Je souhaiterais revenir sur la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne, qui présente à mes yeux une grande importance. Est-ce que cette coopération ne mériterait pas, d'après vous, d'être renforcée et comment dépasser les obstacles politiques ou les réticences de certains de nos alliés ?
Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l'OTAN. - La « Smart Defence », que l'on peut traduire par « défense plus intelligente » ou « défense optimisée » représente une réelle opportunité pour l'industrie française de défense. Nous incitons donc les industriels français à être présents autour de la table et à répondre aux appels à projets. Nous avons d'ailleurs créé, au sein de ACT, un cadre pour la coopération en amont avec le monde industriel, même si ACT n'est pas une agence d'acquisition de l'OTAN, qui existe par ailleurs au sein de l'Alliance. Nous sommes là pour stimuler, pour préparer et travailler en amont avec le monde industriel, à l'image de ce que nous faisions à l'état-major des armées, pour identifier et orienter la recherche vers les besoins opérationnels de nos forces sur le long terme. Nous touchons là le coeur de notre travail. Nous voyons bien que nous tirons aujourd'hui profit des investissements réalisés il y a dix ou quinze ans dans le secteur de la défense et il est impératif de réfléchir et préparer dès aujourd'hui les capacités dont nos forces auront besoin dans dix ou vingt ans, alors que tout nous pousse à regarder le présent.
L'Europe dispose d'une industrie de défense de très grande qualité, reconnue au sein de l'OTAN et hors de nos frontières, y compris outre-Atlantique, avec des réalisations remarquables, à l'image de l'A400M. Elle pourrait donc tirer un grand bénéfice de la « Smart Defence », qui suppose aussi un certain esprit d'initiative. C'est le sens de ma démarche auprès des industriels de la défense. J'incite les industriels à avoir une approche proactive, à stimuler leur créativité, à imaginer des solutions innovantes et moins onéreuses, notamment dans le cadre de la recherche duale. Cela suppose aussi de notre part un travail pour mieux identifier les besoins et réduire les spécifications.
Concernant la force de réaction de l'OTAN, il s'agit au contraire dans mon esprit de la conforter et de la renforcer, de la « revitaliser » pour reprendre l'expression utilisée dans la déclaration adoptée lors du Sommet de Chicago, et elle est au centre de l'initiative des forces connectées. La NRF doit être visible, disponible à court terme et entrainée au meilleur niveau, c'est en quelque sorte la « pointe de diamant » de l'Alliance, et il me semble souhaitable que les pays alliés, dont la France, contribuent au mieux à cet objectif, en termes de préparation, de disponibilité opérationnelle ou d'interopérabilité. A cet égard, le réaménagement du dispositif militaire américain en Europe va certainement contribuer à renforcer la NRF et sera un bon test de notre aptitude à conserver cette interopérabilité avec nos alliés américains mais aussi avec nos partenaires européens. Par ailleurs, on pourrait étudier la possibilité d'ouvrir la NRF à d'autres forces, à l'image des groupements tactiques de l'Union européenne, ce qui permettrait de renforcer les synergies en matière de génération de forces.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter au rapport d'Hubert Védrine, qui décrit très bien la relation décomplexée qu'entretient aujourd'hui la France avec ses alliés au sein de l'Alliance atlantique. La France est membre à part entière de l'OTAN. Notre pays occupe aujourd'hui une place importante au sein de l'Alliance, ceci pour deux raisons. D'une part, parce que notre pays fait preuve de volonté et, d'autre part, parce qu'il dispose de capacités. La France fait preuve de volonté pour défendre son rang car elle est force de proposition. Elle sait aussi prendre ses responsabilités, comme on peut le voir avec l'intervention au Mali. C'est la raison pour laquelle la France est respectée par tous ses alliés, en particulier outre-Atlantique, et nos alliés américains ne cessent de le souligner.
Concernant le niveau de défense et d'ambition, il faut bien admettre qu'au sein de l'OTAN il existe peu de Nations-cadres, c'est-à-dire de pays qui ont la volonté et les moyens de mener une intervention d'envergure hors de leurs frontières, en disposant en propre des structures de commandement, des capacités de projection ou des moyens de renseignement nécessaires, et que la France fait partie de ce cercle restreint, ce qui lui confère un poids particulier au sein de l'Alliance.
La question des partenariats est effectivement centrale pour l'avenir de l'Alliance. Même si tous les pays partenaires n'ont pas vocation à devenir un jour membres de l'Alliance, nous aurons de plus en plus besoin de renforcer notre coopération militaire avec des pays partenaires, y compris avec des pays européens non membres de l'Alliance, comme la Suède ou la Finlande ou l'Autriche, ou des pays voisins.
La fenêtre d'opportunité n'a jamais été aussi ouverte qu'aujourd'hui pour renforcer les relations et la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne et, dans mon travail quotidien, je ne rencontre pas de réticences particulières. Les pays européens sont aujourd'hui en quelque sorte au pied du mur et c'est un peu l'heure de vérité pour l'Europe de la défense. Au moment où la relation transatlantique est en pleine mutation et que nos amis américains nous incitent à prendre davantage nos responsabilités, il revient aux Européens, et sans doute d'abord à nous Français, de faire valoir nos atouts et nos outils, qui ne ressortissent pas tous du domaine militaire mais qui relèvent également de ce qu'il est convenu d'appeler l'« approche globale », avec par exemple la politique d'aide au développement. Pour ce faire, il me semble nécessaire d'avoir une réflexion sur nos intérêts communs, y compris industriels, car l'Alliance est aussi une alliance d'intérêts au service de valeurs communes.