministre de la coopération d'alors, M. Charles Josselin, durant un an. J'ai ensuite successivement assumé, au sein de l'AFD, des responsabilités de pilotage stratégique, de direction du département finançant les projets sur la santé et l'éducation ainsi que de secrétaire générale et de membre du comité exécutif. Ces dernières années, en tant qu'inspectrice générale référente pour les questions de développement, j'ai piloté et contribué à diverses réflexions sur l'aide française.

Ayant exercé ce métier sous ses différentes facettes, j'ai appris à connaître la diversité et la richesse des acteurs qui interviennent dans ce domaine ainsi que la pluralité des tutelles - les affaires étrangères, la coopération, les finances et l'outre-mer.

Je me réjouis, si tant est que vous confirmiez ma nomination, de prendre la tête de cette belle maison qu'est l'AFD afin de servir mieux encore cette politique publique stratégique au coeur des enjeux de solidarité et des défis de la mondialisation.

L'AFD, dont le Sénat a contribué à faire connaître l'action, est, comme l'a rappelé le président Carrère, l'opérateur pivot de l'État pour le financement du développement dans les pays du Sud mais aussi dans les collectivités et les économies d'outre-mer. Établissement public, elle est également une banque. En 2012, elle a approuvé 7 milliards de projets dont 500 millions de dons, de subventions et d'annulations de dette pour les pays les plus pauvres, les pays en crise et les ONG et 5 milliards de prêts dans les pays étrangers ; le tout pour un coût inférieur à 500 millions pour le budget de l'État. Grâce à son statut bancaire, l'agence prélève en effet l'essentiel de ses ressources sur les marchés financiers ; avec un euro public, elle finance 10 à 12 euros de développement. Des avantages donc, mais aussi un devoir de vigilance accru dans la lutte contre la corruption et le blanchiment afin de répondre à une demande croissante de transparence.

Sa mission est de promouvoir les priorités de la France en matière de développement durable. Durable car les pays du Sud sont les premières victimes du changement climatique, durable parce que leurs croissances démographique et économique aggrave la menace collective qui pèse sur la planète. Oui, aujourd'hui, le développement ne peut être que durable, c'est-à-dire qu'il doit intégrer l'héritage que nous laissons aux générations futures. D'où la feuille de route tracée par le Président de la République durant les assises du développement : le développement économique des pays, la sécurité et la préservation de la planète. Pour ce faire, la France a besoin d'un outil bilatéral crédible et solide à l'instar de ceux qui existent au Japon, en Grande-Bretagne ou encore en Allemagne, d'un outil capable de mobiliser financements et expertises.

Nous partons d'une bonne base ; en particulier, les personnels de l'agence sont aussi engagés que qualifiés. Nous devrons toutefois relever de nombreux défis stratégiques dans les années à venir.

D'abord, le maintien de notre niveau d'intervention opérationnelle exigera de renforcer les fonds propres de l'agence, un sujet que votre commission a exploré lors de la discussion du budget pour 2103. L'enjeu, en apparence technique, est stratégique car il y va de notre capacité d'influence. A cause des ratios prudentiels, l'agence est déjà contrainte de limiter son action dans certains pays et le sera de plus en plus. Nous devrons en tenir compte et trouver des solutions.

Ensuite, tant à l'ONU qu'aux Assises du développement, la réflexion s'est engagée sur l'articulation entre objectifs post-Millénaire et ceux du développement durable issus des grandes conférences climatiques. La France a intérêt à promouvoir simultanément élévation du niveau de vie et respect des normes environnementales et sociales. Très concrètement, cela signifie intégrer davantage cette dimension dans le dialogue avec les pays tiers, les stratégies sectorielles de l'AFD et les appels d'offre financés par l'aide en liaison avec les autres bailleurs. Cela implique aussi, pour l'agence, de peser sur la préparation de la COP 21, Conference of the Parties, qui se tiendra à Paris en 2015 et la structuration du Fonds vert qui, avec 100 milliards de dollars par an, représentera une source importance de financement pour les pays pauvres.

Enfin, nous devrons favoriser la projection des savoir-faire français, une préoccupation légitime à condition de ne pas dénaturer l'objectif premier qui est l'aide au développement. Cela passera par l'identification, pays par pays et avec l'aide des affaires étrangères, des secteurs forts où nous pouvons répondre à la demande des pays de manière compétitive.

Ces trois défis stratégiques, je ne vous surprendrai pas, sont à moduler selon le niveau de développement des pays. Dans les pays les plus pauvres, dont le nombre est passé de 14 à 17, la priorité sera la réduction de la pauvreté et à la lutte contre les inégalités. Dans les pays en crise, l'aide devra contribuer à réduire les foyers de tension en menant des projets intensifs en main-d'oeuvre et des projets structurants d'aménagement du territoire. A ces deux catégories de pays sera attribué l'essentiel de la ressource en dons, qui est rare, sans exclure les prêts concessionnels qui sont nécessaires au développement à condition de s'assurer de la soutenabilité de la dette. Mais l'Afrique compte aussi des pays sortis de l'extrême pauvreté, dont le niveau de croissance fait pâlir les Européens. Avec ce continent, nous devons nouer un partenariat rénové, fondé sur le respect mutuel, afin de rechercher ensemble des modèles de croissance adaptés.

