Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 février 2013 : 1ère réunion
Audition du général jean-paul paloméros commandant suprême allié chargé de la transformation act à l'otan

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

Nous sommes particulièrement heureux, mon Général, de vous accueillir à nouveau devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Je rappelle qu'après avoir été pilote de chasse et commandé plusieurs escadres, vous avez été chef d'état-major de l'armée de l'air de 2009 à 2012. A ce titre, vous avez joué un rôle majeur lors de l'intervention en Libye. Depuis septembre 2012, vous occupez le poste de commandant suprême allié de la transformation de l'OTAN (« ACT » dans le jargon otanien). Après le Général Stéphane Abrial, vous êtes donc le deuxième officier français à occuper ce poste essentiel.

Je rappelle, en effet, que ACT est l'un des deux commandements stratégiques au sein de l'Alliance atlantique, avec le commandant suprême allié chargé des opérations.

ACT est plus particulièrement chargé de tout ce qui concerne la recherche, la doctrine, les concepts, la formation, l'entraînement et l'expérimentation.

Ayant son siège à Norfolk, en Virginie, à proximité du commandement interarmées américain, situé lui aussi à Norfolk, ACT doit permettre d'enrichir la réflexion commune de tous les alliés en vue d'adapter leurs forces à l'évolution du contexte stratégique, de redéfinir leurs doctrines et de dégager des priorités en termes de capacités.

Selon l'expression de son premier commandant, l'amiral américain Giambastiani, il s'agit du « centre intellectuel pour la transformation de l'Alliance ».

Lors de votre prise de fonction, en septembre dernier, vous avez indiqué que votre principale mission était de réfléchir à l'avenir de l'Alliance atlantique après l'Afghanistan et de faire en sorte que les pays alliés soient en mesure de répondre aux défis futurs, que ce soit en termes de capacités, d'interopérabilité ou de disponibilité des forces « au niveau le plus élevé ».

Dans un contexte marqué par le rééquilibrage de la stratégie américaine vers la zone Asie Pacifique et par la réduction des budgets de la défense, en Europe mais aussi aux Etats-Unis, en raison du retrait d'Afghanistan, mais aussi par l'écart croissant entre les deux rives de l'Atlantique et au sein même de l'Europe, comme l'illustre le récent rapport du Secrétaire général de l'OTAN, comment voyez-vous l'avenir de l'Alliance Atlantique ?

Comment maintenir, après l'Afghanistan, l'interopérabilité, la disponibilité et l'efficacité des forces militaires ? Quel rôle pour la force de réaction de l'OTAN (NRF) ?

Dans un contexte budgétaire difficile, comment permettre aux pays alliés de préserver, sinon renforcer, nos capacités, dont nous avons pu mesurer les lacunes en Libye ? Que faut-il penser de la « Smart defence » ou de l'initiative « connected forces » ? Le recours à la spécialisation ou au « financement en commun » vous paraissent-ils réellement de nature à compenser les réductions des budgets de la défense et ne risquent-ils pas paradoxalement d'encourager les pays européens à réduire davantage leur effort, en fragilisant l'industrie européenne de défense et en privilégiant l'achat sur étagère d'équipements américains ?

Pour être un peu provocateur, ACT a-t-il vocation d'après vous à devenir une sorte d'agence de l'armement supranationale, qui déciderait en lieu et place des Parlements ?

Qu'en est-il également de l'articulation entre la « Smart defence » de l'OTAN et l'initiative « mutualisation et partage » menée sous l'égide de l'Agence européenne de défense au sein de l'Union européenne ?

Enfin, alors que le Livre blanc devrait confirmer les orientations du rapport d'Hubert Védrine sur la réintégration de la France au sein du commandement militaire intégré, comment voyez-vous, de votre position, la place et l'influence de la France et des Européens au sein de l'Alliance ?

Je vous laisse maintenant la parole.

Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l'OTAN. - Je vous remercie, Monsieur le Président, pour cette occasion qui m'est donnée de vous offrir un premier bilan de mon engagement à la tête du Commandement allié pour la Transformation de l'OTAN.

Près de quatre années après la décision prise, au Sommet de Strasbourg/Kehl, du retour de la France dans son commandement intégré, l'OTAN est désormais une sphère d'action importante pour la préparation de l'outil militaire français. Il convient de s'en souvenir à l'heure des décisions importantes qui se préparent.

A l'instar de la France, et sans préjuger du développement des crises en cours et à venir, l'Alliance atlantique est sur le point de vivre un nouveau tournant de son histoire militaire, marqué par la concomitance d'une baisse programmée en 2014 du niveau de son engagement opérationnel en Afghanistan, et d'une austérité budgétaire affectant la plupart des 28 nations qui la constituent. Ces évolutions majeures sont pour l'Alliance en général et pour chacune des nations, porteuses de risques à maîtriser, mais aussi d'occasions à saisir.

