Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 mai 2014 : 1ère réunion

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Il nous reste maintenant deux mesures d'accompagnement à vous présenter. La première porte sur la nécessité de mieux insérer les forces spéciales dans la communauté du renseignement.

En effet, les forces spéciales sont trop souvent confinées dans des tâches de réaction immédiate, alors qu'elles peuvent également être utilisées de façon performante dans une stratégie d'anticipation et d'influence.

Elles ne sont pas une agence de renseignement. Mais elles sont un capteur particulièrement utile de renseignement. Dans la bande sahélo-saharienne ou plus au sud, ce ne sont pas tant le désert ou la forêt équatoriale qui posent problèmes (et ils le font), que la connaissance des ethnies, des idiomes et des coutumes. L'action spéciale, ce n'est pas frapper fort. C'est frapper juste.

Cette anticipation stratégique n'est pas une prospective tous azimuts, mais la capacité dans les domaines ou les zones où les forces spéciales présentent une plus-value d'être capable d'analyser l'environnement, de hiérarchiser les menaces, d'identifier une capacité d'action et des synergies possibles avec les forces alliées.

Le bénéfice des déploiements permanents, de l'ancrage dans la culture et la pratique de la langue ne sont plus à prouver. Ces déploiements permettent de promouvoir des liens de confiance avec les autorités partenaires et assurent une connaissance profonde de chaque environnement opérationnel. La TF SABRE est de ce point de vue un succès français.

Il me semble donc nécessaire d'insérer le COS dans un dispositif plus global d'anticipation et de coopération et sa juste prise en compte par le niveau de décision politique. Ce dispositif pourrait peut-être s'inspirer de ce qui a été fait par l'Amiral Mac Raven dans la réforme de l'USSOCOM depuis 2011 et la mise en place du réseau mondial des forces spéciales.

N'oublions pas en effet de relever combien la participation aux forces de l'OTAN en Afghanistan a joué un rôle structurant sur notre propre système de forces spéciales.

La coopération avec les agences nationales de renseignement est également indispensable. Des progrès considérables ont été effectués, mais je crois qu'il ne faut pas s'arrêter en chemin. Il revient au pouvoir exécutif de mettre en oeuvre cette action.

Enfin, dernière mesure d'accompagnement que nous appelons de nos voeux : renforcer la coopération internationale.

Il s'agit bien évidemment de la coopération avec l'OTAN et les forces américaines. De ce point de vue, l'opération SERVAL et la TF SABRE ont bénéficié de la part des forces américaines d'un appui sans précédent. Cet appui témoigne, dans les faits et par l'action, de la crédibilité acquise par les forces spéciales françaises auprès de leurs homologues américaines.

Mais il s'agit également de la coopération européenne. Contrairement aux idées reçues, la coopération entre forces spéciales - que l'on serait tenté de qualifier dans un abus de langage supplémentaire dont nous sommes coutumiers des « forces de souveraineté » - est à maints égards beaucoup plus aisée que la coopération entre forces conventionnelles.

En effet, ce qui est souverain - comme toujours - c'est la décision d'engager des forces et la désignation des objectifs stratégiques, c'est-à-dire nécessaire à la conduite de la guerre. Pour ce qui est de la mise en oeuvre, les forces spéciales sont, on l'a vu, un réseau qui fonctionne en réseau, c'est-à-dire avec une coopération inter-agences de renseignement très forte et avec un mix de capacités permanent. Et c'est précisément ce qui se passe au Sahel. On peut donc très bien avoir une unité tactique de forces spéciales françaises, véhiculée par des hélicoptères hollandais, avec une couverture drone italienne, sur la base d'un renseignement britannique, recoupée par une image radar allemande. Chaque pays européen a des capacités complémentaires. Le temps est venu d'unir nos forces. Car dispersés, les efforts et les moyens européens ne valent pas grand-chose.

Enfin, je mentionnerai le fait que la France entretient des coopérations spécifiques en matière de forces spéciales en particulier avec la Jordanie et d'autres pays au Moyen-Orient. Elle a également une coopération de longue date avec le Brésil et que ces coopérations précieuses doivent être entretenues au meilleur niveau.

En conclusion, je résumerai donc nos observations comme suit :

Premièrement, oui le renforcement est justifié. Il l'est pour alléger la tension permanente qui pèse sur les 3 000 hommes des forces spéciales. Il l'est parce que les forces spéciales constituent une réponse adaptée aux menaces que nous connaissons et préfigurent certaines formes de la guerre pour les dix prochaines années.

Deuxièmement, pour autant il ne faut pas penser que l'intervention des forces spéciales est devenue l'alpha et l'omega de l'art de la guerre. Personne ne le prétend du reste. Je le dis avec force : les forces conventionnelles restent essentielles. Forces spéciales et forces conventionnelles sont différentes, mais complémentaires. Les systèmes de forces spéciales apportent une réponse adaptée et pertinente à la menace que nous connaissons aujourd'hui. Mais qu'en sera-t-il demain ? C'est pourquoi, les forces spéciales doivent être renforcées autant que possible, mais pas plus que nécessaire.

Troisième observation - le projet du gouvernement est calculé au plus juste. L'augmentation des effectifs sera difficile à réaliser sans sacrifier la qualité à la quantité, et sans se poser la question du format des forces clandestines. L'importance des équipements n'a pas été prise en compte. Ni en nombre pour accompagner l'augmentation des effectifs, ni en qualité pour pallier aux insuffisances des équipements actuels. Les procédures d'acquisition doivent être revues. Enfin, il est impératif de mieux prendre en compte l'action numérique, en tant qu'action spéciale à part entière. Car il faut gagner les guerres d'aujourd'hui mais aussi anticiper celles de demain.

Enfin, quatrième observation, il faut des mesures d'accompagnement. La rédaction d'une doctrine d'emploi permettra aux forces spéciales de mieux spécifier leurs équipements et justifier leurs effectifs. Le cadre juridique ne nécessite pas de changements majeurs, mais il serait peut-être souhaitable que le COS dispose d'un Legad. Il y a des améliorations à apporter pour optimiser le recrutement, la formation et plus encore la valorisation des carrières des hommes et des femmes des forces spéciales. Enfin, il faut mieux insérer le COS dans la communauté du renseignement et accroître si possible la coopération internationale.

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