Dans le Bassin méditerranéen, l'accent sera mis sur une croissance riche en emploi et respectueuse de l'environnement pour répondre aux espoirs de la jeunesse. Autant que faire se peut, nous rechercherons la cohérence entre adéquation aux besoins des populations et promotion des savoir-faire français en mobilisant du financement d'expertise et d'études dans tous les pays de la région, et non dans la seule zone de solidarité prioritaire (ZSP) qui se limite à 55 pays. Aujourd'hui, nous sommes, par exemple, absents en Égypte ou en Jordanie.

Des réflexions sont en cours sur notre relation aux pays à revenus intermédiaires d'Asie et d'Amérique latine. Pour ma part, je crois aux vertus d'une coopération d'intérêt réciproque pour une croissance propre respectueuse des normes sociales favorisant au maximum l'expertise française. Nous pouvons agir avec des prêts dans ces zones, ce qui ne coûtera rien au budget de l'État.

Le fil rouge de notre intervention outre-mer reste le développement durable mais aussi le soutien à l'emploi et l'intégration de ces points de contacts de la France avec trois continents lointains dans leur environnement international.

Pour relever ces défis stratégiques, j'entends utiliser quatre leviers opérationnels, sachant que la concertation, le dialogue et l'ouverture seront les principes directeurs de mon action.

Premier levier, conforter la variété de nos instruments financiers, une marque de fabrique de l'agence, qui est un gage d'adaptation aux besoins et d'efficacité de l'argent public. L'AFD accorde aussi bien des dons que des prêts souverains, des prêts aux collectivités territoriales et aux établissements publics, des financements aux entreprises privées, des garanties et des fonds et fonds propres et des innovations financières. Que l'enveloppe consacrée aux dons soit restée stable constitue un signal fort malgré la crise ; à terme, tout redéploiement, même modeste, via des affectations de la taxe sur les transactions financières et un rééquilibrage entre aide multilatérale et bilatérale sera bienvenu pour relever son niveau historiquement bas. Prêts et innovations financières sont à relancer : recherchons les causes du ralentissement des prêts non souverains observé ces dernières années et réfléchissons au rôle que peut jouer notre filiale Properco vis-à-vis de l'économie sociale et solidaire.

Deuxième levier, renforcer le financement de l'expertise française dont l'offre est trop dispersée, comme l'a relevé le sénateur Berthou dans son rapport. Deux questions se posent : celle du paysage institutionnel des opérateurs publics d'expertise - France expertise internationale (FEI), Assistance au développement des échanges en technologies économiques et financières (ADETEF) ou encore CIVI.POL Conseil - et celle des financements que l'agence peut utiliser pour mobiliser de façon plus réactive de l'expertise publique ou privée dans tous les pays d'intervention, y compris dans ceux hors de la ZSP. Les réflexions en cours doivent aboutir, c'est la condition pour que l'agence puisse remplir ses objectifs d'influence.

Troisième levier, développer la mise en réseau. La production de connaissances, qui est en soi un outil d'influence, doit faire l'objet d'un programme ambitieux ; elle éclairera les stratégies d'intervention de l'agence ainsi que ses résultats - nous avons des marges de progression sur l'évaluation, un sujet qui me tient à coeur - et nourrira les positions de la France sur le Fonds vert. Nous y parviendrons en développant les partenariats, d'une part, avec les think tanks, les universités et les grandes institutions françaises en matière de recherche. Un objectif à décliner pour développer les cofinancements avec les ONG, la coopération décentralisée et les autres bailleurs de fonds, au premier chef desquels la Commission européenne dont le budget de l'aide au développement est financé à 20 % par la France. Pour le secteur privé, je compte instaurer un mécanisme permanent de dialogue.

Quatrième et dernier levier, moderniser le management de l'agence parce que sa force réside dans ses agents. Je privilégierai le dialogue, la transversalité et l'innovation pour déconcentrer la prise de décision dans le cadre d'objectifs clairs. Dans une démarche permanente de recherche de gains de productivité, il faudra également adapter les moyens aux évolutions de l'activité et, j'y tiens beaucoup, professionnaliser la gestion des ressources humaines en faisant toute clarté sur les critères de nomination, en veillant à l'adéquation des profils aux postes - ce qui suppose de tenir compte des compétences managériales et pas seulement techniques - et en menant une véritable politique de formation.

Enfin, l'agence, qui doit incarner les valeurs qui fondent sa mission, devra être exemplaire en matière de dialogue social, de promotion de la diversité et de l'égalité entre hommes et femmes et de réduction des impacts environnementaux liés à son fonctionnement:

Telles sont les grandes lignes du projet que je compte mener, si vous confirmez ma nomination. Ces propositions devront, dans le respect des orientations retenues par le Cicid et dans le projet de loi de programmation, se traduire dans le prochain contrat d'objectifs et de moyens. Ce sera l'occasion d'un nouvel échange avec votre commission avec laquelle j'espère un dialogue régulier.

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