Au sein de l'organisation, le commandement allié pour la transformation (ACT) est un outil unique, au service de l'Alliance, c'est-à-dire de ses nations. Il est confié avec l'accord des États-Unis depuis 2009 à un Européen français : cette marque de confiance de nos alliés illustre aussi et de manière très visible, l'importance du lien transatlantique pour le devenir de l'OTAN, confirmée par le Vice-Président Joe Biden à la Conférence de Munich.

Vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, la mission de ce commandement est de préparer l'avenir, ce qui recouvre la préparation des forces et le développement capacitaire de l'Alliance, domaines qui se nourrissent également d'une solide réflexion prospective. Le présent opérationnel est confié à l'autre commandement stratégique de l'OTAN, le commandement allié opérations (ACO) de Mons.

La transformation est un processus permanent guidé par une stratégie pour le moyen et le long terme, qui vise à appréhender pleinement les défis que vous venez d'évoquer.

Vue de Norfolk, l'Alliance est une structure politico-militaire unique dont le plus grand ciment reste l'adhésion à une communauté de valeurs fondée sur la liberté, la paix, la sécurité, l'état de droit, et son attachement à la Chartre des Nations unies, rappelé dans le préambule du Traité de l'Atlantique Nord.

Mais c'est aussi une mosaïque de sensibilités politiques et militaires parfois très différentes d'Est en Ouest et du Nord au Sud, qui sont façonnées par une histoire et un environnement stratégique propres à chaque pays.

Pour adapter notre Alliance à l'évolution du contexte mondial, un nouveau concept stratégique a été adopté à Lisbonne en 2010, puis confirmé et précisé en termes d'objectifs capacitaires à Chicago en 2012.

Les missions de l'OTAN répondent aux objectifs de Défense collective de l'Alliance dans le cadre de l'article 5 du Traité de Washington et couvrent également les domaines de Gestion des crises et de Sécurité coopérative. Ses champs d'intervention potentiels sont de fait, très étendus. Ils recoupent souvent ceux de la Politique de Sécurité et de Défense Commune de l'Union européenne (PSDC), ce qui ouvre la voie à une complémentarité recherchée dans le cadre d'un partenariat stratégique entre les deux organisations, dont il faut rappeler qu'elles comptent 21 membres en commun.

Dans ce contexte, l'Alliance veille à garder toute sa crédibilité militaire en s'appuyant sur le maintien d'une capacité de génération de forces interopérables et sur une solide structure de commandement, récemment rationalisée à la demande des nations : effectifs ramenés de 13 000 à 8 500, réduction à 2 commandements opérationnels niveau interarmées et 1 par composante (Terre, Air, Mer). Rationalisation à laquelle il convient d'ajouter la réforme des Agences, passées de 14 à 3.

Je souhaiterais maintenant partager avec vous mon analyse des facteurs essentiels qui sous-tendent la transformation de l'OTAN et les priorités que j'en ai tirées pour mon commandement.

Au niveau stratégique, il faut en premier lieu souligner les effets conjugués du rééquilibrage des intérêts américains vers l'Asie et des contraintes budgétaires (« fiscal austerity ») également prégnantes outre-Atlantique, ce qui va entraîner un réajustement de la présence militaire américaine en Europe. Cette évolution ne remet pas en cause l'engagement des Etats-Unis auprès de leurs alliés européens, mais cet engagement s'accompagne néanmoins du souhait que l'on peut trouver « légitime », exprimé fréquemment outre-Atlantique, que les Européens prennent une part plus importante à l'effort de défense, dans le cadre du partage des tâches (« burden sharing »). Dans ce cadre, les Etats-Unis rapatrieront leurs 2 brigades déployées en Europe, mais engageront 2 bataillons au profit de la Force de Réaction de l'OTAN. Cela devrait conduire à un modèle de forces rotationnelles dont le but principal sera de conserver un niveau de présence et d'entraînement suffisant pour maintenir l'interopérabilité des forces américaines au sein des forces alliées.

La prise en compte des nouvelles menaces représente également un enjeu important. Ainsi, la défense contre les missiles balistiques, ou encore la protection contre la menace cyber, domaine que votre commission connaît bien, sont deux objectifs réaffirmés à Chicago. ACT est totalement impliqué dans ces deux domaines.

Enfin, les réductions quasiment généralisées des budgets de défense des nations membres sont de nature à mettre en cause durablement les capacités militaires de l'Alliance, non seulement en termes d'équipements mais aussi de préparation opérationnelle des forces.

Dans ce cadre extrêmement contraint, les principes que j'ai présentés récemment au Comité Militaire et au Conseil de l'Atlantique Nord visent avant tout à préserver l'efficacité opérationnelle de l'OTAN sur le court et le moyen termes, en gardant une vision sur le long terme, dans le cadre d'une analyse prospective des grands facteurs d'évolution.

