Intervention de André Dulait

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 juillet 2012 : 1ère réunion
Format et emploi des forces armées post 2014 — Présentation du rapport d'information

Photo de André DulaitAndré Dulait, co-président :

Outre les travaux que nous avons menés au sein de notre commission, le SGDSN a publié en février 2012 sa propre analyse et, en mars, la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense a publié ses « horizons stratégiques » qui tentent de dégager les lignes de force de ce que sera l'environnement stratégique de notre pays à l'horizon 2040.

Comme nous l'avait indiqué Hubert Védrine, la véritable rupture se situe à la chute du mur de Berlin qui consacre la fin de la domination occidentale de quatre siècles au profit d'un rééquilibrage planétaire avec les pays émergents sur fond de crise économique et financière. Les conséquences de ce rééquilibrage sont de trois ordres :

- le leadership des États-Unis est fragilisé, ce qui ne signifie pas qu'ils soient en déclin mais que leur position se relativise, notamment vis-à-vis de la Chine. La principale conséquence est la poursuite et l'accélération du transfert de l'effort militaire américain vers le Pacifique. L'Europe n'est plus une priorité et l'on peut même se demander si elle continue à être un atout stratégique ou un allié crédible pour les Etats-Unis.

- L'Europe est divisée et donc impuissante. Il n'y a pas d'accord sur l'opportunité et la légitimité même du recours à la force. Faute d'un sursaut politique, elle est menacée de déclassement.

- Les grands équilibres géopolitiques se sont déplacés vers l'est et dans une moindre mesure vers le sud. Est en train d'apparaître un monde oligopolaire structuré autour de pôles régionaux ou fondés sur des alliances pragmatiques à géométrie variable selon les intérêts en jeu. La France et l'Europe seront-elles des acteurs de ce monde en devenir ?

La période intermédiaire que nous vivons est celle de la revendication de leurs droits par les pays émergents, souvent très largement émergés du reste, de leur contestation des attributs du pouvoir ancien que détiennent les puissances occidentales, notamment au niveau des normes internationales, mais pas encore par l'expression de leurs devoirs de puissance pour réguler le nouvel ordre international dont-elles sont devenues les acteurs. L'un des enjeux principal de la diplomatie est de les « engager ».

Au sein de ce mouvement global, nous avons connu deux surprises stratégiques depuis 2008 : la crise économique et financière qui agit comme un révélateur du Nouveau Monde vers lequel nous nous dirigeons, avec en particulier la montée en puissance de la Chine, et bien sûr, les printemps où les révolutions arabes dont l'onde de choc et les effets domino sont loin d'être achevés.

Pour notre pays, le Livre blanc de 2008, dont une grande partie des analyses reste pertinente, était encore très marqué par le modèle de domination occidentale et par l'idéologie de la lutte contre le terrorisme sous l'impulsion de l'administration Bush. Le rééquilibrage du monde doit nous faire repenser le contexte stratégique et les enjeux militaires dans son cadre, dans ses moyens mais aussi dans ses alliances. Un nouveau Livre blanc et non une revue de celui de 2008 est donc nécessaire.

Face à ces changements, à quel type de conflits nos forces armées seront-elles confrontées demain ? Nous nous sommes en second lieu interrogés sur la nature des menaces auxquelles nous aurons à faire face dans l'avenir.

Tout le monde s'accorde à reconnaître le caractère très peu probable de conflits symétriques avec des puissances de même nature que la nôtre, ne serait-ce que parce que nous disposons de la dissuasion nucléaire et d'une défense conventionnelle très crédible.

La probabilité est également faible, mais non nulle, de conflits dissymétriques dans lesquels nous aurions à faire face à des moyens conventionnels (blindés, artillerie), peut-être de moindre qualité, car d'une technologie plus ancienne, mais en nombre beaucoup plus important face à nous. Le réarmement de nombreux pays de l'arc de crise conforte cette perspective et des conflits comme celui que nous avons connu en Libye, ou avec des pays comme la Syrie, s'inscrivent dans cette catégorie. En tout état de cause, le plus probable est que ces conflits dissymétriques se transformeraient rapidement en conflit asymétriques par lesquels notre adversaire contournerait notre supériorité technologique.

La forme la plus probable du conflit sera donc l'asymétrie. Avant de s'interroger sur le point de savoir si nos forces armées sont adaptées à ces conflits, l'expérience que nous avons d'ores et déjà des opérations extérieures nous permet de tirer un certain nombre d'enseignements précieux de nos entretiens avec les responsables politiques et militaires que nous avons rencontrés :

- Sans écarter aucune hypothèse, ce que l'on peut affirmer c'est que la tendance n'est pas à une opération lourde et de longue durée, mais que le volume global de nos engagements restera stable.

- Les engagements futurs se feront majoritairement en coalition. L'OTAN restera l'acteur militaire normatif et l'ONU la caution politique.

- La notion de bataille Clauzewitzienne n'existe plus. Battre l'armée adverse, c'est le début de la crise. Tout de suite après on entre dans l'asymétrie.

- Dissymétrique, ou asymétrique, l'adversaire d'aujourd'hui et de demain est d'abord irrégulier (organisations terroristes, organisations criminelles ou maffieuses qui sont équipées et organisées comme des forces militaires). Sa première force est d'être insaisissable, sa puissance est celle du contournement.

- Le passage du dissymétrique à l'asymétrique implique que notre force d'intervention doit pouvoir se reconfigurer localement en compétences et en moyens.

- Nous ferons face à des adversaires qui sauront recourir à l'effet égalisateur de certaines technologies facilement disponibles, notamment dans le domaine des IED, de la guerre informatique.

- Nous aurons besoin de forces agiles, mobiles et très flexibles.

- La réponse au conflit asymétrique, c'est l'approche globale, ce qui suppose, au niveau national, une coordination et un partage interministériels des responsabilités et des financements.

- Le renseignement est primordial. Les capacités de géo-localisation, la disposition de drones de longue endurance et un processus d'exploitation de l'information rapide seront des axes fondamentaux de l'équipement de nos armées.

- La communication et la légitimité des actions auront un impact fort sur l'opinion publique et la conduite des opérations. Elles conditionnent la résilience de la Nation.

- La notion de contrôle continu du terrain est remise en question par le contexte de l'engagement et le format de nos forces. Notre plus-value, c'est la technologie et les capacités à réorienter l'action ainsi que la mobilité. La tentation sera d'avoir une présence au sol moins forte et d'utiliser les capacités de frappes aériennes à distance ainsi que l'action des forces spéciales. Si ces pistes doivent être creusées, elles ne constituent en aucun cas l'alpha et l'omega du format de nos forces.

- La nécessité du contrôle du terrain suppose l'articulation de nos forces avec des forces armées locales.

- Si l'asymétrie est le plus probable, il serait suicidaire, dans les conditions actuelles d'incertitude géopolitique, de se démunir totalement des moyens permettant d'acquérir la supériorité sur le champ de bataille. Or les équipements de supériorité sont les plus coûteux, il faut éviter qu'ils soient les cibles privilégiées des coupes budgétaires.

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