Il s'agit donc en premier lieu de maintenir la disponibilité, la réactivité et l'interopérabilité des forces, alors que se profile pour 2014 la fin des opérations de combat de l'OTAN en Afghanistan.

L'initiative des forces connectées (« connected forces ») répond à ces enjeux. Elle doit permettre aux forces employées par l'OTAN de mieux travailler ensemble, et également avec les partenaires. Au-delà de l'interopérabilité des équipements, il s'agit d'une démarche centrée sur les compétences, qui intègre également les volets doctrine, organisation, entrainement, logistique et infrastructure liés à l'emploi d'une capacité. Dans cette approche globale, l'efficacité des entrainements communs occupe une place de choix, notamment parce qu'il s'agit à travers eux de pallier la baisse probable de l'activité opérationnelle qui fut, depuis plus de dix ans, le véritable vecteur de l'interopérabilité des forces de l'Alliance.

Dans ce cadre, ACT qui assume désormais la responsabilité de l'entrainement collectif de l'Alliance, a récemment proposé l'idée d'organiser un programme d'exercices annuels plus nombreux et plus diversifiés qui intégrerait un exercice annuel de grande ampleur et à haute visibilité. Celui-ci prendrait appui sur les structures de commandement et les générations de forces de la « NATO Response Force » (NRF), faisant de ladite force un outil de préparation mais également un puissant vecteur de transformation pour l'Alliance.

De manière générale, la transformation de l'OTAN doit favoriser la réactivité et l'adaptation permanente en employant au mieux les compétences où elles se trouvent, en les constituant en réseaux et en développant toutes les synergies possibles. C'est dans cet esprit d'efficacité et d'optimisation qu'a été lancée l'initiative dite de « Smart Defence », que je traduirais par défense optimisée, plus intelligente. Son objectif est de développer des coopérations multinationales pour répondre à certains objectifs capacitaires ou éviter des ruptures de capacités, et ce en réduisant les coûts.

Vous savez que l'Union européenne de son côté a lancé à Gand l'initiative « mutualisation et partage » (« Pooling and Sharing »), conduite par l'Agence européenne de défense (AED), qui dans son principe est très proche de la Smart Defence. C'est pourquoi ACT mène avec l'AED un travail méticuleux d'analyse des projets réciproques pour en assurer la complémentarité, et mieux la synergie.

La complexité de l'environnement géostratégique et son caractère évolutif poussent l'OTAN à développer une politique de partenariat dynamique et globale incluant les organisations internationales. La logique de partenariat répond à un véritable besoin de coopération qu'illustrent les opérations récentes.

Au premier rang des partenariats stratégiques pour l'avenir de l'OTAN, figure celui avec l'Union européenne. 21 pays sont membres à la fois de l'UE et de l'OTAN, ce qui milite pour que les réflexions capacitaires menées par les deux organisations soient bien coordonnées, car portant sur les mêmes forces (et les mêmes budgets !). Le renforcement du pilier européen de l'OTAN constitue un objectif majeur pour le renforcement du lien transatlantique et la crédibilité d'ensemble de l'Alliance.

Monsieur le Président, vu de mon poste, je pense que le regard que nous devons porter sur l'OTAN est désormais celui d'un actionnaire majeur d'une entreprise vaste et complexe dont il convient de maitriser toutes les arcanes. Il me semble en particulier opportun d'utiliser le plein potentiel des projets portés par l'initiative « Smart Defence » dans une démarche proactive. La France participe déjà à 28 projets et il est de son intérêt autant que de celui de l'OTAN d'entretenir l'élan initial :

- 14 projets de premier rang, parmi lesquels elle est deux fois nation cadre : dans les domaines du soutien médical (« Pooling and Sharing Multinational Medical Treatment Facilities ») et des carburants (« Multinational Logistic Partnership - Fuel Handling »).

- 12 projets de deuxième rang ;

- 2 de troisième rang.

Il est notable que 8 de ces projets répondent directement à l'atteinte de cibles capacitaires visées en 2013 par le processus de planification de défense de l'Alliance (NDPP).

Parmi les projets portés par cette initiative, le projet franco-américain en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, « Joint Intelligence, Surveillance and Reconnaissance » (JISR), constitue un enjeu important dont la conduite doit faire l'objet d'une attention soutenue.

Enfin, à l'heure où la France met la dernière main à son Livre blanc, je souligne l'importance d'expliquer et de mettre en perspective les orientations stratégiques et les choix qui en découleront vis à vis de nos engagements au sein de l'Alliance.

Monsieur le Président, au sein de l'OTAN, nos femmes et nos hommes représentent aussi notre meilleur investissement. A ce titre, je constate au quotidien que la France a fait un choix pertinent en misant sur leur compétence et leur motivation. Ces qualités, alliées à l'expérience opérationnelle, leur confèrent une place qui fait honneur à notre pays.

Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.

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